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Un reflet du divin

Marie-Christine m'envoie ce très beau texte d'hommage à Benoît XVI, écrit par Denis Tillinac le 14 février 2013, trois jours après la démission (16/6/2013)

Il pourrait figurer dans cette rubrique décidément restée maigre de mes pages précédentes, que j'avais intitulée "TÉMOIGNAGES DE FRANCE": benoit-et-moi.fr/2013-I/vu-de-france
Lire aussi les commentaires, dans l'article original sur Valeurs Actuelles.

     

Un reflet du divin
Denis Tillinac
www.valeursactuelles.com
14/2/2013
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Benoît XVI aura été le pontife adéquat en un temps où l’essentiel était de resserrer les boulons.

Palais de l’Élysée.
Sarkozy reçoit officiellement le pape Benoît XVI. Une émotion m’assiège lorsqu’il entre dans la salle des fêtes — sourire timide, malice empreinte de bienveillance dans le regard. Sarkozy me présente en ces termes : « un écrivain chrétien ». J’ai donc l’insigne privilège de serrer la main du pape. Discours raisonnable sur la laïcité : pas de confusion entre spirituel et temporel, pas d’indifférence non plus. L’après-midi, je suis aux Bernardins où, dans une conférence de haute volée, sous les belles ogives, le pape prône les noces de la foi et de la raison. L’une sans l’autre ne peut que dérailler. Inspiré par l’esprit des lieux, il fait l’éloge de la double tradition de la pensée écrite et de la musique chantée, c’est d’une pertinence admirable. Une nuée de jeunes l’acclame quand il sort, ça fait plaisir de les entendre entonner des cantiques.

Rome.
Audience publique du mercredi matin devant le Vatican. J’ai pris place parmi les fidèles. Une minipapamobile découverte conduit le pape jusqu’à l’estrade. Il semble fatigué. C’est l’âge. Il prononce son allocution et salue les délégations innombrables en passant d’une langue à l’autre. Entretemps, j’ai lu le recueil des audiences lors desquelles, chaque mercredi, il a évoqué les Pères de l’Église depuis Clément de Rome jusqu’à Maxime le Confesseur. Les spiritualités respectives sont mises en lumière avec un vrai génie pédagogique ; j’envie rétrospectivement ses anciens étudiants de Tübingen. J’ai lu sa vie de Jésus, tellement plus inspirée et pénétrante que celle de Renan.

Palais du Vatican.
Visite au pape de Sarkozy. Il m’a embarqué dans ses bagages. Je suis encore plus ému qu’à l’Élysée car c’est dans ses meubles que j’aurai l’honneur de revoir Benoît XVI. Du coup, je ne contemple que distraitement les splendeurs accrochées aux murs ou peintes sur les plafonds. Le pape me tend sa main baguée, je m’incline, bafouille mon respect et ma gratitude, ajoute que j’ai commis un livre sur le catholicisme. Il daigne m’en féliciter et m’offre une médaille et un chapelet. Aucun cadeau ne m’est allé plus droit au coeur, fût-ce celui d’une amoureuse. Photo rituelle.

Selon toute vraisemblance, je ne reverrai plus jamais Benoît XVI, ça me rend mélancolique. Traversée au pas de charge de la basilique : Sarko est toujours pressé. Il entre dans une chapelle, s’immobilise quelques instants. Il se signe, ce qui est bien le moins, et cependant des imbéciles le lui reprocheront. Bref. Déjeuner à la villa Bonaparte avec une nuée d’éminences. Du rouge, du pourpre. Discours de Mgr Bertone et de Sarkozy.

Toujours la laïcité raisonnable, qui ne saurait faire table rase d’une intimité de quinze siècles entre l’Église et la France. Le vrai moment de grâce, c’était l’entrevue avec Benoît XVI. La bonté rayonnante de ce vieil homme aux cheveux blancs. La lumière dans sa prunelle. Plus qu’une lumière : comme un reflet du divin. Bien sûr, je l’ai trouvé physiquement au bout du rouleau, ou presque. Pour autant je n’aurais pas imaginé qu’il ait l’audace de rendre sa mitre. C’est son choix, il faut le respecter.

Comme Jean-Paul II dans un tout autre registre, ce Germanique entiché de Mozart aura été le pontife adéquat en un temps où l’essentiel était de resserrer les boulons. S’il a focalisé autant de vindictes, c’est qu’il a pointé là où le bât blesse ce “relativisme” qui menace l’humanité d’une déprime à brève échéance.

Le “relativisme”, l’ex-cardinal Joseph Ratzinger en connaissait bien les racines, en tant qu’universitaire au fait de la philosophie des “modernes”. Il n’était pas dupe de ses alibis, il avait vu les impasses. Il chérissait d’un amour filial la mémoire bimillénaire du christianisme, il voulait la prévenir des ris ques d’enlisement ou d’oubli, quitte à improviser des compromis avec ceux qui forcent un peu la dose du traditionalisme. Il m’a instruit, il m’a touché, il m’a subjugué : ces brefs apartés avec ce pape d’élite, dont je présume le mysticisme, auront été les points d’orgue de mon infime existence.

Très Saint-Père, merci pour tout.