Pas d'état de grâce pour Benoît

A huit années de distance, il est éclairant de relire l'éditorial de Michel de Jaeghere dans le hors-série du Figaro d'avril 2005... et de comparer avec la "papomania" suspecte de ces derniers jours (21/3/2013, mise à jour)

>> Je l'ai ressorti de mes archives, et l'ai scanné. Un éditorial par beaucoup d'aspects réellement prophétique, sur ce qu'a été le Pontificat de Benoît XVI, et qui jette une lumière sur la satisfaction des medias en accueillant son successeur.
On objecte (et même les meilleurs des observateurs!) qu'il s'agit pour ce dernier du phénomène classique de "l'état de grâce", et que la lune de miel de François avec les medias prendra fin très bientôt, "dès que l'on passera aux choses sérieuses".
Fasse le Ciel que cela soit vrai, sinon, ce serait franchement suspect.

Mais l'article ci-dessous, datant de 2005, prouve justement que, cet état de grâce, BENOÎT XVI N'EN A JAMAIS BÉNÉFICIÉ!!

     

Pour lui, il n'y aura pas eu d'« état de grâce ».
-----

La joie immense
des 150 000 fidèles qui s'étaient regroupés à la hâte, place Saint-Pierre, dès l'annonce de la fumée blanche, l'émotion des millions de fidèles qui ont découvert, sur les écrans de leurs télévisions, le visage rayonnant et comme métamorphosé du nouveau pape répondant aux acclamations depuis la loge de Saint-Pierre, n'étaient pas retombées que radios, télévisions, journaux bruissaient de la déception des catholiques autoproclamés qui se succédaient sur les plateaux pour dire leur inquiétude d'une dérive « conservatrice » de l'Eglise, condamner l'étroitesse des vues du « gardien du dogme », déplorer qu'on ne puisse attendre de Benoit XVI qu'il revienne sur les enseignements moraux de son prédécesseur.
La parenthèse bienveillante qui avait vu les médias internationaux s'associer à la tristesse des catholiques, à l'annonce de la mort de Jean-Paul Il, était brutalement refermée. On n'avait pas pris garde qu'elle les avait vus célébrer, en Karol Wojtyla, non le chef de l'Eglise, mais l'homme de dialogue, le voyageur infatigable, un « expert en humanité ». Qu'en reprenant en boucle les images de sa vie, de sa mort ou de ses funérailles, la société médiatique se souciait peu de lui rendre hommage: qu'elle s'accaparait en réalité son image, son aura, sa popularité, pour tenter de réduire le rôle du pape à celui d'une sorte d'animateur spirituel du village planétaire : le dalaï-lama de l'Occident. Celui qui apporterait un supplément d'âme au matérialisme mercantile sans fatiguer inutilement le consommateur avec des inquiétudes spirituelles qu'il ne fallait pas prendre au premier degré.
Nullement gênés par leur éloignement personnel du catholicisme, les experts avaient leur idée sur la personnalité qu'il convenait de choisir pour lui succéder et donner à leur rêve toute l'ampleur souhaitée : un cardinal du tiers-monde militant pour l'annulation de la dette des pays pauvres et la justice sociale sans nous accabler de préceptes et d'interdits d'un autre âge ferait pleinement l'affaire. Il vendrait les trésors du Saint-Siège, braderait l'héritage doctrinal de l'Eglise, se ferait acclamer au forum de Porto Alegre, et rendrait aux chrétiens leur liberté. Il n'était même pas nécessaire qu'il jouât du saxophone. On vendrait du papier, et l'on aurait la paix.

Ce que l'on sait de Benoit XVI, par la lecture de ses discours et de ses livres, l'étude de son action à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la foi laisse penser que son pontificat ne ressemblera guère à cette épure. Il ne croit pas que l'Eglise ait besoin de changement, mais de conversion, d'innovation, mais de sainteté. Que l'urgence n'est pas de « démocratiser » ses structures, mais de se laisser habiter par Dieu. Rendant hommage à Jean-Paul II, lors de ses funérailles, il est notable que ce ne sont pas les images médiatiques de son prédécesseur, ses performances sportives, ses audaces inédites qu'il a soulignés, mais l'abandon à la Providence qui a guidé son existence. En choisissant le nom de Benoit, le nouveau pape a pris celui du fondateur du monachisme en Occident : celui qui, depuis la clôture de son monastère, fut à l'origine de la christianisation d'une Europe dévastée par les invasions barbares, et vainquit le paganisme en faisant fleurir la chrétienté. Benoit XVI est convaincu que c'est dans la déchristianisation de l'Europe, son refus d'assumer l'héritage des valeurs chrétiennes qui ont fondé son histoire, que se trouve la racine des maux dont souffrent l'Eglise et le monde.
Deux sermons prononcés dans les jours qui ont précédé son élection ont valeur de programme. Le premier l'avait été à l'occasion du chemin de croix, au soir du Vendredi Saint. Il y décrivait l'Eglise comme « une barque qui prend l'eau de toutes parts », un champ « où nous voyons plus d'ivraie que de bon grain ». Le deuxième avait été fait, à Saint-Pierre, devant les cardinaux, à l'occasion de l'ouverture du conclave. Il y fustigeait le « relativisme » qui tient lieu de credo à l'Occident, et les tâtonnements d'aveugle qui ont fait passer les peuples « du marxisme au libéralisme, jusqu'au libertinisme, du collectivisme à l'individualisme radical, de l'athéisme à un vague mysticisme religieux ».
Le diagnostic est sans ambigüité. Il indique le cap. Benoit XVI entend que son pontificat soit celui de la remise en ordre d'une Eglise tiraillée par des forces centrifuges et de la réévangélisation des terres qui autrefois furent chrétiennes et d'où était parti l'élan de la Mission. Il pourra s'appuyer sur les forces qu'a fait sourdre la papauté charismatique de Jean-Paul II, la visibilité retrouvée du catholicisme que lui a léguée son prédécesseur. Il aura contre lui la modernité triomphante, pour qui le Christ est plus que jamais signe de contradiction. Pour mener à bien sa révolution conservatrice, tâche immense, il lui faudra d'abord restaurer le principe d'autorité : faire redécouvrir aux fidèles eux-mêmes que la Foi est un acte d'amour et d'obéissance par laquelle le chrétien soumet son intelligence à l'autorité de l'Eglise ; que, selon ses propres termes, « le dogme n'est pas une muraille, mais une fenêtre ouverte vers le ciel ».