Dialogue avec Ratzinger sur la cohabitation

Comment Vittorio Messori voit la rencontre d'aujourd'hui à Castelgandolfo, entre les "deux papes" (23/3/2013)

Que ce soit bien clair: personne ne sait rien sur cette rencontre, sinon qu'elle sera strictement privée: toutes les anticipations, et ce qui risque de venir après, les reconstructions, tiennent donc de l'imagination des vaticanistes, nullement des faits. Peut-être, un jour prochain, quelqu'un aura-t-il l'idée d'un livre intitulé "Un dîner à Castelgandolfo", imaginant la conversation entre les deux Papes, comme l'avait fait Christine Pedotti à propos de la rencontre avec Hans Küng - la mauvaise foi en moins, naturellement.
Même le "mémo" de 300 pages qui aurait été préparé par Benoît XVI pour son successeur n'est que conjecture de journalistes .
Vittorio Messori dans Il Corriere della Sera, se pose d'autres - et non moins intéressantes - questions.

     

Dialogue avec Ratzinger sur la cohabitation

À Castel Gandolfo la rencontre inédite entre les deux papes
La question non résolue de la résidence de l'émérite au Vatican
http://www.corriere.it
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Ces dernières semaines, il y a eu un usage intensif (et parfois abusif) de l'adjectif «historique», «épocal».
Mais l'événement d'aujourd'hui mérite d'être souligné: la rencontre - et dans un climat qui sera certainement d'une grande solidarité fraternelle - entre le pape régnant et celui émérite, est totalement inédite. Comme cela a été répété maintes et maintes fois ces jours-ci, il y a eu des exemples anciens de «renoncement papal», mais en des siècles mouvementés, épisodes à replacer dans le contexte de la lutte entre papes et antipapes. Le seul précédent comparable à celui qui a commencé le 11 Février est celui de Célestin V. Qui n'a certainement pas embrassé son successeur, en fait, Boniface VIII s'empressa plutôt de neutraliser le démissionnaire, craignant qu'il ne revienne sur son abdication. Le résultat final - après l'évasion par terre et par mer - fut que l'ex pape, Pietro da Morrone finit, à 86 ans, ses jours dans une cellule non pas d'un monastère mais de la forteresse où il était emprisonné.

Rien à voir, en somme, avec la rencontre prévue pour aujourd'hui à Castel Gandolfo. Probablement n'en saurons-nous rien sinon, qui sait quand, à partir du journal posthume de Joseph Ratzinger ou de Jorge Mario Bergoglio.
Et pourtant, assister à ce rendez-vous sans précédent serait parmi les souhaits les plus vifs non seulement de tous les journalistes mais aussi de tous les historiens de l'Église. L'archevêque de Buenos Aires a été créé cardinal lors du consistoire de 2001, donc par Jean-Paul II. Mais il est certain que sur son élection, l'indication de celui qui était alors préfet de la Foi a pesé: Ratzinger avait apprécié que Bergoglio aient été l'un des rares jésuites d'Amérique du Sud à ne pas approuver les perspectives des théologiens de la libération. Et même, il avait été pour cette raison la cible de critiques et d'accusations de ses confrères.
La rencontre d'aujourd'hui, par conséquent, n'est pas entre un «conservateur» et un «progressiste» - comme le voudrait la grossière lecture idéologique - mais entre deux serviteurs de l'Eglise conscients qu'il y a une différence entre la charité chrétienne et la lutte des classes, entre une homélie religieuse et un meeting politique, entre un prêtre du Christ et un guérillero. Ce ne sera même pas une rencontre entre un «jeune» et un «vieux»: Bergoglio a presque le même âge que son prédécesseur quand il a été élu.

Connaissant la délicatesse de l'homme Ratzinger, il y a des raisons de croire qu'il s'abstiendra de conseils, mais plutôt se limitera à attirer l'attention sur des questions restées en suspens. On parle d'une sorte de memorandum, préparé par Benoît XVI pour celui qui, après lui, devait porter le lourd fardeau de Pierre. Peut-être, mais on peut supposer que, même dans ce cas, l'intention était informative et non pas, comment dire, pédagogique, comme si le nouveau pape avait besoin d'être guidé. Le Pape désormais émérite a dit clairement, avant de prendre congé: son intention est «de disparaître aux yeux du monde», continuer à servir l'Eglise par la prière et non pas une collaboration - même discrète - au gouvernement de l'Église.

Bien sûr, il reste encore la question que beaucoup se sont posées: rester dans l'«enceinte du Vatican» ne rend-il pas plus difficile une telle intention de dissimulation? Je dois dire que, sans attendre, du moins à ce moment, la décision de la «démission», plusieurs fois j'avais réfléchi à ce qu'aurait pu être le refuge d'un Benoît XVI contraint par l'âge et le poids des problèmes à quitter son service.
J'avais pensé instinctivement à un retour à sa Bavière natale, où - dans de beaux endroits, souvent dans les forêts entourées de montagnes - survivent des monastères encore habités par des moines bénédictins. Mais l'âge et la santé fragile de l'homme ne conseillaient sans doute pas le rude climat alpin.
En Italie du Sud, alors? J'avais pensé à la Calabre, la Chartreuse de Serra San Bruno, où se trouve entre autres le corps du fondateur vénéré dl'ordre, Saint-Bruno, justement. Benoît XVI s'était rendu en pèlerinage dans le lieu saint. Mais une Chartreuse n'est pas le lieu approprié pour une personne âgée, nécessitant - en particulier dans une perspective d'avenir - une assistance constante. Les moines vivent dans l'isolement, dans une petite maison donnant d'un côté sur le grand cloître et de l'autre le verger-jpotager, qu'ils cultivent eux-mêmes. La petite infirmerie ne peut pas suffire.
Si l'on m'avait demandé d'indiquer une cachette possible pour le pape devenu émérite, je n'aurais pas hésité, pointant vers la Provence, le département du Vaucluse, au pied du Mont Ventoux: pour être exact, au lieu-dit Le Barroux. Ici, non seulement la température est idéale et le paysage magnifique, mais en 1970, a été fondée une abbaye si chère à Joseph Ratzinger que souvent, lorsqu'il était cardinal, il y séjournait quelques jours, tantôt incognito tantôt pour une visite officielle. En fait, le fondateur, Dom Gérard, n'acceptant pas que les Bénédictins, après le Concile, doivent abandonner le latin pour la liturgie, avait quitté son monastère pour en créer un qui perpétue la tradition et revienne à la stricte observance de la Règle. Ici, le chant grégorien est exécuté avec une telle perfection que les enregistrements sur CD sont appréciés dans le monde entier et nombreux sont les jeunes qui rejoignent comme novices, attirés par l'austérité de la vie. Ayant moi aussi fréquenté ce lieu au charme extraordinaire, j'avais su des Supérieurs, que d'abord le cardinal, puis le pape, avait confié que là pourrait être le lieu de son dernier refuge.

Et à la place, voici un Castel Gandolfo provisoire , et ensuite, peut-être définitifs, les jardins du Vatican. Le pape émérite a fait comprendre que cette proximité physique de la tombe de Pierre est un signe qu'il ne laisse certes pas l'Église, qu'il continuera à travailler pour elle avec le service de la prière. Des problèmes de cohabitation, a-t-il fait aussi savoir, il n'y en aura pas, compte tenu de sa vie retirée.
Le problème semble secondaire, mais il ne l'est pas, comme le savent bien les gens qui connaissent le milieu de l'Eglise, avec ses nuances. Il est clair que de la part du pape François, il y aura une acceptation totale, quel que soit le choix de son prédécesseur, mais il est probable que dans la rencontre très privée d'aujourd'hui, on parlera aussi de cet aspect nouveau dans une Eglise qui, en plus de deux millénaires, croyait avoir tout expérimenté. Tout sauf le singulier «condominium» dans le petit kilomètre carré de la Cité du Vatican, d'un pontife émérite et d'un régnant.

Vittorio Messori