Le pape François et une chanson de Gardel

Un texte de Carlota, qui essaie, comme beaucoup de nous en ce moment, de comprendre le nouveau Pape, et de l'accueillir sereinement (22/3/2013)

Image ci-contre: Carlos Gardel, chanteur compositeur de tango naturalisé argentin (1890 ?-1935)

     

Le pape François et une chanson de Gardel
Carlota
20/3/2013
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Je suis actuellement témoin de l’expression de beaucoup d’opinions contraires par rapport au nouveau pape François. Mais je crois que même en Argentine, il ne laissait personne indifférent. J’ai lu un article d’un curé de bidonville de Buenos Ayres parlant de son ex-évêque et qui disait : ou les gens le détestent ou ils l’adorent.

Il est évident que chez les catholiques « non adultes » pour employer le langage de l’adversaire, il y a un énorme désarroi par rapport à l’élection du cardinal Jorge Bergoglio. J’ai même vu le rédacteur d’un blog hispanophone qui est tenu par un honnête homme dans le meilleur sens du terme, qui a pris l’attitude (que je respecte) très espagnole (catholique) de l’auto-flagellation morale : Si Benoît XVI (l’auteur de l’article l’aime beaucoup) est parti c’est que nous n’avons pas pendant son pontificat assez prié pour lui, c’est de notre faute, notre très grande faute…

Il est évident que le Pape François n’a pas le même langage simple et lumineux que Benoît XVI, ni le même caractère et tempérament, et c’est tout à fait normal, ce sont deux hommes différents. Quelle surprise ! Par ailleurs la sur-représentation qui est faite de François pas les médias n’aide pas, pour ceux qui ont une sensibilité plus traditionnelle, à rester très sereins. Mais pourquoi attacher tant d’importance à ce que serait François avant de le voir agir, alors même que nous avons tant critiqué la présentation qui était faite de son prédécesseur par les médias ? Les journaux seraient-ils devenus objectifs et équilibrés au changement de pontificat ? Un miracle à faire enregistrer au Vatican !

Je comprends néanmoins l’inquiétude de certains car leur reviennent à la mémoire toutes les injustices qu’ils ont subies à la grande époque des furieux (certains encore bien vivants) de l’esprit dit conciliaire (un esprit qui faisait bien mal écho à l’étymologie commune d’entente et conciliation) qui voulaient faire commencer l’Église aux années 1960, critiquant au mieux, effaçant au pire tout le reste (une attitude qui correspond bien aux habitudes des régimes totalitaires que certains avaient pour modèle en la personne idéalisée d’un certain Ernesto dit le Che pour sa façon très argentine de s’exprimer !). C’est comme si l’on avait voulu créer un homme nouveau de rien. Alors de penser que ce Pape François pourrait les priver, les catholiques de sensibilité plutôt d’avant le Concile, de tout ce que Benoît a tenté d’apporter, peut entraîner une angoisse qui exclut un minimum de rationalité pour n’être plus que sensations. Il ne faut pas, je crois céder, à cela. Il faut se rappeler combien notre bien aimé Pape désormais émérite nous a dit et redit, martelé même, mais avec une pointe de diamant et pas un marteau piqueur, la double nature de l’homme sans laquelle il n’est pas homme, la raison et la foi, le cœur et l’esprit.

Pensons aussi que le Pape François n’a pas le même passé que le Pape Benoît, ni la même vie, bien évidemment. On ne peut comparer l’adolescence d’un gamin de la mégapole toute moderne de Buenos Ayres, toujours en pleine extension et transformations, avec des vagues d’immigrés successifs du monde entier, lui le fils d’Italiens piémontais, dans l’Eldorado que représentait à l’époque l’Argentine (dont le nom était déjà tout un programme) et à l’époque de l’Âge d’Or de son pays, à celle d’un jeune Allemand du sud, fils d’un gendarme de campagne, élevé dans un petit village de Bavière sous le nazisme. Ils n’ont pas non plus la même formation, l’un est jésuite et l’autre plus profondément bénédictin d’esprit. L’un avant d’être pape était archevêque à l’époque notamment de la terrible crise économique de son pays (on l’a peut-être oublié, mais l’Argentine de la fin du XXème siècle c’était pire que la Grèce actuelle, avec émeutes, banques prises d’assaut, troc et marché noire, sans parler du reste). L’autre a tenu à bout de bras et dans l’ombre la papauté, avec un Jean-Paul II, qui bien évidemment par son état de santé, ne pouvait plus maintenir le gouvernail de la barque de Pierre.
L’éclairage de François ne sera peut-être pas celui de Benoît comme le phare de Cordouan n’a pas les mêmes rythmes et scintillements que ceux de la Hague ou de Ouessant, mais le phare remplira son office.
Les pessimistes (et encore une fois l’accueil suspect des journalistes de la große presse peut être anxiogène) voient déjà le pontificat à venir en contre-jour et au bilan mitigé voire négatif, comme celui de Paul VI, et pourtant Paul VI est un pape à redécouvrir ne serait-ce que pour son encyclique qui mettait en garde contre la culture de mort d’une façon prophétique, mais ce n’est pas ce que les catholiques progressistes auront voulu reconnaître de son pontificat…ne parlant que de Concile et d’Église de notre temps, tandis que les autres y voyaient trahison et fin d’un monde.

Alors, s’il convient, parce que nous sommes catholiques, des hommes que Dieu n’a pas voulu marionnettes, mais libres, de garder notre droit à la saine réflexion voire à la critique, notre Pape François n’est infaillible que sur ce qui est défini par le dogme, comme ces prédécesseurs, il a ses qualités et ses défauts, il n’est pas Benoît mais il est notre nouveau Pape. Et il n’y a pas de raison de sombrer dans une béate allégresse, pas plus dans un pessimiste morbide. Les temps sont durs, nous le savons, et parce que toujours Dieu nous a créés libres, il ne nous envoie pas un montreur de marionnettes qui va gérer son théâtre à sa guise, à coup de tours de magie et nous accorder tous nos désirs d’un coup de baguette magique. Nous avons un nouveau successeur de Pierre. Et si la prudence est vertu, refuser l’espérance est péché.

Pour conclure, et même si c’est banal, je dirais que l’éclairage du pontificat de François ne sera pas exactement le même, sans doute, que celui de Benoît. Ces éclairages seront de forme et d’intensité différentes mais ils guideront pourtant nos âmes à la dérive dans des temps terribles. Ces éclairages, même si c’est tout aussi banal et encore moins rationnel (mais pas plus que les angoisses ou à l’inverse les délires de joie, des uns et des autres aujourd’hui au changement de Pape) je les comparais à deux musiques qui m’émeuvent toutes autant mais différemment, l’une me saisit l’intellect avant d’atteindre mes entrailles l’autre est un coup de poing au ventre qu’ensuite je rationalise (je sais c’est une perception très féminine mais que je la revendique). C’est ce que j’éprouve en écoutant « La petite musique de nuit » de Mozart puis Gardel chanter la « ragazzina » (petite fille en italien mais qui fait partie du vocabulaire de Buenos Ayres, compte tenu de l’importance de l’immigration en provenance d’Italie), dans l’un de ses fameux chefs d’œuvre « Aquella cantina de la ribera » et où il est dit, dans l’accompagnement des guitares qui pleurent :

« Brillant dans les ténèbres du port désert
Comme un vieux phare, la cantine était là
Appelant les âmes sans port d’attache
Parce qu’elles ont oublié le chemin de la mer.