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La loi du Roi Salomon

Les grands discours de Benoît XVI au monde laïc (Ratisbonne, ONU, Bernardins, Parlement de Londres, Bundestag) ont été rassemblés, et commentés, dans un livre publié ces jours-ci en Italie, préfacé par Giorgio Napolitano. Des idées pour l’édition française ? (15/8/2013)

L'amitié entre le pape et le vieux président était sous les yeux de tous, nonobstant les origines culturelles diamétralement opposées - Giorgio Napolitano, venu du communisme, issu de la grande bourgeoisie, et le Pape, immense intellectuel, mais issu d'une modeste famille bavaroise.

Fiche de l'éditeur

La loi du Roi Salomon
Raison et droit dans les discours de Benoît XVI

Au cours de son pontificat, Benoît XVI a été appelé à se confronter avec les leaders politiques et culturels de nombreux pays européens et des principales institutions internationales. De cette confrontation est né un ensemble consistant de réflexions sur l’ordre politique et juridique libéral, qui touche les problématiques fondamentales de la démocratie, du rapport entre loi, droit et justice, de la liberté religieuse et du rôle des croyants dans la sphère publique.
Dans ce volume, qui rassemble pour la première fois ces interventions, des juristes et des intellectuels de différentes extractions culturelle, politique, religieuse et géographique se mesurent aux principaux « discours juridiques de Benoît XVI, depuis celui de Ratisbonne en 2006, jusqu’à celui au Bundestag de Berlin e 2011, entamant ainsi une discussion publique autour du précieux héritage culturel d’un Pontife particulièrement sensible aux problèmes de la cohabitation civile. La pensée publique de Benoît XVI révèle, à la lumière de cette analyse, des contenus inattendus qui mettent en cause les stéréotypes les plus fréquents autour de la culture catholique, du rapport foi-raison et de la position de ce Pontife face à la contemporanéité.
Conçu avant la « renonciation » de Benoît XVI, ce volume revêt la valeur d’un hommage au Pape émérite, témoin d’une raison ouverte qui consent au dialogue avec l’autre.
Il est préfacé par Giorgio Napolitano.

>>> http://libreriarizzoli.corriere.it

     

La préface du Président Napolitano

http://archiviostorico.corriere.it
La politique éclairée par l'histoire
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La pensée juridique et politico-juridique de Benoît XVI s'est exprimée pendant les années cruciales de son pontificat avec une telle variété et une telle richesse d'apports qu'elle réclame et motive un examen, une méditation, une discussion hautement qualifiés, comme ceux rassemblés .. dans ce volume.

Je ne peux que m'en réjouir, et en tirer parti pour comprendre mieux, et préciser tout d'abord à moi-même, l'arrière-plan de la relation unique que j'ai eue, en tant que président de la République italienne, avec le Saint-Père Benoît XVI.
Une relation unique par l'intensité et le naturel, pour l'harmonie et la confiance qui l'ont caractérisée dès le début, d'une certaine façon, nous surprenant peut-être nous-mêmes.
Je dirais qu'elle reflète des affinités personnelles, avant tout des attitudes similaires pour un dialogue pacifique, libre et respectueux et en même temps des affinités de générations. Et, surtout, dans tout cela un fond commun essentiel s'est manifesté: du fait que nos vies sont intégralement inscrites dans l'expérience historique du XXe siècle. Une expérience, un enchevêtrement grand et terrible de lumières et d'ombres, que nos deux pays d'origine ont plus que tous les autres vécu en termes dramatiques et traumatisants jusqu'au milieu du siècle dernier et dont nous avons tiré, à titre personnel, une impulsion décisive à nous reconnaître dans la vision d'une Europe nouvelle, enfin unie dans la paix et dans la liberté.

Et de cet amarrage européen, Benoît XVI a par la suite, dans un de ses derniers discours, celui de Septembre 2011 au Bundestag à Berlin, magistralement défini le présupposé dans cette «culture de l'Europe», qui est «née de la rencontre entre Jérusalem, Athènes et Rome».

C'est dans le même discours que j'ai trouvé la référence la plus explicite à l'évolution juridique et politique culminant dans la Loi fondamentale allemande comme dans d'autres constitutions démocratiques contemporaines des pays d'Europe occidentale, dont l'Italie.
Notre identification commune et implicite avec ces fondements d'une politique éclairée de l'histoire et gouvernée par la raison était certainement la toile de fond du dialogue qu'avec le pape Benoît XVI nous avons poursuivi sans failles, et dans un esprit de coopération active, en tant que Chef de l'Etat italien et Chef de l'Église catholique. Et il ne fait aucun doute que la relation entre nous et entre les deux acteurs institutionnels que nous représentions «chacun dans son ordre propre» comme l'exige la Constitution italienne, «indépendants et souverains» été rendue plus riche et linéaire par un autre facteur. Je me réfère à une caractéristique spéciale, depuis longtemps consolidée en Italie: la non-exclusion du facteur religieux de la sphère publique, «la conviction» qu'au contraire «doit être reconnue la dimension sociale et publique du fait religieux».
C'est avec ces mots que je me suis exprimée en prêtant serment comme Président de la République devant le Parlement le 15 mai 2006; et conformément à cette conviction, j'ai pu, et je peux contribuer au dialogue entre croyants et non-croyants, les représenter ensemble comme citoyens et tendre constamment à les unir.

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Les idées non dogmatiques d'un grand penseur.

Droit, justice et liberté. Les idées non dogmatiques d'un grand penseur.
Par rapport à de nombreux prêtres du pouvoir et chanteurs de l'institution, Ratzinger est plus réaliste et plus conscient de notre fragilité.

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http://www.ilgiornale.it/news/cultura/diritto-giustizia-libert-idee-non-dogmatiche-grande-943182.html
Carlo Lottieri
14/08/2013

C'est un héritage intellectuel précieux que celui que nous a laissé le Pape Benoît dans le cours de son Pontificat, et c'est de cela que témoigne le livre "La loi du Roi Salomon", préfacé par Giorgio Napolitano. Les "curateurs" ont réuni quelques-unes de ses interventions sur le droit et la justice, les accompagnant de commentaires de plusieurs spécialistes.

Les textes de Joseph Ratzinger rassemblés dans cette anthologie naissent de circonstances différentes et spécifiques, mais sont réunis par la volonté de réfléchir sur le rapport entre la dimension rationnelle et la foi chrétienne, entre la liberté de l'homme et les interrogations fondamentales.
A plusieurs reprises, émerge à quel point le thème de la liberté religieuse est crucial: entendu comme possibilité de pratiquer sa propre foi, ou même de ne pas la pratiquer, étant donné que Ratzinger n'admet pas que l'homme soit mutilé dans sa faculté d'errer et de se perdre. En ce sens, est claire l'adhésion à une perspective simplement pluraliste, qui, justement comme telle, doit consentir à chaque homme de traduire intégralement dans son existence quotidienne ce en quoi il croit le plus, et ce donne un sens à sa vie.
Dans le discours tenu au Palais de verre de l'ONU en 2008, l'attention est surtout focalisée sur l'exigence de replacer la justice au-dessus de la simple légalité. Les hommes ont besoin de lois, et élaborent des règles ce cohabitation, mais il faut garder à l'esprit l'imperfection structurelle de tout système juridique. Il y a une vérité qui est au-dessus des lois des hommes, et parfois les condamne.
Cette défense d'exigences interprétées historiquement par la loi naturelle aide à mieux comprendre la plus connue parmi les interventions de cette anthologie, celle de Ratisbonne, qui fut à l'origine de tensions avec le monde islamique. De retour à son université, en 2006, le théologien souligna avec force la nécessité de cette rencontre "entre foi et raison, entre authentique 'Lumières' et religion", qui ne peut se développer que si elle se meut à partir "de la nature la plus intime de la foi chrétienne et en même temps, de la nature de la pensée grecque, désormais fusionnée avec la foi".
Le Pape Benoît évoque le logos johannique (de Jean), mais aussi Augustin et Thomas, pour formuler ses propres réserves face au volontarisme d'abord français, puis protestant, qui prétendirent défendre la foi en dévaluant la rationalité. Pour Ratzinger, cette opposition n'est pas admissible, et il rappelle combien, au cœur de la tradition européenne et de l'histoire chrétienne, il y a le dialogue entre Athènes et Jérusalem: un affrontement, qui confie justement à la théologie la tâche d'interroger les motifs de l'espérance et de la foi.

Comme Pontife et pasteur, Ratzinger s'exprime toujours avec un grand respect devant les assemblées qui l'ont invité, mais aussi, il ne renonce pas à rappeler qu'il y a des exigences d'ordre éthique qu'aucun vote démocratique ne peut annuler. Et c'est ainsi qu'il évoque Thomas More devant le Parlement de Westminster, et fait une référence très critique et explicite, parlant au Bundestat allemand, aux thèses de Hans Kelsen, soulignant l'exigence d'un débat public qui ne sacralise pas les lois, laissant de la place à la conscience et à ses interrogations.
A plusieurs reprises, le droit est reconnu comme lieu ouvert à la confrontation, mais justement pour cette raison, l'idée est contestée qu'une société libre implique la "neutralisation" de l'espace public: cette prétention qui - comme le souligne les deux auteurs du livre - domine une large part de la philosophie politique contemporaine. Dans un des commentaires qui composent le livre, Mary Ann Glandon relève que la leçon ratzingérienne aide à comprendre quel abysse sépare la laïcité d'une société libérale (comme celle américaine) où il n'est demandé à personne d'abdiquer ses propres principes, et le laïcisme intolérant d'empreinte française, qui de fonde sur une célébration de l'Etat.
Un trait semble plus que d'autres caractériser l'inspiration de Benoît XVI: c'est son augustinisme. Non seulement il réaffirme à quel point est rationnelle l'attitude de celui qui ne renonce pas à croire, mais surtout, il souligne l'impossibilité de réduire notre existence la plus authentique aux logiques du pouvoir humain. L'ordre séculier n'est ni nié ni condamné, mais il apparaît clairement que dans les cités où nous passerons nos existences, nous serons toujours un peu étrangers. De là, il s'ensuit aussi que les questions de la justice et de l'ordre social doivent être placées dans leur domaine spécifique, évitant toute absolutisation. Confronté à tous ces Prêtres du Pouvoir, et à tous ces chantres des Institutions civiles, Benoît XVI apparaît beaucoup plus conscient de la fragilité humaine, et beaucoup plus réaliste par rapport aux imperfections du monde qui nous entoure.
La perspective qui émerge des écrits ratzingériens aide en somme à "relativiser le relativisme": accueillant l'humilité intellectuelle de quelqu'un qui pense que dans les questions humaines, nous n'avons pas de vérité absolue, mais en même temps, démythifiant tout scepticisme radical et reconnaissant l'importance de cette soif de connaissance qui en revanche est partie intégrante de la nature de chaque homme.