Accueil | D'un Pape à l'autre | Retour au Vatican | Collages de Gloria | The hidden agenda | Lumen Fidei | Lampedusa | Benoît et les jeunes

Le Pape de ma vie

Datant de septembre 2011, le témoignage de Barbara Wenz, écrivain allemande récemment convertie au catholicisme (5/7/2013)

Cet article est paru en allemand dans un numéro spécial de la revue catholique allemande Vatican Magazin, publié à l'occasion de la visite du Pape en Allemagne
C'est l'histoire du Pontificat de Benoît XVI, à travers une rencontre, et une conversion.
Traduction de ma nièce, Françoise D.


     

LE PAPE DE MA VIE

Il y a 6 ans je n'étais pas encore catholique. A l'époque je croyais que Jésus était un homme gentil de Galilée. Et que le Saint Père est un grand inquisiteur.

de Barbara Wenz

----------------------
« Au début du christianisme il n'y a pas une résolution éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un évènement, avec une personne ; qui donne à notre vie un nouvel horizon et ainsi sa direction décisive. »

Joseph Cardinal Ratzinger - Pape Benoît XVI.


* * *

Il y a 6 ans je n'étais pas encore catholique et Joseph Cardinal Ratzinger venait juste de devenir pape. A l'époque je pensais encore que Jésus était un homme gentil de Galilée, les Evangiles des faux grossiers, Dan Brown un penseur original et le Saint Père un grand inquisiteur.

Les estimations du nouveau pape dans la presse allemande étaient - exceptée la Une euphorique de « Bild » : « Nous sommes pape ! » - retenues. Comment aurait pu s'affirmer Benoît, le savant allemand, face au charme et à la verve entrainante de son prédécesseur ?

Les ltaliens, un peuple toujours prêt à faire des déclarations quand il s'agit d’amour, brandissaient eux, au contraire, le jour de son élection, des banderoles avec l'inscription : « Nous t’aimons déjà maintenant! ». Cette volonté d'amour sans condition m'en a bien entendu imposé.

Qu'est-ce qu'ils voyaient en Joseph Ratzinger que je ne pouvais pas encore voir? C'est par un beau jour de printemps, alors que j'étais chez mon serrurier italien pour parler de l'échafaudage pour une pergola, que je reçus une indication décisive. Dans l'atelier était accrochée une carte postale d'un Benoît souriant. « Oh, Benedetto ! », dis je en montrant la carte. Si ç’avait été une carte avec un autographe de Michael Schumacher, qui roulait encore à l'époque pour Ferrari, j'aurais dit : « Oh, Michael Schumacher! ». Faire de l'un ou de l'autre un sujet de conversation, en tant qu'Allemande, ça créait un sentiment de communauté.

On aurait pu à ce moment-là retourner à la pergola pour mes roses, mais mon serrurier était un fan. Non seulement il m'expliqua fièrement qu'il avait ramené la carte avec photo directement d'un pèlerinage à Rome, mais en plus il grimpa sur un tabouret pour la décrocher.

Prudemment il la prit entre ses mains calleuses tachées de suie et d'huile, pour que je puisse examiner de plus près le pape souriant. « Il Papa », dit-il tendrement en rayonnant. « Une si belle photo de lui ! Ce sourire ! Si aimable et si bon! ». Ma réponse standard pour les Italiens passionnés est « Bellissimo ! ». C'est le superlatif. Avec ça, exprimé avec quelque enthousiasme, on ne peut rien faire de faux, comme Allemand en Italie. Donc je m'écriai : « Bellissimo ! ». Et pour cette fois je le pensais aussi.

Mon intérêt était éveillé depuis longtemps : qui était vraiment cet homme ?

Je pris l'habitude d'écouter l'Angelus à la radio, je lus le catéchisme, les homélies, et différents livres du pape.

Je découvris Ratzinger, le théologien brillant, et Benoît, le guide spirituel, dont la proclamation montre d'une façon claire et transparente le chemin vers Celui qu'il représente sur Terre selon la tradition catholique.

Un homme qui peut fonder rationnellement et justifier intellectuellement sa foi en Dieu. Plus même, un homme dogmatique poétique ou même un poète dogmatique « ... oser sans réserve et d'un cœur joyeux la folie du Vrai, cela me semble être la tâche pour aujourd'hui et demain, le vrai noyau du service de l'Eglise pour le monde ».

Est-ce que Joseph Ratzinger suit les traces du grand Bohumil Hrabal [ndt : Bohumil Hrabal(1914- 1997) est l'un des plus importants écrivains tchèques de la seconde moitié du XXe siècle], le poète sauvage du merveilleux des Tchèques, leur doux chantre du bizarre ?

« Ce ne sont que les yeux du cœur qui comprennent les exigences d'un grand amour capable d'épuiser la totalité de la condition humaine » a écrit non pas Saint-Exupéry mais Benoît pour le 40eme anniversaire de la publication de « Humanae Vitae ». Comme quelqu'un qui a le courage d'encore tout demander du concept humain, le plus souvent maltraité, d'amour. Un romantique idéaliste et incurable qui met l'amour et la fidélité au même rang. Et en effet nous avons déjà toujours senti, au plus profond de nous, que le sexe sans amour est aussi désolant que l'enfer. Un homme qui croit que Dieu est amour - « Deus caritas est » - et qui à cause de cela pense que les hommes pourraient se donner un peu plus de peine pour donner à ce qu'ils appellent entre eux « amour » un reflet plus véritable du divin.

C'était une période excitante. L'époque « Pilate » de ma vie - qu'est-ce que la vérité ? - avait duré 40 ans. Maintenant je me sentais comme l'homme de la caverne de Platon quand on le sort des ténèbres remplis de fantômes, et le mène vers la lumière.

L'homme qui fait le premier pas hors de la caverne de Platon va fermer les yeux aussi fermement que possible, par réflexe. Mais il peut sentir le parfum des fleurs et l'arôme des herbes qu'un vent tiède apporte. II entend le chant des oiseaux, le bourdonnement des insectes. Peut-être qu'il s'agenouille, qu'il touche la terre qui exhale de la chaleur, qui porte et qui sent bon. La force des rayons du vrai soleil réchauffent d'abord le sommet de son crâne et sa tète, s'avance vers son cœur pour enfin le remplir entièrement. Il a encore les yeux fermés, mais les ténèbres avec leurs pâles fantômes ont reculé et il peut percevoir plus de choses et plus intensément que jamais auparavant dans sa vie.

De la même manière j'osais un pas après l'autre à la main du Saint-Père. Je reconnus que la vérité doit être élégante, simple et belle et que Jésus Christ est vraiment le fils de Dieu, faiseur de miracles et ressuscité.

Pour son 80ème anniversaire, il me rendit, il nous rendit à nous tous, enfin, avec son « Jésus de Nazareth », le Jésus Christ entier, le Jésus Christ crédible que la méthode historique critique avait déconstruit.

Le professeur sur le trône papal avait dès le début fait du bruit : à l'occasion de la journée mondiale de la Jeunesse à Cologne en 2005 avait eu lieu la messe la plus grande jusqu'à présent en Allemagne, avec plus d'un million de participants. A propos de la force de l'Eucharistie, capable de tout changer, il dit sur le Marienfeld « La violence se métamorphose en amour et ainsi la mort en vie. C'est parce qu'Il transforme la mort en amour que la mort en tant que telle est déjà dépassée de l'intérieur et la résurrection déjà en lui. La mort est comme blessée de l'intérieur et ne peut plus être le dernier mot. C'est pour ainsi dire la fission nucléaire au cœur même de l'être - la victoire de l'amour sur la haine, la victoire de l'amour sur la mort »..

En 2006 il tint le « discours de l'année » à Regensburg - je n'étais pas encore catholique, mais j'appris étonnamment vite à prier catholique quand partout dans le monde des poupées du pape brûlaient et que le Saint Père peu après entamait son voyage risqué en Turquie. J'avais peur avec les catholiques pour leur Saint-Père et avec eux je m'étonnais de la force victorieuse de la raison sans peur et démontrée humblement. De cet éclat naquit finalement le dialogue, unique dans l'histoire et qui dure jusqu'à aujourd'hui, avec plus de 100 savants musulmans.

En 2007 sortit « Summorum Pontificum », la réponse d'un hard-rockeur au phénomène de plus en plus répandu des messes « Kumba Ya ». Il donna au rite ordinaire un nouveau vernis liturgique par quelques simples mesures pratiques. Enfin nous pouvions à nouveau lever les yeux vers les hauteurs, au-delà de nous-mêmes. Jusque dans l'univers et au-delà. Car : « Chaque liturgie est liturgie cosmique, signifie sortir de nos pauvres groupuscules pour entrer dans la grande communauté qui embrasse ciel et terre. Cela lui donne son ampleur, son grand souffle. Cela fait de chaque liturgie une fête. Cela rend notre silence riche et nous pousse en même temps à chercher cette obéissance créative qui nous donne la capacité de joindre notre voix à la chorale de l'éternité».

Oui, vraiment, un poète sauvage du merveilleux!

Il y a bien deux ans que cet homme a pensé que c'était une idée bonne et réellement chrétienne de faire preuve de miséricorde vis-à-vis d'une petite troupe de désespérados égarés et menacés de perdre le salut éternel de leurs âmes - et, à l'exemple de celui qu'il représente ici sur terre, de s'asseoir avec eux à une table (Matthieu 9, 9-13).

La réaction du public, tout autant compréhensible quelle soit, eu égard au radotage superflu d'un « évêque » oublieux de l'histoire, a dépassé toutes dimensions imaginables jusque là. Une société d'ordinaire obsédée par l'inclusion et par la volonté d'anti discrimination, jusqu'à l'autodissolution, exigeait du pape allemand de ne surtout pas jouer avec ces enfants sales. Le fait que dans ce cas se cachaient parmi les pécheurs et douaniers aussi de véritables Pharisiens n'a pas beaucoup facilité la façon de réagir à l'intérieur de l'Eglise.

Les interpellations faites au pape, qui tout de même a été le premier pape à visiter une synagogue allemande à Cologne en 2005 et qui y a clairement condamné toute forme de racisme et d'antisémitisme, et cela ni pour la première ni pour la dernière fois, - pape dont le discours à Auschwitz a été couronné d'un arc-en-ciel -, ces interpellations, il n'y a pas que les catholiques à qui elles parurent grotesques.

Au cours de son voyage au Proche-Orient en mai 2009 il a aussi rendu visite à Yad Vashem. Le Saint Père a exprimé douleur et horreur, deuil et honte, il a laissé de la place au silence et il a parlé là-bas dans la langue éternelle et immortelle des psaumes - ce pont spirituel entre judaïsme et christianisme, un pont qui peut être propre à essayer, plein de confiance, de surmonter des fossés qui paraissent insurmontables.

« Que les noms de ces victimes jamais ne s'effacent ! Que leurs souffrances ne soient jamais niées, rabaissées ou oubliées ! » exhorta-t-il avec insistance et il s'adressait à ce moment certainement pas seulement à un homme devenu entre-temps tristement célèbre, mais aussi à chacun de nous.

L'image du représentant du Christ priant dans l'église au tombeau reste inoubliable. Les mots qu'il trouva là-bas sont valables non seulement pour l'Eglise en Israël, mais aussi pour l'Eglise actuelle du monde entier :

« Je prie que l'Eglise de Terre Sainte puisse toujours puiser une force nouvelle dans la contemplation du tombeau vide du Sauveur. Elle est appelée à enterrer dans ce tombeau toute sa peur et terreur, pour chaque jour se relever et continuer son chemin à travers les rues de Jérusalem, de Galilée et au-delà, et par là-même proclamer le triomphe du pardon du Christ et la promesse de nouvelle vie ».

Le pape rencontra les victimes d'abus sexuels de prêtres en 2008 pendant son voyage aux Etats-Unis. Peu auparavant des scandales d'abus sexuels avaient ébranlés aussi l'Eglise irlandaise et enfin l'Eglise allemande. La réponse de Dieu à la supplication contrite et repentante d'un certain cardinal Ratzinger pendant la Via Crucis de l'année 2005 ?

« Combien de souillures il y a dans l'Eglise et précisément aussi parmi ceux qui dans la prêtrise devraient lui appartenir tout entier? Combien d'orgueil et de suffisance? ... Seigneur, souvent ton Eglise nous apparait comme un bateau en train de couler, un bateau qui est déjà plein d'eau et qui fuit de partout. Et dans ton champ nous voyons plus de mauvaises herbes que de blé. L'habit et le visage souillés de ton Eglise nous ébranlent. Mais ce sont nous-mêmes qui la souillons. Nous-mêmes te trahissons toujours à nouveau, après tous les grands mots et les grands gestes. Aie pitié de ton Eglise : en son milieu aussi Adam ne cesse de tomber... Guéris et sanctifie ton Eglise. Guéris et sanctifie-nous! ».

Pour qu'une blessure guérisse vraiment, on le sait, il faut d'abord qu'elle soit nettoyée profondément et désinfectée douloureusement. Dans sa lettre pastorale à l'Eglise d'Irlande, il y a plus d'un an - lettre pleine de colère et de tristesse -, il renvoie aussi bien entendu à la miséricorde et à la grâce de Dieu, comme cela est sa mission de premier berger. Il renvoie à la possibilité de guérison et de sanctification, qui suppose remord et pardon.

Quelque chose en tous cas est devenu clair : le « Mozart de la théologie » est en tant que pape un véritable « hard-rockeur ». Il ne mène pas le bateau dans les eaux basse de l'esprit du siècle et d'une adaptation commode à toutes les demandes et envies que les hommes, étant ce qu'ils sont, ont et qui leur traversent l'esprit. Avec lui, pas de bazar éphémère de choses quelconques et interchangeables. Benoit est un casse-cou, quelqu'un qui risque tout pour Dieu et son Eglise. Pas quelqu'un qui s'autoproclame.

Son témoignage est radical, parce que Dieu l'exige de lui. Parce qu'il doit être radical s'il veut être crédible dans sa fonction.

C'est un phare du salut dans un monde sans salut qu'il doit être, quelqu'un qui trace un chemin pour nos pas hésitants, au nom du Crucifié et Ressuscité, de la Lumière du monde.

Il y aurait encore beaucoup à dire de ce pontificat, et il sera encore dit beaucoup de choses substantielles et d'une ampleur plus grande.

Il y a 6 ans je n'étais pas encore catholique, je ne croyais pas en Jésus Christ et le cardinal Ratzinger était un grand inquisiteur.

Aujourd'hui je suis catholique avec une conviction plus profonde que jamais, je crois en Jésus le Christ et à l'Evangile et je prie pour notre Saint Père, que Dieu le bénisse !

Merci, Benoît! And keep on rockìn', rock of Saint Peter