Un livre- interviewe virtuel

C'est le procédé littéraire que Donato Petti, professeur à l'Université Pontificale du Latran et spécialiste de la théologie de l'éducation, a imaginé pour présenter le Magistère de Benoît XVI sur l'éducation, dans son livre "Dialogue sur l'éducation avec Benoît XVI", qui vient de paraître en France aux éditions Parole et Silence (17/10/2012)

>>> Dialogue sur l'éducation avec Benoît XVI, 344 pages
www.paroleetsilence.com/Dialogue-sur-l-education...

     

Tous les discours, homélies, lettres, encycliques, messages du Saint-Père sont disponibles librement sur le site du Saint-Siège (il suffit de se rendre ici), et c'est une source irremplaçable de réflexion, une "boussole sûre", plus peut-être, que les oeuvres du théologien, car les textes sont très accessibles, s'adressant la plupart du temps aux non-spécialistes.
Mais, après sept ans et demi de Pontificat, cela représente une masse gigantesque de documents. Comment se retrouver dans ce richissime corpus?
Et surtout, comment retrouver les textes sur un sujet précis?
Même si le moteur de recherche est une aide appréciable, il n'est pas suffisant, car il implique malgré tout de savoir où chercher, et de croiser les mots-clés, faute de quoi les résultats sont trop nombreux, et donc inexploitables.

Le professeur Donato Petti, directeur et professeur de Théologie de l'éducation à l'Université Pontificale du Latran, a eu l'idée géniale de présenter l'ensemble de la pensée de Benoît XVI relative à l'éducation, sous la forme d'une longue interviewe, un peu comme les livres d'entretien avec Peter Seewald. C'est-à-dire qu'il a imaginé des questions dont les réponses sont des paroles prononcées par le Saint-Père, en précisant à chaque fois dans quelle circonstance.
La table des matières permet d'accèder directement à un thème donné, ce qui autorise une lecture non linéaire, indispensable, s'agissant d'un ouvrage de référence.
Le livre, préfacé par l'archevêque Fisichella a été traduit en français, et vient juste d'être publié aux éditions Parole et Silence.

Ce serait une idée splendide, de faire la même chose sur la famille et la défense de la vie (même si le thème croise forcément le précédent)...

Pour donner envie de le lire (c'est libre de toute pub, évidemment), je reproduis ci-dessous l'introduction, et un "échantillon".

     

Introduction

Un dialogue : voilà la chose la plus commune au monde. ..
Celui-là, pourtant, est l'un des plus rares au monde; il se distingue par son originalité. Le dialogue s'établit d'ordinaire, spontanément, à chaque rencontre. Celui-ci, au contraire, de manière insolite, se passe dans une rencontre extraordinaire, dans laquelle se mêlent présence et absence. Habituellement, le dialogue se développe entre des personnes qui appartiennent plus ou moins au même milieu social; ici le niveau est fortement différencié. Les deux interlocuteurs, qui sont sur une plateforme bien différente, se rencontrent toutefois dans une communion d'intérêts pour les mêmes valeurs. Ils sont animés du même zèle.

L'échange d'idées entre questions et réponses prend, d'ordinaire, la forme de l'interview: moment fixé à l'avance, temps compté, sujet prédéterminé. Nous avons ici un rendez-vous qui échappe aux horaires, qui ne dépend pas d'accords préalables et dont les thèmes abordent tous les sujets.

Le pape est le porte-voix du Christ, qui se définit comme un Maitre : lorsqu'il parle il enseigne, mais il le fait dans un milieu donné, à un auditoire déterminé, et pour une durée régie par le bon sens et le bon goût. Son message est un cerneau enveloppé d'une coque et d'une écale; il s'insère dans des circonstances contingentes, qui réduisent l'aspect essentiel de sa communication; cela donne un tableau dans un cadre si vaste que cela en affaiblit l'évidence de l'image.

L'auteur a épuré la substance nourrissante de ce message en lui enlevant l'aspect superflu dû aux circonstances ; il a rassemblé ce qui était dispersé; il a concentré ce qui était dilué; il a systématisé ce qui était éparpillé à la merci des événements.

Il n'a pas interviewé le pape Benoît, ce qui se fait souvent avec les grands personnages, pour économiser leur temps et en raison de leur disponibilité - il l'a déchargé de ces deux éléments, en lui évitant d'avoir à se répéter; il a retrouvé les déclarations originelles; il ne l'a pas enfermé dans une grille de demandes préfabriquées; il l'a laissé parler dans l'authenticité de sa spontanéité immédiate; il n'a pas filtré la pensée du pape à travers la sienne, procédé qu'on peut toujours soupçonner de subjectivité trop personnelle; il l'a laissé s'exprimer en choisissant librement les thèmes et les points de vue; simplement il a transposé tout cela pour le rendre actuel; et il a placé le lecteur devant lui.

Il a récolté « tout » ce que le pape avait dit au fil du temps, et il l'a présenté de manière organique pour en développer l'efficience didactique et en faciliter la réception. D'ordinaire, les gens n'ont pas la possibilité d'avoir accès à toutes les déclarations du pape; ils n'ont pas la capacité de les coordonner; ils ne sont pas aptes à les rassembler en une unité de doctrine; Donato Petti s'est attelé à cette tâche, qui demande une grande ténacité ainsi qu'une maitrise et une réflexion constructives, et il en offre le résultat à tous ceux qui sont intéressés par la culture et la spiritualité.

Le terrain sur lequel il évolue est d'une importance fondamentale; il s’agit de cette éducation qui fournit à la vie ses raisons d'être et des méthodes qui servent à en découvrir tout l'attrait. L'éducation, racine et fruit de la nature, est ce qui éclaire la vie, ce qui en révèle la nature, ce qui en montre le côté sublime, qui en justifie le but, qui à la fois la couronne et la transcende. Éduquer signifie voir et faire voir; c'est connaitre le chemin et le signaler aux autres, c'est se procurer la force pour la marche et la fournir aux autres. C'est la mission la plus haute que puisse remplir un homme, la plus engageante, la plus exaltante, mais aussi la plus ardue, et par conséquent, surtout aujourd'hui, la moins courue. Les grands centres de formation, de la famille à l'école, du monde laïque au monde religieux, ont dans ce domaine bien du mal à respirer. Cela réduit notre capacité à voir les choses : il stagne sur la société actuelle une atmosphère brumeuse qui coupe le souffle et brouille le regard. Avec une grande perspicacité le pape fait tout ce qu'il peut pour dissiper ce brouillard et pour imprimer un nouvel élan à l'activité éducative, en en montrant tout l'intérêt.

Il s'agit d'une vision panoramique complète : on y trouve l'actualité et l'histoire, l'anthropologie et la psychologie, la morale et les coutumes, la nature et la foi, la laïcité et la religiosité, la pédagogie catholique et l'orientation aux valeurs. Le pape ne donne pas de règles, mais il aborde des notions qui, dans leur claire objectivité, finissent par devenir évidentes; sa façon de penser protège la raison des contradictions du rationalisme, qui, en faisant d'elle un absolu contre le transcendant, la mutile en l'emprisonnant dans un immanent expérimental et concret.

Des interventions du pape émerge un tout qui inspire confiance; il n'a pas de réticences qui puissent révéler une hésitation devant certaines questions dont on ignore ou dont on craint la réponse; il regarde avec une aisance tranquille dans toutes les directions. Il prend ses responsabilités et les confirme en indiquant les chemins du succès; il ne fait ni rabais ni compromis qui affectent la conscience et il s'abstient aussi de toute âpreté rigoriste. Ce qui domine donc partout c'est la franchise de celui qui connait la réalité, qui l'accepte dans sa bonté (le monde fut créé par Dieu comme une chose bonne) et l'apprécie dans sa positivité. C'est une formulation doctrinale qui se fait automatiquement exhortation et encouragement; il rassure la vie.

C'est un don de grande valeur et d'une pertinente actualité. L'état de ce qu'il offre pourrait pourtant voir son efficacité diminuée par une difficulté d'accès, qui exclut la grande majorité des destinataires, en ne s'adressant qu'au groupe étroit des spécialistes.

L’auteur a donc eu l'insigne mérite non seulement d'offrir la clé de cet écrin, mais d'en exposer lui-même à la vue les grands trésors. Il les présente d'une façon originale qui met en évidence leur rationalité persuasive et dans une clarté qui aplanit les aspérités pour la marche de leur réalisation. La concision évacue l'objection du manque de temps et aide à imprimer les choses dans la mémoire, en en rendant stable la possession.

Ce dialogue, bien loin d'être une interprétation, est une présentation : il transporte le passé dans le présent; le pape du Vatican entre dans la salle de tout éducateur, il se met à sa disposition à chaque instant. Le dialogue devient confiant et le Magistère devient une amitié personnelle. Donato Petti s'est fait un initiateur fin et empressé. Ce serait une négligence déplorable que de ne pas en profiter.

Francesco Trisoglio
Université de Turin

Un exemple d'"échange"

Risques éducatifs de l'utilisation des médias (page 172)
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- Quels sont, à votre avis, Sainteté, les risques liés à l'utilisation des mass médias et des nouvelles technologies médiatiques pour l'éducation et la formation de la personne humaine?

- Aujourd'hui, plus qu'autrefois, l'éducation et la formation de la personne subissent l'influence des messages et du climat diffus qui sont véhiculés par les moyens de communication de masse et qui s'inspirent d'une mentalité et d'une culture caractérisées par le relativisme, le consumérisme et par une exaltation fausse et destructrice, ou plutôt une profanation du corps et de la sexualité. Voilà pourquoi, justement en raison de ce grand « oui » que, comme croyants dans le Christ, nous disons à l'homme aimé de Dieu, nous ne pouvons certes pas nous désintéresser de l'orientation générale de la société à laquelle nous appartenons, des tendances qui l'animent et des influences positives ou négatives qu'elle exerce sur la formation des nouvelles générations (1).

Les nouvelles générations sont aujourd'hui fortement exposées à un double risque, dû principalement à la diffusion des nouvelles technologies informatiques : d'une part, le danger de voir se réduire de plus en plus la capacité de concentration et d'application mentale des gens sur un plan personnel, d'autre part, celui de s'isoler individuellement dans une réalité toujours plus virtuelle. C'est ainsi que la dimension sociale éclate en mille morceaux, tandis que la dimension personnelle se replie sur elle-même et tend à se fermer à toute relation constructive avec l'autre et celui qui est différent de soi (2).

Le risque de voir ces nouvelles technologies se transformer au contraire en systèmes destinés à soumettre l'homme à des logiques dictées par les intérêts dominants du moment est malheureusement toujours d'actualité. C'est ce qui se passe quand une communication est utilisée à des fins idéologiques ou pour diffuser de produits de consommation à l'aide d'une publicité insistante. Sous prétexte de représenter la réalité, on tend de fait à légitimer et à imposer des modèles distordus de vie personnelle, familiale ou sociale. Et pour favoriser l'écoute, et le fameux audimat, on n'hésite pas à recourir parfois à la transgression, à la vulgarité et à la violence. Il est enfin possible que, à travers les médias, on propose et on soutienne des modèles de développement qui augmentent plutôt qu'ils ne réduisent la fracture technologique entre les pays riches et les pays pauvres (3).

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(1). Benoit XVI, Discours à l'inauguration du diocèse de Rome, dans la basilique Saint Jean-de-Latran, 11 juin 2007.
(2). Benoit XVI, Discours aux professeurs et aux étudiants de l'Université de Parme, le 1erdécembre 2008.
(3). Benoit XVI, Message pour la XLIIe journée mondiale des communications sociales, 24 janvier 2008.