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"Mon Pape jésuite"

Le cardinal Ruini, ex-cardinal Vicaire de Rome et ex-président de la CEI, considéré comme ratzingérien, n'était plus électeur au dernier conclave, mais il reste certainement une voix très écoutée au sein de l'Eglise en Italie. Il juge les débuts de François. Interviewe dans Il Foglio (28/4/2013)

     

La bureaucratie non, mais l'Eglise institution est nécessaire.
Nous avons besoin d'une nouvelle curie pour un meilleur exercice de la primauté de Pierre
http://www.ilfoglio.it/soloqui/17969
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Ce qui est arrivé à l'Église dans ces deux mois, restera dans l'histoire. Et s'il y a quelqu'un qui a fait l'histoire de l'Église au cours des dernières décennies, c'est le cardinal Camillo Ruini. C'est pourquoi nous lui avons demandé un avis.

- Comment peut-on lire le passage entre la renonciation du pape Benoît XVI et l'élection du pape François: s'agit-il vraiment d'une étape historique (transizione epocale)? L'institution de la papauté serait-elle en train de changer, et dans quel sens?
«Je ne voudrais pas parler d'étape historique. Tout d'abord parce que je n'aime pas les expressions emphatiques, mais ensuite il y a des motifs plus substantiels. L'élection d'un pape hors d'Europe, et d'Amérique latine en particulier, est sans aucun doute une innovation de grande importance. Il y a le nouveau style du Pape François, tellement simple et immédiat, je dirais affectueux, et d'autres changements émergeront probablement. Mais la substance de la tâche du successeur de Pierre demeure. Et même, avec l'élection du Bergoglio, la papauté a donné une nouvelle confirmation de son extraordinaire actualité: il suffit de penser à l'appauvrissement que subiraient les capacités communicatives et la mission de l'Église dans le monde d'aujourd'hui s'il n'y avait pas la figure du Pape (ndt: je l'ai toujours pensé, mais du temps de Benoît XVI, ce n'était pas le couplet à la mode)

- La lune de miel avec les médias tient pour le moment, mais elle ne durera pas longtemps; aussi parce que le nouveau pape a déjà prévenu que l'Eglise "n'est pas une ONG de piété". Et les milieux traditionalistes sont en alarme. Roberto de Mattei a écrit sur Il Foglio qu'avec la renonciation de Ratzinger la constitution même de la papauté reste "profondément blessée".
«La renonciation de Benoît XVI a pris tout le monde par surprise et suscité chagrin et inquiétude. Mais on ne peut en aucune façon parler de blessure à la constitution de la papauté. Et aujourd'hui, nous réalisons mieux à quel point cette décision a été féconde en bien».

- Comment interprétez-vous le premier véritable geste politique du Pape François, la nomination d'un groupe de huit cardinaux «pour le conseiller dans le gouvernement de l'Église universelle et pour étudier un projet de révision de la Constitution Apostolique "Pastor Bonus" sur la Curie romaine» (selon le communiqué officiel )? A quelle perspective cela peut-il conduire dans le cadre institutionnel?
«Cette nomination est une étape importante pour la mise en œuvre plus concrète de la collégialité des évêques, en même temps que de la primauté de Pierre. Une suggestion de ce genre avait déjà émergé des congrégations de cardinaux avant le conclave et le pape François l'a tout de suite saisie et réalisée. La réforme de 'Pastor Bonus' (Constitution apostolique promulguée par le pape Jean-Paul II le 28 Juin 1988) me semble très importante et potentiellement utile, bien que je ne sois pas un expert dans ce domaine. Le ligne de fond devrait, à mon avis, être celle-ci: plus de collégialité non pas pour moins de primat mais pour un meilleur exercice du primat.

- Comment jugez-vous l'absence de ce groupe d'un évêque italien résidentiel: est-ce un signe de plus du redimensionnement de l'Eglise italienne, déjà éprouvée par les Vatileaks? Et le passage de Ratzinger à Bergoglio ne ratifie-t-il pas en réalité le fin de la centralité de l'Église européenne?
«Ce sont des bavardages insignifiants. En effet, l'Église catholique est par nature universelle. Et en elle, tous les peuples et les continents doivent trouver espace et valorisation. Comme je l'ai également dit avant le conclave lors des les congrégations générales, cela n'a aucune importance que le prochain pape soit italien ou non italien, européen ou non européen. Ce qui importe, c'est que soit choisi le meilleur candidat pour le poste»

- Et les évêques italiens?
«Ils sont profondément heureux et la question de la nationalité ne les touche pas du tout (ndt: d'autant plus que le cardinal Bergoglio était à demi italien!!). La surprise était là avec Jean-Paul II, qui fut le premier étranger après des siècles, mais avec Ratzinger et maintenant avec Bergoglio, il s'est agi de quelque chose de paisible. En fait, l'enthousiasme des gens est partagé par les évêques».

- L'Église dans ses structures et dans ses références a eu pendant des siècles son centre de gravité en Europe, mais maintenant, l'axe se déplace.
«En réalité, c'est un phénomène planétaire, qui s'applique certainement aussi à l'Église. Aujourd'hui, nous sommes dans un monde globalisé, ce qui correspond du reste à l'essence du catholicisme, lui aussi universel. En ce sens, beaucoup ont constaté que l'Église a anticipé à sa façon la mondialisation; par sa nature même, elle est en effet envoyée aux confins de la terre, et dans tous les temps».

- Dans les congrégations générales, avant le conclave , Bergoglio avait conquis les Cardinauxs avec un discours direct: "Quand l'Église ne sort pas pas d'elle-même pour évangéliser, elle devient auto-référentielle, et alors elle tombe malade. Les maux qui assaillent les institutions religieuses ont une racine dans l'auto-référentialité, dans une sorte de narcissisme théologique". En fait, sa cible polémique a toujours été la "mondanité spirituelle". Il a dit que le pire péché est l'orgueil. Mais au-delà de l'exemple de sobriété qu'il donne personnellement, comment est-il possible de combattre l'éléphantiasis bureaucratique qui paralyse l'Église? Vous, en tant que président de la CEI, quelle expérience avez-vous eu en ce sens?
«Le risque dénoncé par le pape François est réel et est toujours aus aguets. Moi aussi, dans les années où j'étais à la CEI, j'ai dû faire face à ce problème et essayer de le combattre, avec des résultats plus ou moins efficace. Bien sûr, c'est un risque que courent toutes les institutions. Les institutions, en réalité, sont nécessaires, mais le danger d'auto-référentialité est réel»

- Aujourd'hui, plus que jamais auparavant. La nécessité d'une institution flexible, légère, est donc d'autant plus urgente. Pourquoi tant de prêtres sont-ils réduits à être des fonctionnaires plutôt que de prêcher l'Evangile?
«Je suis d'accord sur la nécessité de concentrer les quelques prêtres que nous avons surtout dans la pastorale».

- Le fait est que la bonne volonté ne suffit pas, pas même celle du Pape. Il faudrait une réforme institutionnelle ...
«Je dirais que l'on devrait alléger, y compris numériquement, les structures diocésaines, ainsi que la Curie romaine. Dans ces structures résiste souvent l'idée que la pastorale se fait surtout à travers de grands projets, des congrès, la méthodologie. En réalité, ce sont des questions secondaires, qui produisent peu. Il faudrait donc un sérieux redimensionnement, et je pense que c'est possible: si dans une curie, au lieu d'avoir une vingtaine de prêtres, il n'y en avait que cinq, comme par le passé, on pourrait envoyer les autres sur le terrain. Les paroisses italiennes sont toujours couvertes, bien ou mal, mais il y a d'autres domaines de la pastorale, je pense à la santé ou à l'éducation, qui ne le sont pas. Il s'agit d'avoir des priorités claires».

- Parmi les priorités de Bergoglio il y a sans aucun doute la politique au sens noble du terme, montinien («La plus haute forme de la charité»). Dans son discours à l'occasion du bicentenaire de l'indépendance de l'Argentine, le 16 Octobre 2010, l'archevêque de Buenos Aires élabore une pensée organique pour une citoyenneté "au sein d'un peuple", une véritable "théologie du peuple".
«J'ai lu avec intérêt le livre interview du pape François avec Sergio Rubin et Francesca Ambrogetti. Surtout la dernière partie, où il commente le poème national «El gaucho Martín Fierro» (ndt: lire à ce sujet Massimo Introvigne, La Nuova Bussola), on voit combien le Pape François est argentin. Un amour de la patrie que souvent nous, Italiens n'avons pas».
(..)

- Pour en revenir au discours du bicentenaire d'Argentine , Bergoglio critique vivement "l'individualisme consumériste qui ne fait que réclamer, exiger, critiquer et moraliser, et, centré sur lui-même, ne rassemble pas, ne parie pas, ne prend aucun risque, ne se met pas en jeu pour les autres". Cet arrière-plan peut peut-être aider à comprendre l'insistance du pape François sur les pauvres, les périphéries, les derniers, et ainsi de suite. Dans les milieux conservateurs, cependant, on soutient l'équivalence de fait entre cette théologie du peuple et la théologie de la libération.
«Dans les années soixante, j'ai fait des conférences, à Reggio Emilia et à Bologne, sur la théologie de la libération, qui était alors encore en vogue chez nous. Ainsi j'ai étudié aussi un peu la théologie argentine, par exemple, le jésuite Juan Carlos Scannone (qui fut professeur de Bergoglio, ndlr). Déjà alors, cette théologie était reconnue comme étant essentiellement différente, car elle n'était pas fondée sur une analyse marxiste de la société, mais sur la religiosité populaire. Assimiler aujourd'hui l'insistance du pape François sur la pauvreté et la proximité avec les pauvres à la théologie de la libération est complètement hors de propos. Il s'agit au contraire simplement d'être fidèle à Jésus et l'Evangile».

- Le grand théologien jésuite Bernard Lonergan (ndt: 1904-1984, http://fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_Lonergan) avait lui aussi été très dur sur la dérive libérale.
«Il aurait certainement lu la crise économique de 2009 avec les mêmes yeux que celle de 1929. Lonergan condamnait l'égoïsme collectif. Il avait appris d'un autre grand maître John Henry Newman que "le mal le plus subtil n'existe pas dans des actions, mais au niveau des dispositions à le pratiquer, comme par exemple dans le cas de la cupidité. Durant ces années, sa critique de l'irresponsabilité des grands leaders ayant dans leurs mains le destin du monde a été très forte.

- Sa réflexion sur notre mondialisation sauvage est une leçon très actuelle, a dit, il y a quelques années, un de ses disciples, le théologien jésuite Michael Paul Gallagher.
«Lonergan, je l'ai eu comme professeur à la Grégorienne en 1953-54, bien après la crise de 29. J'ai étudié beaucoup de ses livres de théologie et philosophie fondamentales, mais je n'ai pas eu l'occasion d'étudier ses écrits sur les questions économiques».

- Le fait demeure que l'insistance sur la périphérie et les derniers n'est pas une question purement théologique mais sociologique. Ce qui ne veut pas dire désincarnée.
«Bien sûr. Ce n'est pas une question partisane ou idéologique, mais de reconnaissance pratique de la valeur de chaque personne humaine».

- Sur la question anthropologique aussi, Bergoglio est pleinement conscient, il suffit de parcourir son entretien avec le rabbin de Buenos Aires Abraham Skorka (Sur le ciel et la terre, à paraître en France, cf. (1)). La clarté du contenu est accompagnée d'une limpide méthode dialogique. Dans ce style, la formation jésuite compte-t-elle?
«Le Pape François apparaît constamment fidèle à la méthode dialogique et en même temps très précis sur les questions anthropologiques et théologiques. C'est la meilleure tradition des pères jésuites que j'ai connus au cours des années 1949-1957 quand j'étais leur disciple à la Grégorienne. Bergoglio me rappelle les pères que je connaissais alors: des personnes extrêmement simples, même de vie spartiate, y compris Lonergan, et pourtant parfois de valeur internationale».

- Mais n'est-ce pas un paradoxe que, maintenant que la modernité, dont les Jésuites étaient les tuteurs, est finie, l'Église se confie à un jésuite et non pas, par exemple, à un fils de l'un des mouvements ecclésiaux nés dans le post-Vatican II?
«Ratzinger est, pour ainsi dire, très bénédictin, mais cela ne signifie pas que sa référence était le Haut Moyen Age. Certes, le fait que François est le premier pape jésuite est une nouveauté, mais une nouveauté que je dirais normale».

- Bergoglio s'est présenté comme l'évêque de Rome et sur ce point, il a invité à concentrer le regard. Comment combiner le primat pétrinien avec la collégialité aujourd'hui, c'est à dire non pas avec des formules abstraites, mais dans la pratique? Sur ce thème, on peut également inclure sa relance du Concile contre ceux qui le traitent comme "un monument qui ne dérange pas" ou "les voix qui veulent revenir en arrière".
« Vatican II doit encore exploiter beaucoup de ses potentialités. Le Pape François a très bien fait de souligner que nous devons aller de l'avant et non en arrière dans sa mise en œuvre. Ce n'est pas en conflit avec l'herméneutique de la réforme dans la continuité qui est la grande leçon de Benoît XVI. Quant à la façon de combiner primat et collégialité, une étape concrète est la création du groupe de huit cardinaux dont nous avons parlé. Pour ma part, je ne suis pas un expert en formules juridiques et canoniques, je peux seulement dire qu'il me semble que la meilleure voie est d'essayer de faire une synthèse entre l'ecclésiologie du premier millénaire, où la collégialité prévalait, et l'ecclésiologie du deuxième millénaire, où au contraire l'accent était mis sur la primauté, préservant le meilleur des deux et essayant de les adapter à la réalité d'aujourd'hui. C'est un grand travail qui demande du temps et procédera par essais et ajustements. Je ne pense pas que nous nous arrêterons au Groupe des Huit, mais pour l'instant je ne peux pas en dire plus».

© - FOGLIO QUOTIDIANO
Marco Burini

     

(1)
Le pape François et ses amis les rabbins
Extrait d’une conversation avec Abraham Skorka …
19 mars 2013

Comme Benoît XVI en avril 2005, le pape François, très vite après son élection, a envoyé une lettre au chef de la communauté juive de Rome, Riccardo Di Segni, pour lui faire part de son désir de contribuer aux « progrès des relations entre juifs et catholiques ».
Un geste plus que naturel aux yeux de tous ses amis juifs et de tous ceux qui connaissaient déjà son engagement en faveur du dialogue interreligieux, notamment dans les relations avec le judaïsme.
Les témoignages recueillis auprès des personnalités juives d’Argentine sont unanimes : Le cardinal Jorge Mario Bergoglio, alors archevêque de Buenos Aires, était réputé pour son « ouverture », pour sa capacité à « dialoguer » et à « jeter des ponts » en direction des autres confessions.
Parmi ses « nombreux amis rabbins », le rabbin Abraham Skorka, recteur du Séminaire rabbinique latino-américain, qui voit en lui un promoteur « absolu » du dialogue interreligieux. Celui-ci est convaincu que le pape François en fera une des spécificités de son pontificat.
Leur amitié, centrée sur la recherche de Dieu et la promotion de liens fraternels, s’est renforcée au fil de longues conversations dont certaines sont recueillies dans le livre: « Jorge Bergoglio et Abraham Skorka: sur le ciel et la terre »...
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La suite ici: http://www.aleteia.org/fr/religion/actualites/le-pape-francois-et-ses-amis-les-rabbins-414003