Que pouvons-nous attendre du Pape François?

L'analyse de Eduardo Arroyo, blogueur espagnol "pourfendeur du mondialisme". Traduction de Carlota (18/3/2013)

>>> Voir aussi: Questions sur la pauvreté

En Espagne aussi l’accueil relativement bienveillant du Pape François par la große presse a étonné.
Eduardo Arroyo, le pourfendeur du mondialisme, n’a pas manqué de le souligner et a réfléchi lui aussi sur cette « pauvreté » de l’Église.
(Carlota)

     

Que pouvons-nous attendre du Pape François?
(Original: www.elsemanaldigital.com )
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L’élection de Jorge Mario Bergoglio comme Pape François a été la nouvelle de la semaine et le sera encore quelque temps. Pas tant parce que la présence d’un nouveau Pape vient enterrer la présence, qui en gênait beaucoup, de Benoît XVI, mais parce que le Pape François au moins pour le moment, suppose une expectative de changement pour ceux mêmes qui, en la figure de Benoît XVI, ont insulté l’Église durant les dernières années.

C’est précisément avec cette clef, - François, le Pape du changement - que l’on doit lire les lignes que ce vendredi, publiait le « Dazibao » de Prisa (1) par la bouche de Juan A.Estrada: Le nouveau pontificat, transition à l’espagnole ? (2).
Estrada parle comme l’ « apparatchik » intellectuel typique qui administre le « bon » ou le « mauvais » des uns et des autres selon que l’on est proche ou non du monde progressiste. Pour lui les papes postérieurs à Paul VI sont « critiques » avec le Concile Vatican II et Bergoglio, dans le passé, « appartenait au secteur traditionnaliste » quand il était provincial de la Compagnie de Jésus.

Il est logique qu’Estrada attende, pour donner son « placet », un curé guérillero ou équivalent. Tout le reste s’avère suspect, ce pourquoi il a recourt à la métaphore facile qui compare l’Église actuelle à l’Espagne de Franco et le nouveau Pape à un politique du franquisme tardif, de qui par son passé l’on ne peut guère espérer, mais qui peut, pour peu que cela se passe bien, s’engager dans le changement. Estrada termine en disant : « Un pape réformateur est l’espoir du catholicisme, mais c’est l’Église entière, des cardinaux et évêques au peuple de Dieu, qui doit s’ouvrir à une réforme interne et externe. Il faut actualiser Vatican II dans le nouveau millénaire et dans le contexte d’un monde globalisé et beaucoup plus complexe que celui des années 70. De là dépendra le futur de l’Église dans cette première moitié du XXIème siècle. Fasse que le Pape François soit vraiment celui de la transition dans un nouveau modèle de l’Église, plus évangélique et en accord avec la mentalité et la sensibilité actuelle ».

Ce baratin, - en définitive le « monde globalisé » - justifie presque tout, occulte les vrais contenus qu'implique la « réforme » selon Estrada si attendue de tout le monde catholique et qui ne sont rien d’autres que ceux du monde progressiste de toujours. Pour un semblable voyage, pas besoins d’un grand sac [ndr comprendre : que de baratin pour dire si peu !]

Cette même ligne est celle du jésuite, journaliste et écrivain de Cadix, Pedro Miguel Lamet. Selon Lamet, l’élection du nouveau Pape est « une solution de compromis entre deux attitudes, celle curiale qui demandait un Pape de l’intérieur du Vatican, et les pressions pour que ce soit quelqu’un de la périphérie.
Face à cela, on a opté pour un représentant de la spiritualité, qui nettoie la saleté et en même temps console. Il fera là un grand travail. Or, que personne ne s’attende à un changement important dans les doctrines dans le domaine sexuel, ou sur le rôle de la femme dans l’Église, ou du père. Bergoglio a attaqué fortement le libéralisme économique, mais il n’y aura pas un rapprochement vers la Théologie de la Libération ».

Comme dans le cas d’Estrada, sur l’Église de toujours tombent tous les soupçons, et sur son opposé, aucun. Il faut se rendre compte aussi que Lamet est l’exemple classique du jésuite pur jus version post-conciliaire. Après le Concile, c’est précisément le moment où la Compagnie de Jésus entre en décadence. Dans quel sens ? Eh bien dans le sens de l’aliénation. Les jésuites cessent d’être un ordre religieux pour professer bien plus un credo politico-religieux, dans lequel la religion est en fonction du politique et non l’inverse (3).

Cette espèce de religion politique est l’entourage dans lequel a été formé, - à mon très humble avis, par malheur - l’actuel Pape, entre les années 1973 et 1979, quand il était provincial des jésuites en Argentine. Je suis de ceux qui croient que la formation intellectuelle, spécialement la juvénile, se porte toute la vie, même si elle peut être mûrie et changer dans la postérité. Dieu sait ce qui sera resté de ces années chez le Pape François et comment il aura été influencé dans sa maturité intellectuelle.

Pour le moment, la presse et un observateur superficiel se seront sentis impressionnés par l’austérité du nouveau Pontife, sans doute honorable, si ce n’était que je soupçonne que beaucoup le prétendent pour opposer l’«austérité » à la beauté de la liturgie, qu’ils comprennent en des termes purement matériels. Il faut se rappeler que dans le christianisme, la pauvreté matérielle n’est pas nécessairement bonne, comme ne l’est pas non plus la richesse matérielle. Le Christ a parlé des « pauvres d’esprit » pour indiquer que l’on peut manquer de tout et ne pas être intérieurement pauvre si l’on n'est pas assiégé par le désir de posséder tout ce que l’on n’a pas.

Dans ce sens l’austérité réelle ne doit pas être vue au niveau extérieur, et pour cette raison, pour moi, la profondeur d’une personne et la manière dont elle parle à l’esprit constituent un signe d’austérité beaucoup plus remarquable, quelque chose qui se donne fondamentalement au niveau intellectuel. Le recueillement avec lequel on voit prier l’actuel Pape est beaucoup plus un signe d’austérité que s’il fait vingt fois le tour de Rome dans un autobus d’une compagnie de la ville.

Mais la plèbe progressiste, toujours à faire fête à la « pauvreté » (des autres naturellement) a reconnu dans l’austérité du Pape François un symptôme de « changement » vers ce paradis sur la Terre sur lequel ils pontifient depuis des décennies et dans lequel, naturellement ce sont eux qui disent ce qui est bien et ce qui est mal. Incapables de comprendre la beauté du comportement en d’autres termes que matériels, quand on la leur présente, ils la quantifient et la réduisent à l’unique chose qu’ils comprennent : le coût matériel.

À cause de leurs vues étroites, ils pensent que « le Vatican » a besoin de la « réforme » mais pas la classe politique. N’en a pas non plus besoin la plutocratie qui usurpe la « démocratie » tellement proclamée, les enseignes médiatiques comme Prisa et Mediapro (ndr: agences de presse), véritable « Stasi » intellectuelle, et moins encore la mythologie laïque autour de tous les moinillons de l’impérialisme soviétique, glorifiés par la «Théologie de la libération » durant les années 70 et exhibés comme de fausse alternative au capitalisme libéral (4).

Le 15 février dernier, dans cette même colonne, nous disions que « Benoît XVI, avec ce qu’il a fait, nous a montré que la réponse de l’Église catholique aux temps qui courent est bien plus le retourner à la vie surnaturelle et moins le faire et le lutter dans le monde. Aujourd’hui l’Église est plus « monastère » et moins « ONG ». Sans cesser d’être dans le monde, le Pape a demandé à chaque catholique la séparation explicite du pouvoir mondain et c’est ce qu’ila montré dans chaque écrit, dans chaque allocution, dans chaque document papal ».

Le Pape François a manifesté, pour sa part, que l’Église si elle ne confesse pas le Christ, est une ONG. Il ne lui manque pas de raison et cela me fait espérer que peut-être avec le nouveau Pape l’Église catholique, unique référence spirituelle légitime de l’homme occidental, va continuer à transiter par les chemins tracés par le précédent Pape. Toutefois si le présent pontificat était un contrepoint à celui de Benoît XVI, en accord, lui, avec l’Église éternelle et pour cela si insulté, il n’apporterait pas plus qu’un complément d’abondance dans la décadence.
Pour l’instant, et selon mon humble avis, la balle est sur le toit et il faudra attendre de voir ce qui arrive. La presse de l’idéologie dominante a reçu le Pape François avec une relative bénignité et c’est préoccupant. En même temps il faut se rappeler que le christianisme n’est pas une religion politique, à la façon du marxisme ou du libéralisme (6), mais une doctrine surnaturelle de salut des âmes. Tout le reste est supplantation, succédanées et usurpation de fonctions.

     

Notes de traduction
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1) Arroyo attaque très fort en employant le terme « Dazibao », en référence aux journaux muraux en République Populaire de Chine. Prisa est le premier groupe de presse (große preße) espagnol avec aussi des capitaux nord-américains.

(2) Juan A.Estrada est un jésuite espagnol né en 1945.
L’article en question en vo est isur le site de El pais.
Le titre fait évidement référence à l’époque qui a suivi la mort du général Franco – fin 1975 et l’arrivée au pouvoir des Socialistes en 1982, avec la mise en place de la Constitution espagnole de 1978, qui pour ses détracteurs (dont JA Estrada ne fait probablement pas partie) avec des régions autonomes devenus les fiefs d’élus locaux paniers percés et démagogues qui ont ruiné la nation tout en favorisant la désintégration de l’Espagne (l’exemple le plus frappant en étant peut-être la Catalogne).

(3) Comme de bien entendu cela avait commencé à se distiller avant le Concile Vatican II. Certains observateurs moins progressistes se sentent un peu rassurés par l’avis mitigé du jésuite Lamet sur le nouveau Pape…Néanmoins certains jeunes jésuites ont repris le col romain et ne sont plus complètement habillé en « tenue de camouflage civile de vieux contestataires ». Certains encore y voient une lueur d’espoir pour cette si extraordinaire congrégation des siècles passés, tellement sinistrée au XXème par le sécularisme militant. Saint François-Xavier et Saint Ignace de Loyola veillent sans doute.

(4) Là encore Arroyo tape très fort sur ces religieux qui ont confondu Jésus et Marx, mais cela a été un phénomène très important même si l’on en parle moins aujourd’hui, et pourtant quand l’on voit nos actuels ministres formés dans d’illustres écoles catholiques ou membres des JOC, nous pouvons nous poser des questions. L’auteur sous entend aussi le piège dans lequel nous ne devons pas tomber. Ce n’est pas le libéralisme qui est à condamner surtout quand il permet à chacun de développer ses talents, son imagination, son esprit de d’initiative, et d’entreprise, qu’il permet de travailler comme on l’entend pour faire vivre sa famille et éduquer ses enfants, en se constituant un patrimoine transmissible, sans l’assistanat et une nouvelle mendicité institutionnelle qui a pour autre béquille l’excuse et la faute des autres, etc. C’est le libéralisme dévoyé qui a profit du dérèglement et de la faiblesse des États pour devenir prédateur. Le prédateur d’un capitalisme dévoyé est tout aussi prédateur que celui d’un état totalitaire socialisant. Est-ce vraiment un hasard si la République Populaire de Chine, les monarchies absolues musulmanes et pétrolières et les Etats-Unis d’Amérique ou l’Union Européenne (sans doute contrainte) ne s’entendent pas si mal que cela entre elles alors qu’elles revendiquent des modèles politiques antinomiques.

(5) L’on pourrait aussi penser à une autre religion qui nie le César et met Dieu partout, à côté du libéralisme et du marxisme mettant César partout et refusant Dieu.