La prophétie de Saint Malachie

Des précisions érudites de l'internet ibérique, traduites par Carlota (11/3/2013)

Certes "la prévision est un art difficile, surtout quand elle concerne l'avenir" (Pierre Dac). Mais il faut savoir aussi cueillir les aspects positifs.

     

À propos du Conclave le prêtre espagnol Luis Santamaría, membre du Réseau Ibéro-américain d’études des Sectes (et l’on sait combien elles prospèrent dans l’Amérique latine qui fut si catholique, sans parler des mouvements « New Age », mais aussi malheureusement d’églises protestantes ou néo-protestantes venant évangéliser les « catholiques idolâtres du Pape »), est revenu récemment sur le dernier Pape soi-disant prédit par Saint Malachie.
J’ai repris deux articles où il évoque le sujet.
(Carlota)

     

« Il y a une soif de transcendance chez ceux qui croient dans les prophéties sur la fin du monde »
(www.sotodelamarina.com)

La fin du monde s’approche si les cardinaux élisent un Pape noir ou si le prochain pape ose s’appeler Pierre ou si on lui trouve un lien quelconque avec l’expression « Petrus Romanus » (ndt: Pierre le Romain).
A chaque conclave, comme à chaque changement de siècle, apparaissent les versions les plus ésotériques des prophéties qui donnent d’une manière hypothétique une date à la fin du monde.
Quelques petites heures après avoir appris la renonciation de Benoît XVI les maisons de paris britanniques avaient déjà leur candidat favori, le cardinal ghanéen Tukson, avec un profil adéquat pour le pontificat et une particularité : il était noir. Une des nombreuses interprétations des fameuses prophéties de Nostradamus situe la fin du monde au moment où le siège de Saint Pierre sera occupé par un Pape noir (ndt: Nostradamus avait peut-être entendu parler du pharaon noir ou du Négus éthiopien quand il écrivit ses histoires !).
La société, plus encore en temps de crise, cherche, inquiète, quelque sens de transcendance et se satisfait facilement de « cet ésotérisme morbide ».
Et le Père Santamaría de poser la question : Mais comment est-il possible qu’une partie de la société admette, par exemple, la fin du monde maya et quand l’erreur est démontrée, « change de continent et de cosmovision », pour croire, par exemple, à la supposée prophétie de Saint Malachie ?
Il trouve néanmoins que l’on peut extraire quelque chose de positif de cette curiosité morbide partagée par beaucoup; cela peut être une porte ouverte à la formation de personnes qui n’avaient jusque là aucun contact avec la vie de la foi.
Le Père Santamaría explique ainsi que parler de Saint Malachie et démonter, avec des arguments rationnels, sa prophétie lui permet « de parler de ce saint pour expliquer l’identité de la papauté ou comment s’établissent les formes de gouvernement ». De la même façon autour de la prophétie du 21 décembre cela a développé un tel degré d’émotion que cela a permis à la hiérarchie catholique de l’Amérique hispanique d’expliquer largement diverses questions en relation avec la fin du monde.

     

Saint Malachie a vraiment existé et est reconnu comme un saint par l’Église catholique
(www.aleteia.org)
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I. Saint Malachie est un personnage qui a vraiment existé et qui est reconnu comme un saint par l’Église catholique.
Devant le risque d’entacher de légendaire tout épisode historique peu clair, d’abord il faut affirmer que Saint Malachie d’Amargh, évêque irlandais, est un personnage historique. Le résumé qu’en fait le Martyrologue Romain (le catalogue des saints reconnus par l’Église catholique), le jour de sa mémoire liturgique, le 2 novembre, est le suivant : « Dans son monastère de Clairvaux, en Bourgogne, sépulture de Saint Malachie, évêque de Down et Connor , en Irlande, qui restaura là-bas la vie de l’Église, et quand il était en chemin vers Rome, dans le dit monastère, en présence de l’abbé Saint Bernard, il remit son esprit au Seigneur (1148) ».
À un moment difficile pour l’Église en Irlande, après des années de violentes incursions des barbares et un grand relâchement dans la foi et les coutumes, le jeune Malachie fut ordonné prêtre après avoir vécu comme un ermite. Il fut remarqué par son esprit de pauvreté et par son zèle évangélique, en étant un référant dans la vie monastique de son temps, et alors qu’il avait trente ans il fut nommé évêque de Down et Connor. Plus tard il dut prendre la charge du siège métropolite d’Armagh non sans beaucoup de difficultés, et après y avoir rétabli la paix il revint à son ancien diocèse. Lors d’un voyage à Rome, il connut Saint Bernard en passant par Clairvaux, et celui-ci devint son ami et son admirateur, allant jusqu’à écrire sa biographie. Lors d’un autre de ses voyages, il mourut en 1148, précisément à Clairvaux, dans les bras de l’initiateur cistercien, qui l’honora comme un saint. Par la suite il fut canonisé (1190).

II. Saint Malachie fut considéré comme un saint faiseur de miracles et visionnaire. Parmi ses prophéties on lui attribue une liste des Papes depuis son époque jusqu’à la fin du monde.
Dans son hagiographie, on raconte différents miracles et prédictions, parmi celles qui se détachent celle de sa propre mort et quelques unes sur l’Église de son temps et sur sa patrie. Néanmoins son nom est lié actuellement à une prophétie sur la papauté, qui est de nouveau mise dans l’actualité à des moments comme celui-ci, quand la succession sur le siège épiscopal de Rome est présente.
Il s’agit d’une liste de 112 Papes, comprenant la période depuis Célestin II, qui a inauguré son pontificat en 1130, jusqu’à la fin du monde. Le plus curieux et énigmatique de cette prédiction c’est que chaque Pape va, désigné avec une devise brève en latin, qui est présumée refléter sa personnalité ou les circonstances historiques de son ministère. Ainsi si nous prenons les devises qui correspondraient aux derniers Papes, nous trouvons avec « Pastor angelicus », pour Pie XII ; « Pastor et nauta « » pour Jean XXIII, « flos florum » » pour Paul VI, « de medietate lunae » pour Jean Paul Ier, « de labore solis » pour Jean Paul II et enfin « Gloria olivae » pour Benoît XVI. Le dernier pontife, le numéro 112, a comme devise « Petrus romanus » et le texte de la prophétie est plus explicite que dans le reste du catalogue : « Dans la persécution finale de la Sainte Église régnera Pierre le Romain, celui qui donnera à manger à son troupeau au milieu de beaucoup de tribulations. Après cela la ville aux sept collines sera détruite et le juge craint jugera son peuple. La fin ». A coup sûr inquiétant.

III. La première attribution de la liste des Papes à Saint Malachie date de la fin du XVIè siècle, presque 450 ans après sa mort et tous les indices montrent qu’elle est fausse.
Là, nous nous trouvons avec quelque chose qui ressemble à ce qui arrive avec la célèbre prière : « fais de moi un instrument de ta paix » qui est attribué à Saint François d’Assise alors qu’il en résulte que ce texte n’a pas été connu jusqu’au XIXème. La première apparition de la liste des Papes supposée rédigée par Saint Malachie date de 1595, presque 450 après la mort du prélat irlandais. Il n’y a aucun texte antérieur, ni, évidement, de manuscrit original ni rien qui y ressemble. Un historien bénédictin, Arnold de Wyon publia cet année-là le document prophétique (« une certaine prophétie », l’a-t-il appelé) et c’est lui qui l’a attribué à Saint Malachie.
Il y a plusieurs raisons de poids, en plus de ce que j’ai déjà dit, pour rejeter la qualité de l’auteur de cet écrit. Par exemple le principal biographe de l’archevêque irlandais que fut Saint Bernard de Clairvaux, raconte dans son œuvre les miracles et prédictions, mais ne parle en rien de la liste des Papes. Aucun auteur ne le fait non plus avant 1595. Nous n’avons pas d’éléments pour établir son origine et par conséquent nous ne savons pas si le moine Arnoldo a trouvé le texte et l’a accepté d’une façon non critique, ou s’il la composé lui-même directement. Nous sommes dans ce que l’on appelle en littérature « une pseudo-épigraphie », c'est-à-dire l’attribution d’un document à un auteur pour gagner en autorité et crédibilité mais en étant fausse la qualité de l’auteur.
Un élément interne très intéressant au moment de juger le texte est, en outre, la réalisation ou non des prédictions. L’apologiste catholique Jimmy Akin, de Catholic Answers, a fait une étude exhaustive (ndt: à voir ici en anglais, le tableau est éclairant!) des noms qui apparaissent dans la liste des Papes et il assure , chiffres en main, que pour ceux d’avant 1590, l’indice de réalisation des prophéties est de 95%, tandis que pour ceux d’après cette date ils sont satisfaisants dans 8% des cas. La composition du document autour de cette date, est par conséquent, quelque chose de plus que probable. Il a aussi été noté que les faits qui se sont confirmés et les erreurs dans les devises latines coïncident dans une grande mesure avec une œuvre écrite au XVIè siècle par l’augustin Onofrius Panvinius (ndt: ici), "Epitome Romanorum pontificum".

IV. L’Église n’a jamais accepté cette prophétie, et beaucoup d’auteurs l’ont rejetée d’une façon tranchante.
D’abord il faut préciser, une fois de plus, que l’Église considère que ce qu’on appelle « les révélations privées » ne complètent pas la révélation divine, qui a été faite définitivement dans le Christ, mais qu’elles aident à la vivre à un moment historique déterminée (Catéchisme de l’Église Catholique, 37). Même si certaines disposent d’une reconnaissance officielle de l’Église, elles n’ont pas une autorité qui exige la foi des chrétiens. Comme l’a écrit en 2000 quand a été rendu public le troisième secret de Fatima, le cardinal Ratzinger à l’époque : «c’est une aide qui s’offre, mais il n’est pas obligatoire d’en faire usage ».
Cela dit, il faut affirmer que l’Église catholique n’a jamais accepté la liste des Papes attribués faussement à Saint Malachie. Dès son apparition, nombreux ont été les auteurs qui l’ont rejetée comme apocryphe. L’illustre essayiste espagnol Benito Jerónimo Feijoo, bénédictin comme Wyon, a écrit dans son « Théâtre critique universel » (1726-1739), en ce qui touche aux astrologues et devins, que leur prédiction « est applicable à mille événements différents, usant de ce même art que pratiquaient dans leurs réponses les oracles et le même dont s’est prévalu le Français Nostradamus dans des prédictions, comme aussi celui qui a fabriqué les prétendues prophéties de Malachie ». Des historiens comme Papebroeck, Ménestrier, Harnock, Thurston, et Vacandard ont fait une sévère critique de la prophétie.

V. Que penser alors des prophéties faussement attribuée à Saint Malachie?
Certains peuvent penser qu’il y a quelque chose de vrai, mais tout ce qui paraît réalisation doit être considéré comme une simple coïncidence, il faut prendre en compte que, comme dans le cas de Nostradamus et de tant d’autres visionnaires, est employé un langage sibyllin ou d’oracle, un langage suffisamment vague pour qu’on puisse « démontrer à postériori » sa réalisation. Il suffit d’être un peu habile en mélangeant des catastrophes et des événements heureux pour écrire quelque chose qui puisse s’appliquer aux faits à venir sans beaucoup de difficultés.
Et pour le comprendre servons-nous d’un exemple bien connu de la mythologie classique : alors que Crésus, roi de Lydie au VIème avant JC, se préparait pour la bataille contre Cyrus le roi de Perse, il consulta le célèbre oracle de Delphe, et il reçut comme réponse que s’il s’agissait d’un combat un empire serait détruit. Encouragé par ce qu’il considérait comme un bon augure de victoire, il se lança dans la bataille avec d’autres puissances alliées et ils furent vaincus, accomplissant ainsi la prédiction, mais pas comme il l’avait imaginé : c’est son empire qui a disparu.
Une personne qui a la foi ne peut vivre en étant suspendue à ces annonces, - qui n’ont rien d’infaillible, évidemment, des annonces qui prétendent connaître à l’avance le futur. Le faire c’est laisser de côté la confiance dans la Providence divine et la responsabilité humaine dans la construction de l’histoire. Il n’y a que Dieu qui sait le jour et l’heure de la fin, et c’est pour cela que la vie sur terre est marquée par la vertu de l’espérance.

     

Notes de traduction (qui ont un peu l’air d’un scénario de film !)
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Arnold de Wyon . Il apparait donc comme originaire de Douai. À l’époque la ville devait appartenir à l’héritage bourguignon des Habsbourg, donc aux Flandres Espagnoles. C’est à l’Université catholique de Douai que seront notamment formés les séminaristes catholiques des îles britanniques, à la suite des persécutions puis de l’interdiction du catholicisme en Angleterre par Henri VIII. À l’époque les guerres menées par les rois et princes protestants font rage contre les autorités catholiques notamment en Flandres.
Par ailleurs j’ai découvert récemment un texte (un ouvrage d’un prêtre historien du XVIIème) qui évoque la présence vers 1560 d’un prédicateur, ancien dominicain espagnol, devenu ministre du culte, marié et prêchant dans un diocèse excentré du Nord-Ouest de la France. Je pensais jusque là que les prédicateurs étaient plutôt français ou francophones et étaient venus via Genève et Calvin. Cet ex-dominicain avait-il quitté les Flandres espagnoles?!
Pour en revenir à Arnold de Wyon, on peut se poser vraiment beaucoup de questions sur son texte. Dans une ville universitaire comme Douai il a pu, sans doute et sans difficultés, prendre connaissance de l’œuvre d’Onofrius Panvinius, la récopier et éventuellement rajouter quelques papes à suivre pour rendre plus palpitants et vendables son ouvrage. La soif de prédictions (rappelons nous comme déjà Saint Augustin fustigeait ses contemporains par rapport à l’horoscope) est d’autant plus forte quand les temps sont troublés. Par ailleurs l’on a du mal à croire que le récit d’Arnold comprenant une partie avec des prédictions ait pu recevoir l’imprimatur de l’évêque ? Cette procédure d’imprimatur existait sans doute à l’époque.

Un scénariste pourrait y voir une œuvre de propagande subtile anti-papiste élaborée par un crypto-hérétique (hérétique était le nom initialement donné aux adeptes de cette nouvelle religion qui sera ensuite dite prétendue réformée) : Plus fort encore que « Le nom de la Rose » !

Il serait pourtant tellement mieux d’admirer le grand travail de recherche historique réalisé par Onifrius Panvinius. Mais au XXIème siècle comme au XVIè c’est sans doute bien plus vendeur de parler de prédiction sur « l’avant dernier » Pape qui va être bientôt élu !