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Benoît XVI et la liberté religieuse de Vatican II

Réflexion de grande ampleur de JL Restàn. Traduction de Carlota (15/6/2013)

Dans la pensée du Pape est très présente la conscience de ce nous entrons dans une étape historique (au moins en Occident) où ce ne sera pas l’Église qui concrétisera la culture commune, exprimée dans les coutumes et dans les lois. Bien plus, la communauté de l’Église se constitue déjà dans beaucoup de lieux comme une « minorité créative », même si l’horizon de sa vocation doit être toujours la totalité du monde, et c’est pour cela qu’il faut maintenir la vigilance pour ne pas se transformer en une citadelle entourée de murailles. C’est une situation que le Pape met en lien (sautant toute les distances) avec les premiers siècles de l’ère chrétienne. La défense de la liberté religieuse pour tous (évidemment aussi pour les catholiques) est un élément substantiel d’une authentique démocratie, d’une véritable coexistence civile, mais c’est aussi une sauvegarde nécessaire à la vie et à la mission des chrétiens et de leurs communautés dont la vocation est fondamentalement le témoignage à ciel ouvert.

Textes cités

     

Voici un opportun rappel de José Luis Restán sur le vrai sens de la liberté religieuse et ce qu’en a dit Benoît XVI. C’est une magistrale démonstration qui démontre, a contrario, ce qu’est une mauvaise interprétation de Vatican II sur ce point précis ce pour quoi nous nous battons en ce moment en France. Mais c’est peut-être plus facile à comprendre aujourd’hui qu’il y a un demi-siècle, maintenant que nous nous retrouvons face à un État qui semble avoir de nouveau des envies de « sacrifier » à la « Déesse Raison », et que nous avons à côté de nous, en grand nombre, des frères en humanité qui sont enfermé dans un système mental et religieux qui ne leur donne pas la liberté de recevoir la Parole du Christ.
Cette liberté religieuse bimillénaire réaffirmée par Vatican II mal comprise a pu nous faire oublier la mission d’évangélisation (donnée par le Christ lui-même) par relativisme (le Christ est une croyance parmi d’autres), et pour d’autres elle les a peut-être trop poussés à une «auto-référenciation », comme dit le Pape François.
(Carlota)

     

Benoît XVI et la liberté religieuse de Vatican II
José Luis Restán
http://www.paginasdigital.es
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Dans son Discours à la Curie Romaine de Noël 2005, quand il était depuis moins de six mois sur le Siège de Pierre, Benoît XVI a abordé, entre autres points-clefs du Concile Vatican II, la façon dont y était abordée la question de la liberté religieuse. Au préalable le Pape avait reçu le professeur Hans Küng, icône de la dissidence progressiste, et le Supérieur de la Fraternité Saint Pie X, Mgr Bernard Fellay, lequel était encore excommunié pour avoir reçu la consécration épiscopale illicite des mains de l’évêque Marcel Lefebvre, qui avait trouvé précisément dans le décret sur la liberté religieuse un des écueils principaux à l’acception du Concile Vatican II

Avec ces deux surprenantes visites le nouveau Pape envoyait un message sur son désir de soigner les discordes qui ont déchiré le corps de l’Église après la difficile digestion des textes conciliaires. Aux uns et aux autres, il voulait dire que la seule clef juste pour interpréter le Concile est l’ « herméneutique de la réforme», c'est-à-dire, la rénovation à l’intérieur de la continuité de l’unique sujet-Église… un sujet qui croît avec le temps et se développe, mais en restant toujours le même, seul sujet du peuple de Dieu en chemin. Le thème de la doctrine sur la liberté religieuse est certainement l’une de ces carrefours qui illustrent la complexe relation de rénovation et de complexité.

Comme Benoît XVI l'explique dans son discours, le Concile a prétendu définir d’une façon nouvelle la relation entre l’Église et la modernité à travers trois cercles de questions: la relation entre la foi et les sciences, entre l’Église et l’État moderne, et entre le christianisme et les religions du monde. Les deux dernières font référence au problème de la liberté religieuse, constitué dès lors comme l’un des piliers de l’État démocratique (*).

Rappelons le point central de ce passage à l’intérieur de ce mémorable discours:

« L'Eglise antique, de façon naturelle, a prié pour les empereurs et pour les responsables politiques, en considérant cela comme son devoir (cf. 1 Tm 2, 2); mais, tandis qu'elle priait pour les empereurs, elle a en revanche refusé de les adorer, et, à travers cela, a rejeté clairement la religion d'Etat. Les martyrs de l'Eglise primitive sont morts pour leur foi dans le Dieu qui s'était révélé en Jésus Christ, et précisément ainsi, sont morts également pour la liberté de concience et pour la liberté de professer sa foi, - une profession qui ne peut être imposée par aucun Etat, mais qui ne peut en revanche être adoptée que par la grâce de Dieu, dans la liberté de la conscience» (Discours à la Curie Romaine, 22-12-2005).

Dans un article publié dans l’Osservatore Romano, à l’occasion du 50ème anniversaire du Concile Vatican II (cf. benoit-et-moi.fr/2012(III)/articles/vatican-ii-un-chroniqueur-dexception), Benoît donnait une plus large explication que celle offerte lors du discours de la Curie en décembre 2005 et soutenait que « la doctrine sur la tolérance, telle qu’elle avait été élaborée dans ses détails par Pie XII (ndt pape de 1939 à 1958), n’était pas suffisante face à l’évolution de la pensée philosophique et l’auto-compréhension de l’État moderne ». Cette insuffisance que le Pape Ratzinger détecte, a à voir avec l’inertie d’un contexte d’incompréhension mutuelle entre l’Église et un certain esprit de l’Âge Moderne engagé dans une marginalisation de Dieu et de la Tradition chrétienne. À cet esprit violemment antichrétien, le Pape Pie IX (ndt Pape de 1847 à 1878, et notamment époque des luttes armées au profit de la maison de Savoie, pour l’unification de l’Italie qui mettaient fin en autres, aux États pontificaux), opposait une condamnation âpre et radicale. Se compose ainsi un cadre de mutuel rejet qui rendait impossible une quelconque compréhension. Et bien qu’il se fût produit un rapprochement progressif, en particulier après la IIème Guerre Mondiale, Benoît XVI considère que les réponses n’étaient pas satisfaisantes.

L’État démocratique, qui, après la cruelle guerre, s’était mis à regarder avec un plus grande sympathie la doctrine philosophique et juridique liée à la tradition ecclésiale, postulait sans réserves sur la liberté de choisir et de pratiquer la religion, et la liberté d’en changer, comme des libertés appartenant aux libertés fondamentales de l’homme. Y avait-il en cela une quelconque contradiction ou écueil insurmontable dans la Tradition de l’Église ? Le Concile répondra que non, provoquant un dur rejet (peut-être le plus âpre et profond) entre ceux qui le contestent au nom de cette même Tradition, accusant Vatican II de rupture.

Sur ce point, Benoît se montre clairement en faveur de la formulation conciliaire, mais conscient des difficultés de sa réception par les secteurs traditionalistes, il a voulu exposer ses raisons avec soin, et en les articulant. Et ainsi, dans l’article précédemment mentionné, il soutient que « cette conception ne pouvait pas être étrangère à la foi chrétienne, qui était entré dans le monde avec la prétention que l’État ne pouvait décider sur la vérité et ne pouvait exiger aucun type de culte ». Observons que pour illustrer la continuité avec la Tradition, le Pape se situe aux origines de l’époque apostoliques. « Les chrétientés priaient pour l’empereur mais ne le vénéraient pas…à partir de ce point de vue, l’on peut affirmer que le christianisme a apporté au monde, avec sa naissance, le principe de la liberté religieuse ». Mais pas que cela, selon l’audacieuse formulation qu’il a prononcée devant la Curie, « les martyrs de l’Église primitive sont morts pour leur foi dans le Dieu qui s’était révélé en Jésus Christ, et c’est justement ainsi qu’ils sont morts aussi pour la liberté de conscience et la liberté de professer la propre foi, une profession qu’aucun pays ne peut imposer mais qu’on peut seulement faire sienne, avec la grâce de Dieu, dans la liberté de conscience ».

Cette argumentation est essentielle pour aller jusqu’au fond du nœud gordien que posent ceux qui considèrent que le décret conciliaire sur la liberté religieuse de Vatican II rompt avec la Tradition catholique. Le Pape, garant pour son ministère de cette même Tradition, signale une continuité de fond difficilement réfutable avec des arguments historiques et théologiques. Il est certain que la compréhension de la liberté religieuse, de son contenu, de son amplitude et des conséquences historiques, a expérimenté une évolution au rythme des époques dans le magistère pontifical. En ce sens, la référence à Pie IX introduite dans le discours à la Curie est significative. Dans la dynamique de la rénovation dans la continuité, propre au caractère historique et au présent qu’a toujours la vie de l’Église, il existe des décisions de fond toujours valides, tandis que les formes de son application à des contextes nouveaux peuvent changer. Cela se reflète très bien dans l’évolution de la compréhension de l’Église de la liberté religieuse.

Ce que certains canonisent comme position sans équivoque de la Tradition à ce sujet, répond dans le fond à la nécessité de conjurer le danger d'identifier la liberté de religion comme une expression de l'incapacité de l'homme de trouver la vérité. Toutefois, a expliqué Benoît XVI, « c’est totalement différent de considérer la liberté de religion comme une nécessité qui dérive de la coexistence humaine, plus encore, comme une conséquence intrinsèque de la vérité qui ne peut pas être imposée de l’extérieur, mais que l'homme doit faire sienne seulement par un processus de conviction ».

Joseph Ratzinger, qui a vécu durant sa jeunesse dans sa propre chair la prétention totalitaire du nazisme, considère que pour démêler cette affaire, objet de polémiques qui n’en finissent pas, l’élection de Jean-Paul II a été providentielle, un pape venu d’un pays où la liberté religieuse était rejeté à cause du marxisme, qui est dans le fond une forme particulière de la philosophie d’état moderne. L’indication suggérée par Benoît XVI est que Jean-Paul II, en venant d’une situation analogue à celle de l’Église de l’Antiquité, permettait de rendre de nouveau visible l’intime connexion entre la foi chrétienne et la liberté de religion et de culte.

Aussitôt est arrivé quelque chose qui paraissait inédite à l’opinion commune, en particulier celle reflétée par les médias : l’Église, à travers un Pape venu de l’Est, était reconnue comme porte-drapeau des libertés (et essentiellement de la liberté religieuse) en mettant en miettes les images qui d’une manière indéfectible la situaient au pôle de la polémique anti - libérale. Non pas que l’Église eût changé sa doctrine, qui continuait à être également une critique contre une conception de la liberté, comme absence de liens, ou comme une incapacité à connaître la vérité, mais que tout de suite était devenu visible un aspect que les situations antérieures historiques avaient contribué à obscurcir.

D’autre part on ne peut nier qu'en définissant une nouvelle relation entre la foi de l’Église et quelques éléments essentiels de la pensée moderne, le Concile Vatican II a revu, voire corrigé, quelques décisions historiques de l’autorité ecclésiale précédente. Mais selon Benoît XVI en cette apparente discontinuité, l’Église a maintenu et a approfondi son intime nature et sa véritable identité.

La décision, la précision et le soin avec lesquels le Pape Ratzinger soutient cette position nous parle de l’importance qu’elle a précisément pour la nouvelle évangélisation. Dans la pensée du Pape est très présente la conscience de ce nous entrons dans une étape historique (au moins en Occident) où ce ne sera pas l’Église qui concrétisera la culture commune, exprimée dans les coutumes et dans les lois. Bien plus, la communauté de l’Église se constitue déjà dans beaucoup de lieux comme une « minorité créative », même si l’horizon de sa vocation doit être toujours la totalité du monde, et c’est pour cela qu’il faut maintenir la vigilance pour ne pas se transformer en une citadelle entourée de murailles. C’est une situation que le Pape met en lien (sautant toute les distances) avec les premiers siècles de l’ère chrétienne. La défense de la liberté religieuse pour tous (évidemment aussi pour les catholiques) est un élément substantiel d’une authentique démocratie, d’une véritable coexistence civile, mais c’est aussi une sauvegarde nécessaire à la vie et à la mission des chrétiens et de leurs communautés dont la vocation est fondamentalement le témoignage à ciel ouvert.

L’Église n’attend de l’État démocratique (comme les premiers chrétiens ne l’attendaient pas du César), ni privilèges ni substitutions dans ce qui est sa mission. Elle reconnaît et respecte les légitimes autorités, elle prie même pour elles, même si son jugement historique sur leur forme d’exercice du pouvoir peut être dans beaucoup de cas négatifs. Mais elle leur réclame la liberté et la sécurité. Elle revendique son droit à avoir sa voix propre, à contribuer au bien commun, et à s’opposer quand elle le croit nécessaire, parce que l’État ne peut jamais être l’objet de la vénération, ni n'est la source de la justice et du droit. Curieusement la défense de la liberté religieuse qu’incarne aujourd’hui l’Église constitue un service précieux en faveur d’une saine laïcité et à l’inverse, c’est une digue face à la pulsion totalitaire qui selon Tocqueville a toujours menacé le pouvoir politique, même s’il a pour base le consensus démocratique.

Pour les catholiques de cette ère, l’indication de Benoît XVI dans le texte que nous commentons est d’une importance vitale car elle nous rappelle que nous ne pouvons pas mettre notre confiance dans les réalisations politiques, bien qu’elles ne nous seront jamais indifférentes. Ce ne seront ni les lois ni les décisions politiques qui changeront la mentalité et le cœur des hommes. Il est légitime d’aspirer comme catholiques à rendre conformes ces lois dans une direction la plus juste possible, et à rendre concrètes des politiques qui servent la dignité de l’homme de la façon la plus adéquate. Nous savons que dans beaucoup d’occasions cela sera impossible, mais même quand on y arrive dans une certaine mesure, cela ne peut pas être le rocher sur lequel asseoir notre espérance. Seule la rencontre avec Jésus Christ présent dans son Église peut offrir le sens et l’espérance de la vie, seule la foi (qui est le fruit de la grâce et de la liberté) génère un sujet qui œuvre selon la charité et s’engage pour la justice. De l’État il faut attendre un espace qui favorise la liberté et héberge cordialement ce témoignage.

Je conclus avec les mot que Benoît XVI a adressé à la multitude de fidèles rassemblés à Hyde Park lors de la veillée pour la béatification de John Henry Newman (www.vatican.va ) :
« Nous ne pouvons garder pour nous la vérité qui nous rend libres ; il faut en donner témoignage… Non loin de là, à Tyburn, un grand nombre de frères et de sœurs sont morts pour la foi…À notre époque le prix qu’il faut payer pour la fidélité à l’Évangile n’est plus d’être pendu, désarticulé et coupé en morceau mais souvent implique d’être exclus, ridiculisé ou parodié. Et néanmoins l’Église ne peut se soustraire à la mission d’annoncer le Christ et son Évangile comme vérité salvatrice, source de notre bonheur définitif comme individus et fondement d’une société juste et humaine ».

Remarques de Carlota

Cette annonce reste primordiale même si elle encore mal comprise par certains catholiques.
Il me plairait que la raison tellement indispensable à la foi, et au vu de ce que nous connaissons aujourd’hui en France, les fasse se repencher sur le problème d’une manière plus sereine.
La liberté individuelle est la condition première de la conversion au Christ, l’on ne peut forcer quelqu’un à croire, mais cette liberté de croyance est aussi primordiale au niveau institutionnel. L’on pense, a contrario, aux contraintes sociétales et étatiques qui sont « par nature » liées à certaines religions, et notamment en terre ou territoire de l’islam majoritaire. Mais les pays dits démocratiques peuvent reconnaître la liberté (dont celle de croire) en proclamant un relativisme bienveillant, un relativisme qui pourtant va les amener très vite à vouloir imposer « leur religion ». Nous en avons un exemple récent avec des membres du gouvernement français qui n’hésitent pas à déclarer qu’il faut que « les enfants soient retirés de leur environnement familial avant l’âge de trois ans » (pour le bien des enfants évidemment!). Et le ministre de ce qui est appelé l’Éducation Nationale professe: « L’École doit dépouiller l’enfant de toutes les attaches pré-républicaines pour l’élever jusqu’à devenir un citoyen. Et c’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle église avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la Loi ».
La liberté qui est inscrite sur les frontons des édifices publics de la République Française, ne concerne là, qu’une seule religion celle de l’État ! Cette phrase semble bien destinée en priorité aux catholiques (même si l’on peut se dire que le ministre montre ainsi qu’il a une culture catholique !).
C’est presque une déclaration de guerre que leur fait ce ministre quand, on sait ce qu’est la transsubstantation pour les catholiques romains ou orientaux (au moment de l’Eucharistie, le pain et le vin tout en gardant leurs caractères physiques et apparences originales deviennent véritablement le Corps et le Sang du Christ). Et pourtant les [« sous » ?] citoyens ne sont sans doute pas ceux qui menacent le plus en France le bien commun!