La lettre de Jeannine du 15 mars (I)

Cette lettre n'est pas, je l'espère, la dernière, mais elle est particulièrement émouvante, car elle passe en revue, avec la minutie habituelle - et encore plus d'affection, si c'est possible - les dernières apparitions publiques du Saint-Père Benoît (16/3/2013)

Je laisse à mes lecteurs le plaisir de rechercher, dans ces pages ou ailleurs, les images, videos et textes se rapportant aux différents évènement.

Première partie

Chère Béatrice,

Je tiens ma promesse et vous envoie le dernier compte-rendu après la renonciation de Benoît XVI.

Si je veux être tout à fait honnête je dois dire que je comprends que certaines personnes et même des cardinaux se posent la question du pourquoi de cette décision brutale. Elle est présentée avec beaucoup de logique mais elle fait appel à un degré d'intériorité que je ne peux atteindre. Il faut faire le deuil de tout ce qu'il nous a donné, de sa présence, de son sourire et ce n'est pas très facile.

Depuis le 11 février il a préparé minutieusement, avec beaucoup d'amour, son départ de façon à n'oublier personne, à rassurer ceux qui auraient peur. Tout a été planifié, dans la simplicité, la dépersonnalisation. Les rencontres publiques : Angélus, audiences générales, se sont déroulées sans changements. L'ambiance était différente car la date du 28 février approchait mais il n'y a pas eu de programmation spéciale afin de donner un caractère inoubliable, sensationnel, à cette date. Il s'en va mais le Seigneur reste avec son Eglise, tout est en ordre et le bon serviteur peut se retirer. La semaine des exercices spirituels, dans un grand silence, a préparé à la séparation mais il était encore là et le VIS détaillait les actes pontificaux signés en fin de matinée.

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8 février, visite au Séminaire majeur de Rome
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Sa visite au Séminaire Majeur romain le 8 février l'a montré fatigué physiquement mais avec une vigueur intellectuelle remarquable.
Dans la chapelle l'attente était fébrile, joyeuse avec une bande de grands gamins très excités par cette visite et encore à l'abri du coup de tonnerre qu'un Saint-Père fatigué et très souriant leur réservait.
Dans cette atmosphère très animée l'attention s'est tout à coup cristallisée sur Benoît XVI, avec l'estrade mobile, qui rentrait dans la chapelle avec un visage serein, souriant sous des applaudissements chaleureux mêlés à beaucoup d'émotion.
Au milieu de cette jeunesse comment ne pas être frappé par la fragilité de notre Saint-Père: humble, serein, paternel. J'aime sa facilité pour s'agenouiller, son calme pendant les paroles fort chaleureuses de bienvenue du recteur au visage éclairé d'un sourire amusé, reflétant la profonde appréciation de ce temps accordé à ses jeunes.
Après un temps de prière et la lecture choisie, Benoît XVI s'est lancé dans une lectio divina d'une demi-heure, presque entièrement improvisée et dans laquelle on retrouvait Joseph Ratzinger qui offrait ses paroles mûries dans la prière, la lecture "intelligente" de tous les textes dont son savoir est nourri et qu'il maîtrise, ô combien! Elles s'écoulaient claires, précises, profondes, avec une fluidité liée à la parfaite connaissance du sujet. Dans ses interventions il expose tout: le pour bien sûr mais le contre n'est pas évité. Il sait que des objections vont être soulevées, existent dans son auditoire. C'est cela la formation: développer l'esprit critique afin d'étayer la vérité. L'arbre de l'Eglise n'est pas mourant, il se renouvelle sans cesse. C’est un motif d'espérance pour ses futurs prêtres et une grande joie pour eux puisque l'avenir appartient à Dieu et que la joie nous est donnée par son amour.
Les visages offraient une très grande variété d'expressions: attention, concentration, approbation pour les propos, étonnement devant cette parole exigeante qui leur était livrée si simplement. Certains paraissaient un peu dépassés par ce commentaire fouillé, cette somme de connaissances venant d'un pape âgé qui, plus que d'habitude, accompagnait par des gestes de ses mains devenues si fines sa pensée qui se répandait en abondance. Le regard s'éloignait de l'auditoire et rejoignait une présence invisible, cette lumière qui le guide depuis toujours... Viva il papa, tonnerre de longs applaudissements, des visages radieux, Benoît XVI retraversa la chapelle; ce soir il dîne au séminaire, c'est l'usage et il aime.


9-10 février
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Le 9 du même mois Benoît XVI descend à 12h dans la basilique vaticane, à la fin de la messe célébrée par le cardinal Bertone pour les 900 ans de la souveraineté de l'Ordre de Malte. Il va adresser un message aux participants. A son entrée il paraît épuisé, saluant avec un sourire tout juste esquissé. Le sourire revient lorsqu'il rencontre les organisateurs de cette cérémonie; pendant les paroles qui lui sont adressées, il semble loin. Sa voix est faible. Il prodigue aux membres des encouragements à poursuivre leur œuvre. Il souligne leur fidélité à l'Eglise, au successeur de Pierre et à leur physionomie spirituelle constitutive (RV). Il est très applaudi et pour les salutations il offre un visage souriant. Parmi ceux qui s'approchent j'ai remarqué des enfants en uniforme.
Le 10 février, un soleil radieux, un ciel bleu et une présence importante place Saint-Pierre pour l'Angelus avec des banderoles, des drapeaux. Benoît XVI apparaît à sa fenêtre embrassant toute la place de ses bras grands ouverts et une clameur de joie monte vers lui, beaucoup d'enfants sont présents. Il faut annoncer sans relâche le Christ à tous les peuples, sans se décourager. La vocation est œuvre de Dieu, il faut avoir confiance en sa force qui agit en nous. Après salué tous les groupes il souhaite une bonne semaine et rentre dans ses appartements.


13 février, avant-dernière audience
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Mercredi 13 février, une audience générale habituelle, la 347è du pontificat et la 7è pour l'année 2013; il faut lui ajouter un autre qualificatif: l'avant-dernière avant la fin du pontificat. La salle Paul VI est pleine: 8000 fidèles dans une ambiance joyeuse et grave avec chorales et chants.
Benoît XVI entre et c'est un accueil délirant, chaleureux, prolongé. Visage grave, yeux cernés, sans sourire, il salue et ses yeux scrutent la foule. Pour répondre à la salve d'applaudissements qui l'a accueilli , il commence par parler de la situation alors qu'il avait prévu de ne l'aborder qu'en fin d'audience, « comme vous le savez » et les applaudissements l'interrompent. Il remercie pour l'amour et la prière qui l'ont accompagné pendant les jours difficiles qu'il vient de vivre. Priez pour moi, pour l'Eglise et pour le nouveau pape. Benoît XVI, assis, remercie avec un sourire ému pour tout cet enthousiasme et cet amour qui déferlent sur lui et qui rendent la décision encore plus douloureuse sur le plan sentimental car il ne veut rien montrer. L'émotion chez les porte-parole est vive et c'est la première fois que celui des francophones bute sur les mots. La catéchèse est axée sur le Carême, paroles du Saint-Père : « ce n'est qu'en ‘perdant ‘ notre vie en Lui que nous pouvons la gagner.»
Après les paroles du Pape aux anglophones une chorale se produit et Benoît XVI applaudit très fort. Pendant que le porte-parole des lusophones parle notre Saint-Père ferme souvent les paupières mais à la fin des chants il sourit et ses doigts lancent des notes de remerciements, d'affection à ses frères et sœurs qui lui manifestent amour, reconnaissance, affection. Une chorale de langue arabe est applaudie par le Saint-Père de même que les Croates . Les Slovaques avec drapeaux, icône de la Vierge interprètent un chant et Benoît remercie. Pour finir les Italiens applaudissent et Benoît XVI, lunettes en main, écoute la chorale italienne d'enfants que l'on entend à peine mais que l'on voit interpréter un chant qu'il apprécie tout particulièrement. Comme son visage a fondu! A la fin de cette rencontre pleine d'enthousiasme, d'émotion, d'affection transmise, son visage est serein.


13 février, la dernière messe publique : les cendres
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Ce même jour la messe des Cendres a regroupé, pour cause d'affluence la masse des fidèles dans la basilique vaticane. Dans un premier temps, précédé par les cardinaux, Benoît XVI, à pied, gagne l'atrium et son siège. Visage calme, presque figé, dans un silence impressionnant. Je suis incapable de surmonter ma tristesse et il me semble qu'elle s'étend à toute l'assemblée. La procession se forme pour regagner l'autel pour la célébration. Sur son estrade mobile notre Saint-Père remonte lentement, visage fatigué, sans sourire et sans saluer. La foule est silencieuse, tous les appareils permettant de garder une dernière photo de lui sont actionnés et pendant ce temps la litanie des Saints accompagne toutes ces silhouettes en tenue violette, ce qui augmente la sensation de pesanteur et me rend anxieuse. La basilique est comble, un bébé dort dans les bras de sa mère. Je suis Benoît XVI des yeux et je trouve que même l'encensoir paraît lui peser. Pendant le Kyrie, debout, visage marqué, il est là mais déjà loin. Que d'efforts à faire pour remplir le programme qu'il s'est fixé afin que son départ ne soit pas considéré comme une fuite, une reculade devant les loups. La caméra passe sur les fidèles et en particulier sur les memores domini et Sœur Christine, celle qui veille sur Mgr Georg Ratzinger lors de ses périodes de présence. L'homélie toujours aussi profonde ne fera qu'une brève allusion aux circonstances particulières de cette dernière célébration publique : le changement de lieu. Il complète par des remerciements et demande de se souvenir de lui dans la prière. Cette brève digression est habilement glissée dès l'introduction qui annonce le thème choisi, le Carême. J'ai retenu particulièrement deux phrases :
« Le vrai disciple ne se sert pas lui-même ou le ‘public’, mais son Seigneur, dans la simplicité et la générosité ».
« Commençons confiants et joyeux notre chemin de Carême ».
Monsieur Gänswein entre Mgr Sapienza et un autre prélat affiche un visage grave. La célébration se poursuit avec la bénédiction des Cendres par le Pape; c'est le cardinal Comastri qui les impose au Saint-Père qui, à son tour, va faire de même avec des prélats, des religieux et des fidèles. Au moment de la consécration des offrandes, sa voix est moins assurée et chaque geste doit lui demander un effort particulier. Il donne la communion et un fidèle embrasse l'anneau du pêcheur. Pendant le temps de méditation Mgr Gänswein lit un document, met ses lunettes, comme il est loin le temps où il faisait si jeune. Son sourire manque cruellement. Benoît XVI, calme, paraît perdu dans ses pensées. La courte adresse du cardinal Bertone va mettre le comble à l'émotion: un cérémoniaire pleure, il n'est pas seul, j'ai eu l'impression que notre Pape, avec son visage calme, amaigri, n'était pas loin des larmes.. Les longs applaudissements reprennent après la bénédiction, aussi soutenus mais empreints d'une certaine retenue, pleins d'émotion. Mgr Guido Marini l'entoure d'une infinie précaution pour lui faire quitter l'autel et retraverser la si longue allée centrale. Les applaudissements continuent de crépiter, les mains s'agitent pour lui dire au revoir, une religieuse essuie discrètement ses larmes. De sa plate-forme Benoît XVI, maintenant, sourit, salue, tel un bon serviteur il a accompli une étape de ce qu'il s'est fixé de faire. Je me réconforte en me disant qu'il y a encore quinze jours avant .....


14 février, Rencontre avec le clergé
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Une rencontre touchante réservée à son clergé le 14 février dans l’Aula Paul VI.
Là il retrouve les évêques auxiliaires, les curés, les prêtres, des religieux. Il a un peu de retard et une fois de plus je suis inquiète mais il arrive. Il est accueilli par le cardinal Vallini avec lequel il a un long échange avant de gagner à petits pas, lentement et aidé de sa canne sa place dans la grande salle, son visage est figé. L'accueil du clergé est enthousiaste, chaleureux, nourri par des longs applaudissements. Benoît XVI sourit, salue bras largement ouverts puis mains jointes, son regard vif parcourt l'assemblée. Il introduit ce temps de rencontre par la prière et s'assied pour écouter les mots d'accueil du cardinal visiblement très ému qui lui adresse des paroles chargées d'émotion, d'affection mais aussi de tristesse, un prêtre pleure. Il le remercie pour cette rencontre accordée à tout le clergé de Rome, pour sa vision élevée de la vie sacerdotale, pour son magistère accueilli comme une richesse. Tous les sentiments passent dans son discours : admiration, affection, fierté, respect, regret, tristesse. Applaudissements pour les mots du cardinal qui s'agenouille devant Benoît XVI, l'accolade entre les deux hommes est spontanée et très chaleureuse. Pour répondre au souhait formulé, notre Saint-Père, sans texte, va faire revivre à cette assemblée le Concile, son Concile, pas par un discours pontifiant, bourré de références mais par un bavardage très simple, vivant, plein d'humour quoique de haute teneur et ce pendant quarante-cinq minutes. Le cardinal Vallini, assis à sa gauche, boit littéralement ses paroles.
Moi devant l'écran de télévision j'écoute religieusement et je me dis que tout cela sera à relire en évitant d'y associer le visage pour ne pas avoir mal. Sa voix est ferme, ses mains accompagnent les mots qui viennent aisément. Il exprime son émotion, sa gratitude, sa joie de voir encore son clergé de Rome avant de quitter son ministère. Son visage reste serein, yeux fermés parfois, un sourire voire un rire souligné par les applaudissements du clergé au récit d'une anecdote, beaucoup de conviction. C’est une histoire vécue, racontée avec simplicité et avec une mémoire étonnante; il donne le sentiment de le vivre encore. La rencontre se termine sous les applaudissements qui crépitent intensément. Après le Notre Père différents prélats et autres viennent le saluer, j'ai retenu la tape amicale sur l'épaule du Saint-Père de la part d'un prêtre très souriant. Accompagné par la plus ancienne prière à Marie : sous l'abri de ta miséricorde, Benoît XVI regagne ses appartements.


Derniers angelus
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Les Angélus des 17 et 24 février ont attiré une foule importante sur la place Saint-Pierre.
Pour celui du 17 les officiels de Rome sont présents. Le temps est magnifique, un nombre de fidèles très important, la place noire de monde. Des drapeaux, des banderoles, beaucoup d'émotion : « tu nous manqueras », « grazie », « nous t'aimons » et tant d'autres encore. Le Saint-Père à sa fenêtre, bras largement ouverts, embrasse toute la place. Les applaudissements fusent pendant qu'il parle, et à la fin une ovation monte vers lui. Benoît XVI remercie, sourit mais se retire comme d'habitude « bon dimanche, bonne semaine ».
C'est l'avant-dernier Angélus.

Dimanche 24 février, dernier Angélus avant la renonciation. Le temps est incertain mais des dizaines de milliers de pèlerins se déversent vers la place Saint-Pierre. C’est une ambiance familiale, tous les âges et toutes les nationalités se rencontrent dans ce flot incessant qui afflue pour dire merci, au revoir à ce pape qui se retire. Les drapeaux, les banderoles, les cris d'affection montent de la foule vers cette fenêtre où il va apparaître et c'est une ovation qui salue son apparition. Comme d'habitude il sourit, accueille et explique que le Seigneur l'appelle - longs applaudissements - à se donner entièrement à la prière, à la méditation. Il n'abandonne pas l'Eglise, il lui reste totalement donné mais sous une forme plus adaptée à son âge et à ses forces. Pour lui c'est aussi simple que cela, les journées passées ont été peu faciles mais sa voix est posée, calme, tout est en ordre. A la fin des messages aux différents groupes il remercie le Seigneur pour le rayon de soleil qui éclaire cette journée. « Bon dimanche, bonne semaine », il se retourne et quitte la fenêtre alors que les cloches sonnent à toute volée. Philippine de Saint-Pierre remarque que le Pape a été profondément recueilli et exceptionnellement affectueux.

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A suivre