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60 ans de sacerdoce

Une interviewe de Georg Ratzinger, dans le n° de juin 2011 de la revue (aujourd'hui disparue) "30 giorni" (13/6/2013)

Interview de Georg Ratzinger par Roberto Rotondo et Silvia Kritzenberger
30 Giorni, n°6, 2011 (reprise)
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BENOÎT XVI. Ses soixante ans de sacerdoce
«Une gratitude qui grandit d’année en année»

Interview de Monseigneur Georg Ratzinger, ordonné il y a soixante ans en même temps que son frère Joseph

«Le jour le plus important de ma vie». Joseph Ratzinger a toujours défini ainsi le jour de son ordination sacerdotale, le 29 juin 1951. Et nul n’ignore que ce même jour, son frère Georg a été ordonné avec lui, dans la cathédrale de Freising, en Bavière. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé à Monseigneur Georg Ratzinger, un témoin d’exception, de revenir sur ses souvenirs de ce matin d’été 1951, à l’occasion de ce soixantième anniversaire de sacerdoce. En commençant par le récent jubilé.

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Monseigneur Ratzinger, quels souvenirs avez-vous gardés, au fond de votre cœur, de ces journées où l’on fêtait le soixantième anniversaire de votre sacerdoce?

GEORG RATZINGER: Je ne peux vous cacher qu’au début, j’aurais aimé célébrer cet anniversaire en privé, sans participer à des cérémonies solennelles, parce que je n’avais pas encore retrouvé mes forces après mon opération au genou: en effet, ce genre de cérémonies requiert une certaine fraîcheur physique et mentale.
Mais je suis content qu’il en soit allé autrement, parce qu’il y a eu des moments très touchants, comme la magnifique célébration organisée dans la cathédrale de Freising par l’Institut Benoît XVI, qui s’occupe de la publication de l’œuvre complète du Saint-Père. C’est dans la cathédrale de Freising que nous avons été ordonnés prêtres, mon frère et moi, et je me sentais vraiment chez moi. La journée a commencé par la récitation des Laudes et puis, après quelques messages de bienvenue et d’autres interventions, nous avons déjeuné avec d’autres prélats, quelques cardinaux, les évêques auxiliaires et naturellement des amis de longue date. Un autre moment important a été la messe dans ma collégiale, Saint Jean-Baptiste: l’église était comble et l’atmosphère était solennelle. Et enfin, le troisième rendez-vous a été la messe à Saint-Pierre de Rome: quelle émotion de penser que notre jubilé s’insérait avec la commémoration solennelle des saints Pierre et Paul, si importants pour Rome et pour l’Église universelle!

Quelle joie pour votre frère de vous avoir à ses côtés!

Cette joie, nous la ressentons chaque fois que nous nous voyons. Nous nous retrouvons régulièrement depuis toujours et bien entendu, nous ne voulons pas renoncer à cette habitude maintenant que nous avons franchi le seuil de la vieillesse, une phase de la vie dans laquelle ce sentiment d’appartenance réciproque est plus fort que jamais.

Qu’avez-vous pensé, le 29 juin 1951? Le Pape a dit, en évoquant le jour de son ordination: «À soixante années du jour de mon ordination sacerdotale, j’entends encore résonner en moi ces paroles de Jésus: “Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis!”, que notre grand archevêque le Cardinal Faulhaber nous adressa, à nous les nouveaux prêtres, à la fin de la cérémonie d’ordination…»

J’ai pensé que j’étais en train de vivre un tournant fondamental, comme tous ceux qui deviennent prêtres, parce que l’ordination sacerdotale confère à l’homme une nouvelle qualité de vie, elle le fait devenir un “chargé de mission” du Christ, qui doit apporter au monde le mystère et la parole de Jésus-Christ. Au fil des ans, j’ai peu à peu compris à quel point étaient vraies ces paroles de l’Évangile de Jean que le cardinal Faulhaber nous avait adressées: l’ordination sacerdotale comporte une amitié particulière avec le Christ, car elle confère un mandat particulier. Avec ce mandat, il nous est donné de prendre conscience, et de nous émerveiller, en constatant à quel point le Seigneur “met la patte”, pour ainsi dire, dans notre vie d’hommes.

Comment ce jour a-t-il été vécu dans votre famille?

Une expérience de joie, une expérience unique.
Dans ce qui avait été jusque là la vie normale d’une famille, avait fait irruption un événement qui était considéré à l’époque comme un don: le sacerdoce, un événement qui nous introduit dans un monde différent, dans l’éternité. J’avais trois ans de plus que mon frère, mais la guerre avait bouleversé nos projets, et le sort a voulu nous donner la joie de vivre ensemble notre ordination et notre première messe. À l’époque, en effet, les différences d’âge entre les candidats au sacerdoce étaient grandes au séminaire de Freising.

Quelles ont été les personnes qui ont eu la plus grande influence sur votre formation de prêtres et de chrétiens?

Notre recteur, Michael Höck, était une figure de proue pour les séminaristes du “Domberg”, le grand séminaire de Freising. Il revenait de cinq années passées dans le camp de concentration de Dachau. Sa vie avait été celle d’un prêtre pieux, dévot et engagé. Il avait quelque chose de paternel, il était bon, compréhensif, et nous le considérions plus comme un père que comme un supérieur. Il avait surtout à cœur, en ces temps difficiles, d’aider chacun de nous à trouver la bonne voie.

Au cours du déjeuner dont vous nous avez parlé, le Pape a évoqué cette année 1951 en soulignant qu’alors, le monde était totalement différent d’aujourd’hui et que l’Allemagne avait besoin d’une reconstruction morale et matérielle. Aviez-vous l’impression de participer à cette reconstruction, même si vous étiez destinés au sacerdoce?

Nous sommes tous conditionnés par l’époque dans laquelle nous vivons, nous partageons avec les hommes de notre temps leurs difficultés, leurs préoccupations, mais aussi leurs joies. En ce sens, nous avons contribué, nous aussi, à cette œuvre de renouvellement. Mais il faut dire qu’il ne s’est pas agi d’un progrès univoque, parce qu’au fur et à mesure que l’économie se développait, et avec elle la richesse et le bien-être, on a vu émerger une certaine décadence morale, et que d’autres aspects négatifs ont accompagné ce processus de reconstruction.

Lorsque vous étiez au séminaire, vous saviez déjà que vous n’alliez pas suivre la même voie. Vous vous êtes consacré à la musique, et votre frère a préféré l’enseignement de la théologie…

Oui, le bon Dieu nous a fait suivre des chemins différents. Je demandais toujours au Seigneur de me permette de travailler dans le domaine de la musique sacrée, de pouvoir chanter sa Louange à travers la musique. Et si je regarde ma vie, je dois dire qu’Il a merveilleusement exaucé mes prières. Il m’a permis de travailler avec le chœur de la cathédrale Saint-Pierre, à Ratisbonne, le Regensburger Domspatzen, que j’apprécie beaucoup et qui a des qualités probablement uniques dans le monde catholique.

Quelle est, à votre avis, la situation actuelle de la musique sacrée dans l’Église?

Elle varie d’un endroit à l’autre, d’un pays à l’autre. En ce qui concerne mon expérience, je peux dire que la cathédrale de Ratisbonne a la particularité de cultiver le chant grégorien et la polyphonie vocale classique, une longue tradition qu’elle a su conserver après le Concile, tout en allant de l’avant. La musique a toujours eu une importance fondamentale pour la vie religieuse, parce que le langage parlé n’atteint que la raison, tandis que la musique engage l’homme tout entier dans la louange de Dieu. La musique sacrée aura toujours une grande importance, même si les modalités peuvent varier. Nous devons nous assurer que la musique soit cultivée de manière à atteindre pleinement son but, qui est de conduire les hommes à Dieu.

Une dernière question: si l’on pense à ce 29 juin, qu’est-il resté chez le Pape d’aujourd’hui du jeune prêtre de 24 ans ordonné il y a soixante ans?

Ce qui est resté est énorme, parce qu’est restée la gratitude d’avoir reçu la grâce d’être prêtre, la même que celle que je ressens. J’espère que restera en moi la joie que nous avons ressentie ce jour-là, la gratitude pour avoir reçu cet appel. Et j’espère même que cette gratitude grandira d’année en année.