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La lettre de Jeannine du 27 mars

Mon amie reprend sa lettre, elle scrute cette fois les premiers pas du nouveau Pontife - sans indulgence, c'est vrai, mais avec une rigueur irréprochable (27/3/2013)

     

Chère Béatrice

(...)
La franciscomania ne m'atteindra pas.
Je n'ai rien contre le Saint-Père mais il ne m'éblouit pas.
Quand j'entends les paroles de louange qui montent vers lui, je suis prête à dire : "Santo illico".
Que les médias se soient mis à l'encenser n'a rien d'étonnant car, depuis son élection, il leur offre une salle de presse frémissante de chuchotements, de conciliabules, de petites phrases qui seront pain béni pour les lecteurs et le tirage des numéros augmentera; et puis quelle joie de pouvoir se venger du prédécesseur, ce pontife intellectuel qui les a tant fait souffrir.
Celui que l'on continue de désigner par "le pape allemand" n'a bénéficié d'aucune bienveillance lors de son élection. Alors que le
(nouveau) Saint-Père n'a nul besoin d'une aide extérieure pour se mettre en valeur, tout est mis en œuvre pour y contribuer: même un million de tickets d'autobus et de métro portant la photo du pape sont mis en vente à partir du 27 mars, pour la première audience générale qui atteindra, n'en doutons pas, un chiffre d'affluence record, c'est déjà annoncé.
Le Père Lombardi, qui était si en retrait lorsqu'il parlait de Benoît XVI, a été plus que loquace au sujet du pape François, ils sont de la même famille. Les évêques italiens, dans une lettre adressée au pape, ont écrit : «il n'y a pas de paroles pour exprimer notre joie», il n'est plus besoin de jouer la comédie.
Je n'ai pas oublié que KTO a une fois, en début de pontificat, supprimé la fin d'un direct de Rome (de Benoît XVI) pour ne pas faire attendre davantage les invités qui étaient en plateau; ma réaction avait été plus que sèche et c'est Philippine de Saint-Pierre elle-même qui m'avait répondu.
J'ai toujours pensé et dit que la foule est changeante, prête à adorer mais aussi à haïr ce qu'elle a aimé. A notre époque il faut de la proximité, du contact, du bruit, des grands gestes, tout ce que je fuis avec détermination. Dans un article du Point du 23/3 j'ai relevé cet alinéa : «La popularité extrême qu'a acquise François est perçue avec une amertume par certains au Vatican, où l'on juge injuste l'oubli qui semble déjà frapper le pape allemand dans le grand public »

Si je devais rectifier cette phrase je dirais : l'oubli qui déjà frappe .....
C'est une réalité, Benoît XVI a été et reste celui qui malgré des qualités incontestables n'a pas séduit les foules, il ne le cherchait d'ailleurs pas, son pontificat "intellectuel" ne touchait pas les petits; j'en conclus que je suis au-dessus de la moyenne puisque il m'a séduite! A l'heure actuelle je me demande même si sa "renonciation" qui a fait couler tant d'encre n'a pas été accueillie comme un bienfait, une libération, une grande bouffée d'air frais, tant ses dernières heures de présence ont été entourées de sourires, de gestes, de mots chaleureux qui n'étaient peut-être qu'une façade. Etant donné la facilité, l'enthousiasme, avec lesquels le Vatican a été acquis au Saint-Père, je doute de tout. Je ne suis pas un cœur d'artichaut et je suis attachée à la personne de Joseph Ratzinger qui nous a donné le Pape Benoît XVI.

Le Pape François est simple mais pas humble. Inutile d'être plus papiste que lui . Au métropolite Hilarion qui lui disait: «les premiers pas de Votre Sainteté après Votre élection portaient la marque de l'humilité», il a répondu : « Je ne suis pas humble et je vous demande de prier pour que le Seigneur m'accord l'humilité».

Je dois avoir une fausse conception de cette vertu mais, pour moi, elle va de pair avec l'effacement, la fuite de la personnalisation, l'acceptation d'une autorité supérieure, d'un ordre établi, même si cela bouscule des aspirations opposées.
Lorsque j'ai constaté la différence entre le célébrant du 24/3 et celui qui, après la cérémonie, a souhaité se faire acclamer, cela n'était pas impératif puisque le public était le même, je me suis dit que ma première impression n'était pas fausse. Je ne suis ni latine, ni slave, ni tactile, bref je ne me retrouve pas en lui. Quitte à passer pour rétrograde, vieux jeu, cela ne me gêne nullement, je n'hésite pas à dire que sa façon d'encourager les visiteurs à se manifester, à lui envoyer des enfants, ses interpellations depuis la papamobile vers les personnes reconnues, sa bonhommie excessive, ses éclats de rire m'ont paru manquer de tenue. Je suis la première à dire que le protocole rigide du Vatican pourrait être assoupli mais là on tombe carrément dans l'excès contraire; ce n'est pas le curé de campagne qui rencontre ses paroissiens sur le champ de foire! On le pare de toutes les qualités mais, pour le moment, les problèmes qui risquent d'entraîner des mécontentements n'ont pas encore été abordés, du moins pas au grand jour. Dans la Curie, si réforme il y a, des têtes vont tomber et je me demande si l'état de grâce résistera aux amours-propres froissés de se voir mettre à l'écart et, là, il leur faudra savoir faire preuve de beaucoup d'humilité pour avaler les décisions. Le Pape François a la réputation d'être direct, précis, de savoir ce qu'il veut et de ne pas perdre de temps, pas vraiment la conception de l'action à la Curie.

Pour la rencontre du samedi 23 mars 2013, avec de très belles images, les médias sont restés fidèles à leur ligne de conduite en insistant lourdement sur la fatigue du pape émérite, à croire que le catholique lambda qui les regardera a besoin qu'on lui tienne la main et qu'on lui fasse un commentaire pour des choses qui me paraissent évidentes. Je regardais beaucoup les photos publiées sur photovat.com et il est aisé de voir que le 14 février 2013, jour du rendez-vous de Benoît XVI avec son clergé de Rome, dans l' Aula Paul VI, avant de pénétrer sur le lieu de la rencontre, il est rejoint par le cardinal Vallini qui vient l'accueillir; l'accueil et l'échange sont chaleureux avant de prendre le large couloir qui mène à la salle. Le visage de Benoît XVI est très marqué, ses pas sont précautionneux, il s'aide de sa canne qu'il laisse pourtant avant de passer la porte et de gagner sa place; en dépit de cet épuisement, il va nous gratifier d'une relecture de "son" concile de 50 minutes, entièrement improvisée, venant de son cœur, de sa mémoire à un point tel qu'il donne l'impression de vivre les évènements dont il parle. Il assure en plus le défilé des mains à serrer. On retrouve aussi la fatigue, les petites pas, la canne dans le couloir de l'appartement de Castel Gandolfo lorsqu'il gagne la loggia pour ses dernières paroles publiques et lorsqu'il rentre pour se reposer, à la fin de cette longue journée si éprouvante.

Pourquoi avoir craint des problèmes de protocole pour cette rencontre? Il n'y avait pas d'enjeu politique, diplomatique. Le pape émérite avait défini sa position depuis le 28 février alors qu'il ne savait rien de ce que réservait le prochain conclave. On n'assistait pas à une rencontre où l'un des deux participants pouvait espérer le faux pas de l'autre et s'en réjouissait d'avance. Entre Benoît XVI rompu à cette vie rigide depuis tant d'années et à l'usage de tous les codes et l'actuel Souverain Pontife qui paraît vouloir beaucoup diminuer les contraintes , je me demande quel iota aurait pu se glisser pour perturber cette entrevue. Les cardinaux ont tous la réputation d'être de fins diplomates et cela sert beaucoup en société. Par le P. Lombardi on sait que le pape émérite a raccompagné le Pape François à l'héliport.

Une question me vient à l'esprit : comment doit-on vraiment appeler Benoît XVI étant donné que le Souverain Pontife a parlé le 13 Février de l'évêque émérite de Rome? Dans sa soutane blanche, droite, d'une simplicité extrême, il paraît encore avoir plus de classe, si c'est possible, pour porter avec sérénité les années qui n'épargnent personne. Assis sur un simple fauteuil, la position du corps garde beaucoup d'allure malgré le dos qui s'est voûté.Je ne cherche pas à me rassurer avec la méthode Coué. J'ai mal, mais cela ne m'empêche pas de garder les yeux ouverts : il a beaucoup changé en peu de temps. Il est devenu plus fragile, un souffle léger pourrait le renverser, sa voix est faible. Il me rappelle les paroles qu'il disait au sujet de sa mère malade : "sa bonté, devenue encore plus pure et rayonnante,... est devenue pour moi le témoignage de la foi dont elle s'est laissée façonner."
Lorsqu'il a remercié pour le cadeau de l'icône j'ai eu l'impression qu'il ne se sentait pas digne de le recevoir, lui qui n'est plus qu'un simple pèlerin - c'est une interprétation très personnelle.