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Catéchèse sur le triduum Pascal

... le 20 avril 2011, Benoît XVI, presque entièrement "a braccio", explique "les trois jours saints au cours desquels l'Église fait mémoire du mystère de la passion, de la mort et de la résurrection de Jésus", et en particulier la Messe de la Cène du Seigneur. (28/3/2013).

Merci à Raffaella qui nous l'a remise en mémoire.

On sait que l'annonce que François allait célébrer, en ce jour du Jeudi Saint, la Messe de la Cène du Seigneur dans la prison pour mineurs de Casal del Marmo, très appréciée pour sa valeur symbolique dans les milieux les plus éloignés de la religion, a suscité aussi une certaine perplexité, notamment de la part du Père Scalese (cf. La messe de la Cène du Seigneur).
Benoît XVI lui-même nous expliquait la signification du geste du lavement des pieds dans une catéchèse extraordinaire dont je parlais à l'époque en ces termes:

La catéchèse... par moments presque une méditation à voix haute, a été faite en grande partie a braccio, avec une grande passion, un grand désir de convaincre...
Cela n'a rien pour étonner: le Saint-Père y expliquait un sujet qui l'habite totalement, le "noyau"-même de son
Jésus de Nazareth II, "les trois jours saints au cours desquels l'Église fait mémoire du mystère de la passion, de la mort et de la résurrection de Jésus".
Il n'avait pas besoin de regarder ses notes, les mots coulaient littéralement de son coeur.

(Cf. http://benoit-et-moi.fr/2011-I)

Nous lisons bien, dans la bouche du Saint-Père Benoît:
Au cours de la Dernière Cène, les Apôtres sont constitués ministres de ce Sacrement de salut; Jésus leur lave les pieds (cf. Jn 13, 1-25), les invitant à s’aimer les uns les autres comme Lui les a aimés, en donnant sa vie pour eux. En répétant ce geste dans la Liturgie, nous sommes nous aussi appelés à témoigner de façon concrète de l’amour de notre Rédempteur.

     

Chers frères et sœurs,

Nous sommes désormais parvenus au cœur de la Semaine Sainte, accomplissement du chemin quadragésimal. Demain, nous entrerons dans le Triduum pascal, les trois jours saints au cours desquels l’Eglise fait mémoire du mystère de la passion, de la mort et de la résurrection de Jésus. Le fils de Dieu, après s’être fait homme en obéissance au Père, devenant en tout semblable à nous, à l’exception du péché (cf. He 4, 15), a accepté d’accomplir jusqu’au bout sa volonté, d’affronter par amour pour nous la passion et la croix, pour nous faire participer à sa résurrection, afin qu’en Lui et pour Lui, nous puissions vivre pour toujours, dans le réconfort et dans la paix. Je vous exhorte donc à accueillir ce mystère de salut, à participer intensément au Triduum pascal, coeur de l’année liturgique et moment de grâce particulière pour chaque chrétien; je vous invite à rechercher en ces jours le recueillement et la prière, afin de puiser plus profondément à cette source de grâce. A ce propos, en vue des fêtes imminentes, chaque chrétien est invité à célébrer le sacrement de la Réconciliation, moment d’adhésion spéciale à la mort et à la résurrection du Christ, pour pouvoir participer de façon plus fructueuse à la Sainte Pâque.

Le Jeudi saint est le jour où l’on fait mémoire de l’institution de l’Eucharistie et du Sacerdoce ministériel. Dans la matinée, chaque communauté diocésaine, rassemblée dans l’Eglise cathédrale autour de l’évêque, célèbre la Messe chrismale, au cours de laquelle sont bénis le saint Chrême, l’Huile des catéchumènes, et l’Huile des malades. A partir du Triduum pascal, et pendant toute l’année liturgique, ces Huiles seront utilisées pour les sacrements du baptême, de la confirmation, des ordinations sacerdotales et épiscopales et de l’onction des malades; on souligne de cette manière que le salut, transmis par les signes sacramentels, jaillit précisément du Mystère pascal du Christ; en effet, nous avons été rachetés par sa mort et sa résurrection et, à travers les Sacrements, nous puisons à cette même source salvifique. Au cours de la Messe chrismale, demain, aura lieu également le renouvellement des promesses sacerdotales. Dans le monde entier, chaque prêtre renouvelle les engagements qu’il a pris le jour de son ordination, pour être totalement consacré au Christ dans l’exercice du ministère sacré au service de ses frères. Nous accompagnons nos prêtres par notre prière.

Dans l’après-midi du Jeudi saint commence véritablement le Triduum pascal, avec la commémoration de la Dernière Cène, au cours de laquelle Jésus institua le Mémorial de sa Pâque, en accomplissant le rite de la Pâque juive. Selon la tradition, chaque famille juive, rassemblée autour d’une table en la fête de Pâque, mange l’agneau rôti, en faisant mémoire de la libération des juifs de l’esclavage d’Egypte; ainsi, au cénacle, conscient de sa mort imminente, Jésus, véritable Agneau pascal, s’offre lui-même pour notre salut (cf. 1 Co 5, 7). En prononçant la bénédiction sur le pain et le vin, Il anticipe le sacrifice de la croix et manifeste l’intention de perpétuer sa présence au milieu des disciples: sous les espèces du pain et du vin, Il se rend présent de façon réelle à travers son corps donné et son sang versé. Au cours de la Dernière Cène, les Apôtres sont constitués ministres de ce Sacrement de salut; Jésus leur lave les pieds (cf. Jn 13, 1-25), les invitant à s’aimer les uns les autres comme Lui les a aimés, en donnant sa vie pour eux. En répétant ce geste dans la Liturgie, nous sommes nous aussi appelés à témoigner de façon concrète de l’amour de notre Rédempteur.

Enfin, le Jeudi saint se conclut par l’Adoration eucharistique, dans le souvenir de l’agonie du Seigneur dans le jardin de Gethsémani. Ayant quitté le Cénacle, Il se retira pour prier, seul, devant le Père. Dans ce moment de communion profonde, les Evangiles rapportent que Jésus ressentit une profonde angoisse, une souffrance telle qu’il verse une sueur de sang (cf. Mt 26, 38). Conscient de sa mort imminente sur la croix, Il ressent une profonde angoisse et l’approche de la mort.
Dans cette situation, apparaît également un élément de grande importance pour toute l’Eglise.
Jésus dit aux siens: demeurez ici et veillez; et cet appel à la vigilance concerne précisément ce moment d’angoisse, de menace, au cours duquel arrivera le traître, mais il concerne toute l’histoire de l’Eglise. C’est un message permanent pour tous les temps, car la somnolence des disciples était le problème non seulement de ce moment, mais est le problème de toute l’histoire. La question est de savoir en quoi consiste cette somnolence, et en quoi consisterait la vigilance à laquelle le Seigneur nous invite. Je dirais que la somnolence des disciples tout au long de l’histoire est un certain manque de sensibilité de l’âme pour le pouvoir du mal, un manque de sensibilité pour tout le mal du monde. Nous ne voulons pas nous laisser trop troubler par ces choses, nous voulons les oublier: nous pensons que peut-être ce ne sera pas si grave, et nous oublions. Et il ne s’agit pas seulement de manque de sensibilité pour le mal, alors que nous devrions veiller pour faire le bien, pour lutter pour la force du bien. C’est un manque de sensibilité pour Dieu: telle est notre véritable somnolence; ce manque de sensibilité pour la présence de Dieu qui nous rend insensibles également au mal. Nous ne sentons pas Dieu — cela nous dérangerait — et ainsi, nous ne sentons pas non plus naturellement la force du mal et nous restons sur le chemin de notre confort. L’adoration nocturne du Jeudi saint, la vigilance avec le Seigneur, devrait être précisément le moment pour nous faire réfléchir sur la somnolence des disciples, des défenseurs de Jésus, des apôtres, de nous, qui ne voyons pas, qui ne voulons pas voir toute la force du mal, et qui ne voulons pas entrer dans sa passion pour le bien, pour la présence de Dieu dans le monde, pour l’amour du prochain et de Dieu.

Puis, le Seigneur commence à prier. Les trois apôtres — Pierre, Jacques et Jean — dorment, mais quelques fois se réveillent, et entendent le refrain de cette prière du Seigneur: «Que soit faite non pas ma volonté, mais ta volonté».
Qu’est-ce que ma volonté, qu’est-ce que ta volonté dont parle le Seigneur? Ma volonté est «qu’il ne devrait pas mourir», que lui soit épargnée la coupe de la souffrance: c’est la volonté humaine, de la nature humaine, et le Christ ressent, avec toute la conscience de son être, la vie, l’abîme de la mort, la terreur du néant, cette menace de la souffrance. Et Lui plus que nous, qui avons cette aversion naturelle pour la mort, cette peur naturelle de la mort, encore plus que nous, il ressent l’abîme du mal. Il ressent, avec la mort, également toute la souffrance de l’humanité. Il sent que tout cela est la coupe qu’il doit boire, qu’il doit s’obliger à boire, il doit accepter le mal du monde, tout ce qui est terrible, l’aversion pour Dieu, tout le péché. Et nous pouvons comprendre que Jésus, avec son âme humaine, est terrorisé face à cette réalité, qu’il perçoit dans toute sa cruauté: ma volonté serait de ne pas boire cette coupe, mais ma volonté est soumise à ta volonté, à la volonté de Dieu, à la volonté du Père, qui est également la véritable volonté du Fils. Et ainsi, Jésus transforme, dans cette prière, l’aversion naturelle, l’aversion pour la coupe, pour sa mission de mourir pour nous; il transforme sa volonté naturelle en volonté de Dieu, dans un «oui» à la volonté de Dieu. L’homme en soi est tenté de s’opposer à la volonté de Dieu, d’avoir l’intention de suivre sa propre volonté, de se sentir libre uniquement s’il est autonome; il oppose sa propre autonomie contre l’hétéronomie de suivre la volonté de Dieu. Cela est tout le drame de l’humanité. Mais en vérité, cette autonomie est fausse et cette obéissance à la volonté de Dieu n’est pas une opposition à soi-même, n’est pas un esclavage qui viole ma volonté, mais cela signifie entrer dans la vérité et dans l’amour, dans le bien. Et Jésus tire notre volonté, qui s’oppose à la volonté de Dieu, qui cherche l’autonomie, il tire notre volonté vers le haut, vers la volonté de Dieu. Tel est le drame de notre rédemption, que Jésus tire vers le haut notre volonté, toute notre aversion pour la volonté de Dieu et notre aversion pour la mort et le péché, et l’unit à la volonté du Père: «Non pas ma volonté mais la tienne». Dans cette transformation du «non» en «oui», dans cette insertion de la volonté de la créature dans la volonté du Père, il transforme l’humanité et nous rachète. Et il nous invite à entrer dans son mouvement: sortir de notre «non» et entrer dans le «oui» du Fils. Ma volonté existe, mais la volonté du Père est décisive, car elle est la vérité et l’amour.

Un ultérieur élément de cette prière me semble important. Les trois témoins ont conservé — comme on le voit dans les Saintes Ecritures — la parole juive ou araméenne avec laquelle le Seigneur a parlé au Père, il l'a appelé «Abbà», père. Mais cette formule, «Abbà», est une forme familière du terme père, une forme qui s'utilise uniquement en famille, qui n'a jamais été utilisée à l'égard de Dieu. Ici, nous voyons dans l'intimité de Jésus comment il parle en famille, il parle vraiment comme un Fils à son Père. Nous voyons le mystère trinitaire: le Fils qui parle avec le Père et rachète l'humanité.

Encore une remarque. La Lettre aux Hébreux nous a donné une profonde interprétation de cette prière du Seigneur, de ce drame de Gethsémani. Elle dit: ces larmes de Jésus, cette prière, ce cri de Jésus, cette angoisse, tout cela n'est pas simplement une concession à la faiblesse de la chair, comme on pourrait dire. C'est précisément ainsi qu'il réalise la charge de Souverain Prêtre, parce que le Souverain Prêtre doit porter l'être humain, avec tous ses problèmes et les souffrances, à la hauteur de Dieu. Et la Lettre aux Hébreux dit: avec tous ces cris, ces larmes, ces souffrances, ses prières, le Seigneur a porte notre réalité à Dieu (cf.
He 5, 7sqq). Et il utilise ce mot grec «prosfere in », qui est le terme technique de ce que doit faire le Souverain Prêtre pour offrir, pour élever ses mains.

C'est précisément dans ce drame de Gethsémani, où il semble que la force de Dieu ne soit plus présente, que Jésus réalise la fonction du Souverain Prêtre. Et il dit en outre que dans cet acte d'obéissance, c'est-à-dire de conformation de la volonté naturelle humaine à la volonté de Dieu, il est perfectionné comme prêtre. Et il utilise de nouveau le mot technique pour ordonner prêtre. C'est précisément ainsi qu'il devient réellement le Souverain Prêtre de l'humanité et ouvre ainsi le ciel et la porte à la résurrection.

Si nous réfléchissons sur ce drame de Gethsémani, nous pouvons voir aussi le fort contraste entre Jésus avec son angoisse, avec sa souffrance, par rapport au grand philosophe Socrate, qui reste pacifique, sans être perturbé face à la mort. Et cela semble l'idéal. Nous pouvons admirer ce philosophe, mais la mission de Jésus était une autre. Sa mission n'était pas cette totale indifférence et liberté; sa mission était de porter en soi toute notre souffrance, tout le drame humain. Et c'est pourquoi précisément cette humiliation de Gethsémani est essentielle pour la mission de l'Homme-Dieu. Il porte en lui-même notre souffrance, notre pauvreté, et il la transforme selon la volonté de Dieu. Et il ouvre ainsi les portes du ciel, il ouvre le ciel: ce rideau du Très Saint, que jusqu'alors l'homme a fermé contre Dieu, est ouvert à cause de cette souffrance et cette obéissance. Voilà quelques remarques pour le Jeudi saint, pour notre célébration de la nuit du Jeudi saint.

Le Vendredi saint, nous ferons mémoire de la passion et de la mort du Seigneur; nous adorerons le Christ crucifié, nous participerons à ses souffrances, avec la pénitence et le jeûne. En tournant «le regard vers celui qu'ils ont transpercé» (cf. Jn 19, 37), nous pourrons puiser à son coeur déchiré d'où jaillit le sang et l'eau comme d'une source; de ce cœur d'où jaillit l'amour de Dieu pour tout homme, nous recevons son Esprit. Accompagnons donc nous aussi, en ce Vendredi saint, Jésus qui monte au Calvaire, laissons-nous guider par Lui jusqu'à la croix, recevons l’offrande de son corps immolé. Enfin, dans la nuit du Samedi saint, nous célébrerons la Veillée pascale solennelle, au cours de laquelle nous est annoncée la résurrection du Christ, sa victoire définitive sur la mort qui nous interpelle à être en Lui des hommes nouveaux. En participant à cette sainte Veillée, la Nuit centrale de toute l'Année liturgique, nous ferons mémoire de notre Baptême, dans lequel nous aussi avons été ensevelis avec le Christ, pour pouvoir avec lui connaître la résurrection et participer au banquet du ciel (cf. Ap 19, 7-9).

Chers amis, nous avons cherché à comprendre l'état d'âme avec lequel Jésus a vécu le moment de l'épreuve extrême, pour saisir ce qui orientait son action. Le critère qui a guidé chaque choix de Jésus durant tout sa vie a été la ferme volonté d'aimer le Père, d'être un avec le Père, et de lui être fidèle; cette décision de répondre à son amour l'a conduit à embrasser, en chaque circonstance, le projet du Père, à faire sien le dessein d'amour qui lui est confié et récapituler toute chose en Lui, pour ramener toute chose en Lui. En revivant le saint Triduum, disposons-nous à accueillir nous aussi dans notre vie la volonté de Dieu, conscients que dans la volonté de Dieu, même si elle semble dure, en opposition avec nos intentions, se trouve notre vrai bien, le chemin de la vie. Que la Vierge Mère nous guide sur cet itinéraire, et nous obtienne de son Fils divin la grâce de pouvoir consacrer notre vie par amour de Jésus, au service de nos frères. Merci.