Foi et mariage
Discours de Benoît XVI au Tribunal de la Rote Romaine pour l'ouverture de l'année judiciaire: l'absence de foi peut blesser le mariage, et être un motif d'annulation. Traduction complète (27/1/2013)
Texte en italien: press.catholica.va/news_services/
Chers membres du Tribunal de la Rote Romaine
C'est pour moi un motif de grande joie de vous retrouver lors de l'inauguration de l'année judiciaire. Je remercie votre doyen, Mgr Pio Pinto Vito, pour les sentiments exprimés au nom de vous tous; recevez en échange les miens de tout cœur.
Cette rencontre me donne l'occasion de réaffirmer mon estime et ma considération pour le haut service que vous rendez au Successeur de Pierre et à toute l'Église, ainsi que de vous pousser à un engagement toujours plus grand dans un cadre certes ardu mais précieux pour le salut des âmes. Le principe selon lequel la salus animarum est la loi suprême de l'Église (cf. CIC , can. 1752) doit être gardé à l'esprit et trouver chaque jour dans votre travail, la réponse approprié et rigoureuse.
1. Dans le contexte de l'Année de la Foi, je voudrais m'arrêter en particulier, sur certains aspects de la relation entre la foi et le mariage, en notant que la crise actuelle de la foi qui affecte différentes parties du monde, porte avec elle une crise de la société conjugale, avec toutes la charge de souffrance et de difficultés que cela comporte pour les enfants.
Nous pouvons prendre comme point de départ les racines linguistiques communes qu'ont en latin les termes fides et foedus, ce dernier mot étant celui par lesquel le Code de Droit Canonique se réfère à la réalité naturelle du mariage comme alliance irrévocable entre l'homme et la femme (cf. can. 1055 § 1). La confiance mutuelle, en fait, est le fondement indispensable de tout pacte ou alliance.
Sur le plan théologique, la relation entre foi et mariage assume une signification encore plus profonde. Pour les baptisés, le lien sponsal, en effet, bien que réalité naturelle, a été élevé par le Christ à la dignité de sacrement (cf. ibid .)
Le pacte indissoluble entre l'homme et la femme, ne requiert pas, aux fins de la sacramentalité, la foi personnelle des fiancés; ce qui est requis, comme minimum nécessaire, est l'intention de faire ce que fait l'Église. Mais s'il est important de ne pas confondre la question de l'intention avec la foi personnelle des contractants, il n'est pas possible de les séparer complètement. Comme le faisait noter la Commission théologique internationale dans un document de 1977, «au cas où l'on ne perçoit aucune trace de foi en tant que telle (dans le sens du mot «croyance», disposition à croire), ni aucun désir de la grâce et du salut , se pose le problème, en fait, de savoir si l'intention générale et vraiment sacramentelle que nous avons mentionnée, est présente ou non, et si le mariage est contracté validement ou non» ( La doctrine catholique sur le sacrement du mariage [1977]). Le Bienheureux Jean-Paul II, s'adressant à ce Tribunal, il y a dix ans, précisa toutefois, qu' «une attitude des fiancés qui ne tient pas compte de la dimension surnaturelle du mariage ne peut le rendre nul que si elle en affecte la validité sur le plan naturel où se situe le signe sacramentel lui-même»( ibid. ). À propos de cette problématique, en particulier dans le contexte actuel, il conviendra de promouvoir une réflexion plus approfondie.
2. La culture contemporaine, marquée par un subjectivisme accentué, et un relativisme éthique et religieux, place la personne et la famille face à des défis pressants. En premier lieu, face à la question sur la capacité de l'être humain de se lier, et si un lien qui dure toute la vie est vraiment possible et correspond à la nature humaine, ou n'est pas au contraire, en opposition avec sa liberté et son auto-réalisation. Il fait partie d'une mentalité diffuse, en effet, de penser que la personne devient elle-même en restant «autonome» et en n'entrant en contact les uns avec les autres que par des relations qui peuvent être interrompues à tout moment (cf. Discours à la Curie romaine [21 Décembre 2012]).
Il n'échappe à personne que la perspective de base de chacun influe sur le choix de l'être humain de se lier par un lien qui dure toute une vie, selon qu'elle est ancrée dans un plan purement humain, ou s'ouvre à la lumière de la foi dans le Seigneur. Ce n'est qu'en étant ouvert à la vérité de Dieu, en effet, qu'il est possible de comprendre et de réaliser dans le concret de la vie, y compris le mariage et la famille, la vérité de l'homme comme son fils, régénéré par le Baptême. «Celui qui demeure en moi et moi en lui, porte beaucoup de fruit, car sans moi vous ne pouvez rien faire» ( Jn 15, 5): ainsi enseignait Jésus à ses disciples, en leur rappelant l'incapacité substantielle de l'être humain à faire seul ce qui est nécessaire pour atteindre le vrai bien.
Le refus de la proposition divine, en effet, conduit à un déséquilibre profond dans toutes les relations humaines (cf. Discours à la Commission théologique internationale [7 Décembre 2012]), y compris celle matrimoniale, et facilite une interprétation erronée de la liberté et de la réalisation de soi, qui, combinée à un refus de supporter patiemment la souffrance, condamne l'homme à se refermer dans son égoïsme et son égocentrisme. Au contraire, l'accueil de la foi rend l'homme capable du don de soi, dans lequel seulement, «en s'ouvrant aux autres, aux autres, aux enfants, à la famille ... en laissant façonner par la souffrance, il découvre l'ampleur de l'être une personne humaine» ( Discours à la Curie romaine [21 Décembre 2012]).
La foi en Dieu, soutenue par la grâce de Dieu, est donc un élément très important pour vivre la dévotion mutuelle et la fidélité conjugale (Catéchèse de l'audience générale [8 Juin 2011]). Il ne s'agit pas ici de dire que la fidélité, comme les autres propriétés [du mariage], ne sont pas possibles dans le contrat de mariage naturel entre non-baptisés. Celui-ci, en effet, n'est pas dépourvu de «ces biens qui viennent de Dieu Créateur et s'insèrent de manière inchoative dans l'amour sponsal qui unit le Christ et l'Eglise» (Commission théologique internationale, la doctrine catholique sur le sacrement du mariage [1977]). Toutefois, il est certain que la fermeture à Dieu ou le rejet de la dimension sacrée de l'union conjugale et de sa valeur dans l'ordre de la grâce rendent difficile l'incarnation concrète du modèle très haut de mariage conçu par l'Église selon le plan de Dieu, allant jusqu'à porter atteinte à la validité même de l'accord si, comme l'assume la jurisprudence de ce Tribunal, elle se traduit par un rejet du principe d'obligation matrimoniale de loyauté, c'est-à-dire des autre éléments ou propriétés essentielles du mariage.
Tertullien, dans sa célèbre Lettre à ma femme, parlant de la vie conjugale marquée par la foi, écrit que les conjoints chrétiens «sont vraiment deux en une seule chair, et où la chair est une, un est l'esprit. Ensemble, ils prient, ensemble ils se prosternent, ensemble ils jeûnent; l'un enseigne à l'autre, l'un honore l'autre, l'un soutient l'autre ».
Saint Clément d'Alexandrie s'exprime dans des termes similaires: «Si, en effet, pour tous les deux, un seul est Dieu, alors pour tous les deux un seul est le Pédagogue - le Christ - une est l'Eglise, une la sagesse, une la pudeur, en commun nous avons la nourriture, le mariage nous unit ... Et si la vie est commune, commune est aussi la grâce, le salut, la vertu, la morale».
Les saints qui ont vécu l'union matrimoniale et familiale dans la perspective chrétienne, ont réussi à surmonter les situations les plus adverses, atteignant parfois la sanctification du conjoint et des enfants d'un amour renforcé par une solide foi en Dieu, une piété religieuse sincère et une vie sacramentelle intense.
Ces expériences, marquées par la foi, font comprendre combien, aujourd'hui encore, est précieux le sacrifice offert par le conjoint abandonné ou qui a subi le divorce, si - reconnaissant l'indissolubilité du lien matrimonial valide - il réussit à ne pas se laisser «entraîner dans une nouvelle union ... Dans ce cas, son exemple de cohérence chrétienne et de fidélité assume une valeur particulière de témoignage devant le monde et l'Église» (Jean-Paul II, Exhortation apostolique Ap.. Familiaris Consortio [22 Novembre 1981]).
3. Je voudrais, enfin, m'arrêter brièvement, sur le bonum coniugum.
La foi est importante dans la réalisation de l'authentique bien conjugal, qui consiste simplement à vouloir toujours et en toutes circonstances le bien de l'autre, sur la base d'un véritable et indissoluble consortium vitae. En effet, dans l'intention des époux chrétiens de vivre une vraie communio coniugalis, il y a un dynamisme de la foi, par lequel la confessio, la réponse personnelle sincère à l'annonce du salut, implique le croyant dans l'élan d'amour de Dieu. «Confessio» et «caritas» sont «les deux moyens par lesquels Dieu nous implique, nous fait agir avec Lui, en Lui et pour l'humanité, pour sa créature ... La «confessio» n'est pas une chose abstraite, elle est «caritas», elle est amour. Ce n'est qu'ainsi qu'il y a le reflet de la vérité divine, qui, comme vérité est inséparablement aussi amour» (Méditation à la première Congrégation générale de la XIIIe Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques [8 Octobre 2012]).
Ce n'est qu'à travers la flamme de la charité, que la présence de l'Evangile n'est pas seulement des mots, mais une réalité vécue. En d'autres termes, s'il est vrai que «la foi sans la charité ne porte pas de fruit et la charité sans la foi serait un sentiment constamment à la merci du doute », nous devons conclure que «la foi et la charité s'exigent mutuellement, de sorte que l'une permet à l'autre de réaliser son chemin». (Lettre apostolique Porta fidei [11 Octobre 2012])
4. Si cela est vrai dans le contexte plus large de la vie communautaire, cela doit avoir une valeur encore plus grande dans l'union conjugale. C'est en elle, en effet, que la foi fait croître et fructifier l'amour des époux, donnant de l'espace à la présence du Dieu trinitaire et rendant la vie conjugale elle-même, ainsi vécue, «bonne nouvelle» devant le monde.
Je reconnais les difficultés, d'un point de vue juridique et pratique, d'isoler l'élément essentiel du bonum coniugum, jusqu'ici principalement envisagé en relation avec les hypothèses d'incapacité (cf. CIC , can. 1095). Le bonum coniugum est également important dans la simulation du consentement. Certes, dans les cas soumis à votre jugement, ce sera l'enquête in facto qui déterminera l'éventuel fondement de ce motif de nullité, prévalent ou associé avec un autre motif parmi les trois «biens» augustiniens: la procréativité, l'exclusivité et la perpétuité.
On ne doit donc exclure la considération qu'il puisse y avoir des cas dans lesquels, précisément en raison de l'absence de foi, le bien des conjoints est compromis, c'est-à-dire exclu du consensus lui-même: par exemple, en cas de subversion de la part de l'un, à cause d'une idée erronée de l'union conjugale, du principe de parité, ou en cas de refus de l'union duale qui marque le lien du mariage, en relation avec la possible exclusion de la fidélité et de l'usage de la copula accomplie humano modo.
Avec ces considérations, je n'ai certainement pas l'intention de suggérer un facile automatisme entre manque de foi et nullité de l'union conjugale, mais plutôt de mettre en évidence comment cette carence peut, mais pas nécessairement, blesser les biens du mariage, puisque la référence à l'ordre naturel voulu par Dieu est inhérent au pacte conjugal (cf. Gen 2.24).
Chers frères, j'invoque l'aide de Dieu sur vous et tous ceux qui dans l'Église travaillent pour la préservation de la vérité et de la justice en ce qui concerne les liens sacrés du mariage, et ainsi, pour la famille chrétienne. Je vous confie à la protection de la Très Sainte Vierge Marie, Mère du Christ et de saint Joseph, gardien de la Sainte Famille de Nazareth, exécuteur silencieux et obéissant du plan divin du salut, et je donne volontiers à vous et à vos proches, ma Bénédiction apostolique.