Que fait la France au Mali?

Carlota me transmet cet éditorial signé Marc Fromager, le directeur d'AED (22/1/2013)

Il est évidemment délicat pour un français de commenter à chaud un évènement où des soldats français sont impliqués.
Je me suis abstenue de faire des commentaires (qui seraient forcément au niveau de la conversation de bar), ou même de reproduire des articles ou des videos (comme par exemple une intervention devant le parlement de son pays d'un député belge à la réputation de "populiste", Laurent Louis... qui ne disait sans doute pas que des insanités) qui me sont passés sous les yeux, parce que je ne savais pas quelle part de vérité ils contenaient.
Il n'est toutefois pas interdit de s'interroger.

Marc Fromager, responsable de l’Aide à l’Église en détresse, pour la France, donne il me semble dans sa dernière lettre, un bon résumé de la situation. Nous sommes bien à un tournant historique pour notre pays, la France. Nos hommes politiques auront-ils le courage de choisir le bon chemin, tant qu’il est encore temps de le faire et que la France est encore la France ?

Texte ici: http://www.aed-france.org/actualite/mali-libye-syrie-tout-nous-reussit/
(Carlota)

MALI – LIBYE – SYRIE : tout nous réussit !
Le 21 janvier 2013
L’éditorial de Marc Fromager

Nous voici donc, à nouveau, en guerre. Pour un pays en crise, dont les notations sont en baisse et qui essaie de racler les fonds de tiroir, notamment en réduisant les enveloppes budgétaires de la Défense, il y a un moment où il va quand même falloir se mettre d’accord : a-t-on besoin d’une armée opérationnelle ou pas ? Si oui, la doxologie réductionniste devra tout de même être remise en cause car, comme le dit l’adage, l’argent reste le nerf de la guerre. Sinon, il va sérieusement falloir réfléchir à réduire nos opérations extérieures car une guerre chaque année, ça coûte cher !

Autrefois, on parlait du Mali chaque année au mois de janvier. Gao était une des étapes mythiques du Paris-Dakar ! Mais ce n’est pas par nostalgie que "Serval" a été déclenchée. Officiellement, c’est pour défendre nos ressortissants et accessoirement répondre à l’appel au secours des autorités maliennes, le pays étant menacé d’implosion. Tout cela est vrai et les scènes de liesse de la population au sud du pays à l’annonce de l’opération confirment que notre intervention était attendue. Mais nous y avons également quelques intérêts…

Uranium, pétrole, gaz, la région sahélienne n’est pas un désert vide et les prédateurs sont aux aguets (1). Comme dans le reste de l’Afrique, les américains et les chinois y jouent un nouveau grand jeu colonial, mélange de course de vitesse et de cache-cache, au détriment des anciennes puissances européennes, essoufflées, n’ayant visiblement plus les moyens ni l’envie d’y participer.

Or, malgré tout le mal que l’on nous répète invariablement sur notre beau pays, il s’avère que nous sommes encore capables d’intervenir comme nous le faisons actuellement au Mali et qu’en réalité, on ne voit pas très bien qui d’autre pourrait le faire. Forces pré positionnées, connaissance et compréhension du terrain, langue commune, liens historiques, nos atouts ne sont pas des moindres. On ne peut que s’en réjouir, même s’il faut espérer, pour nos soldats et pour la population malienne, que l’opération se terminera bien. Restera tout de même à régler l’épineux problème politique des Touaregs dont la subordination au sud du pays n’est plus acceptée en l’état.

En attendant, nous allons donc nous battre contre des soldats en partie formés et armés par les américains (sic !) et en partie armés par nous-mêmes via nos parachutages libyens. Car il y a un lien entre le chaos sahélien et le dynamitage de la Libye auquel nous avons largement contribué. Autant l’opération malienne paraît assez claire, autant les réelles raisons (espérons qu’il y en avait) de notre intervention en Libye paraissent plus floues. Sans doute pour des intérêts qui nous échappent et visiblement pas au profit de la population libyenne, qui mettra sans doute un demi-siècle à s’en remettre, maintenant que le pays est complètement éparpillé en factions armées rivales, en général basées sur des fondements ethniques.

C’est là aussi qu’il va falloir se mettre d’accord, comme pour le budget de l’armée : quid de notre politique de soutien actif aux rébellions islamistes dans le monde ? Comment peut-on désirer (et aider) la victoire des islamistes en Syrie (là aussi, le sort de la population semble être le cadet de nos soucis) et leur désarmement au Sahel ? Il n’y a aucune cohérence apparente dans cette contradiction, sauf à admettre que nos intérêts supérieurs y trouvent mystérieusement leur compte. C’est peut-être notre intérêt (pour faire plaisir au Qatar ?) de souhaiter l’implosion de la Syrie.

Ce n’est dans tous les cas pas l’intérêt des chrétiens syriens (10% de la population tout de même) dont nous fûmes pourtant autrefois les protecteurs (autre temps, autres mœurs …) ni celui des chrétiens en Libye (même s’ils sont beaucoup moins nombreux et pour la plupart étrangers). Au Mali par contre, les chrétiens, comme la majorité de la population musulmane, se réjouissent de notre action en ce qu’elle éloigne le spectre du joug islamiste et l’instauration de la charia.

Reste que nous intérêts supérieurs, du fait même de leur supériorité, auraient tout intérêt à viser le long terme. Et là, on ne voit pas comment soutenir des islamistes, où que ce soit, puisse nous être, de quelque manière que ce soit, d’un quelconque intérêt.

* * *

(1) Voir à ce sujet le billet d'Yves Daoudal, qui dit beaucoup en très peu de mots, et une carte: http://yvesdaoudal.hautetfort.com/archive/2013/01/17/la-guerre-au-mali.html