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Continuité, ou rupture?

A la veille de la première réunion du "G8" du Pape, on assiste à une variante du "totopapa". La France n'y échappe pas (29/9/2013)

La rupture n'est pas seulement un fantasme, et malgré la réticence de certains vaticanopinionistes, elle est un piège auquel le Pape régnant aura du mal à échapper.

Pour le moment, François n'a pas pris de vraies décisions (cela va peut-être arriver avec la première réunion du "G8" prévue ces jours-ci) et les observateurs se livrent à un petit jeu qui ressemble de plus en plus au "totopapa" d'avant le conclave.
Mais il y a autour de lui une telle "surchauffe des attentes" selon le mot de John Allen, que cela pourrait ne pas être pour le bien de l'Eglise.

Voici deux réflexions issues de blogs français, aux antipodes, sur l'échiquier "politique" de l'Eglise, mais qui pourtant se rejoignent sur "l'herméneutique" de la rupture: sur Novopress "De l’église catholique à l’église cathodique – Le pape François sur le chemin de Canossa". Et René Poujol (on appéciera le fonctionnement autarcique, entre amis !!), ex-patron de Pélerin (il se présente lui-même ici): "Une grande espérance ": l'article a été traduit en italien sur le site "catho-de-gauche" mais précieux 'finnesettimana.org').

     

Le pape à Canossa

De l’église catholique à l’église cathodique – Le pape François sur le chemin de Canossa
29 septembre 2013
fr.novopress.info/
Tribune de Jean Bonnevey.
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Il n’est pas très utile de discuter à l’infini comme le fait Le Figaro sur ce que le pape a vraiment voulu dire [dans l'entretien donné à une revue jésuite le 20 septembre] et jusqu’où il est prêt à aller. Il suffit de regarder la joie et l’exploitation de son entretien exceptionnel par les tenants de l’idéologie médiatique pour comprendre qu’il a fait un pas vers l’alignement exigé sur les homosexuels et la contraception par exemple.

Le Monde titre sur l’ “Aggiornamento du pape François”.
Pour RFI “Le pape brise les tabou”.
Pour TF1 “L’église en fait trop sur le mariage homo”.
Pour Bfm-tv “La révolution culturelle du pape François”.
Et ce ne sont que quelques exemples.

On a bien compris la présentation du message du souverain pontife : L’Eglise aime tout le monde et ne juge pas, elle comprend et accueille dans la compassion chrétienne ceux qui ne sont plus vraiment des pécheurs. Elle ne doit pas s’arc-bouter sur des dogmes du passé mais prendre en compte la société telle qu’elle est dans sa miséricorde et notamment les plus blessés. Que les femmes avortées soient blessées, personne ne dira le contraire mais les homosexuels ça se discute. Enfin l’essentiel est dans l’évolution très nette de la religion catholique vers la religion cathodique. Une évolution lente mais en marche et que les traditionalistes ne pourront certes pas accepter. Les rapprochements d’hier ont sans doute été enterrés par l’évolution d’aujourd’hui.

En fait le pape est sur son chemin de Canossa vis à vis des idéologies des tolérances modernistes. L’expression signifie : « Céder complètement devant quelqu’un. S’humilier devant quelqu’un ». Cet épisode resté célèbre s’inscrit dans la querelle des investitures, querelle qui opposa les empereurs germaniques (puis les rois de France) à la papauté dans la désignation des évêques.

Le 24 janvier 1076, le pape Grégoire VII ayant refusé que les évêques fussent nommés par des laïcs, le roi Henri IV, futur empereur germanique, fit prononcer la déposition du souverain pontife par le concile de Worms. Dès le mois de février, le pape répliqua en excommuniant le souverain germanique et en déliant ses vassaux de leur serment de fidélité. Les princes du royaume se révoltèrent et en octobre 1076, à Trebur, menacèrent de déposer Henri IV. Henri devait absolument agir avant que le pape vînt à Augsbourg. Il apprit que le pape était en villégiature chez la comtesse Mathilde de Toscane à Canossa et décida d’aller à sa rencontre. Franchissant les Alpes en plein hiver par un chemin terriblement escarpé accompagné d’une troupe mal équipée et inexpérimentée qui subirait de nombreuses pertes au cours du périple, Henri arriva tout de même aux pieds de la ville de Canossa le 25 janvier 1077.
Apprenant l’approche du roi, le pape avait fait fermer les portes de la ville. La légende veut qu’Henri IV, sa femme et ses enfants, en chemise de bure, aient dû attendre, les pieds dans la neige, que le pape changeât d’avis, ce qu’il fit le 28 janvier. Le recevant, le pape ne pouvait faire moins que de lever l’excommunication de l’empereur.

Le pape ne sera plus excommunié par les médias s’il poursuit sur ce chemin. Mais cette fois semble-t-il, c’est le pape qui s’incline devant l’empereur laïc du monde moderne : le pouvoir médiatique.

     

Une grande espérance

René Pujol
http://www.renepoujol.fr/une-grande-esperance/
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La rencontre qui s’ouvrira mardi, autour du pape François, des huit cardinaux nommés pour le conseiller sur la réforme de la Curie et la gouvernance de l’Eglise, marquera dans doute une date importante dans l’histoire de cet encore jeune pontificat.
Et ce qui devait arriver, arriva ! Depuis la publication dans la revue jésuite Etudes, du long entretien accordé par le pape François, la cathosphère bruisse jusqu’à l’étourdissement, de l’inévitable débat sur le degré de rupture qu’introduiraient ou non, ses propos par rapport à ceux de ses prédécesseurs. Au point de remettre à l’honneur la vieille comptine de notre enfance, revisitée pour la circonstance : «Je te tiens, tu me tiens… par l’herméneutique !»

Les ruptures du Concile

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On nous avait déjà fait le coup, si je puis dire, avec le Concile Vatican II qu’il fallait lire, résolument, selon la seule herméneutique de la continuité. A cela un argument qui se voulait de poids : c’était, de la volonté même du pape Jean XXIII, un concile pastoral qui, de ce fait, ne pouvait introduire aucune rupture dogmatique dans la vie de l’Eglise. Une vision des choses qui se heurte à deux objections. La première est que, ce Concile dit pastoral a produit des textes dont deux portent, justement, le titre de «constitution dogmatique» (sur l’Eglise et sur la Révélation divine) et que des théologiens ont identifié dans l’enseignement de Vatican II une vingtaine de déclarations de type dogmatique, sur lesquelles on ne reviendra pas, représentant une évolution suffisamment significative pour qu’on puisse, ponctuellement, parler ici ou là de rupture.
La seconde objection est qu’il n’y a pas de ruptures que dogmatiques. Lorsque Gérard Leclerc, fervent partisan d’une herméneutique de la continuité, convient : «Il est vrai que le mot rupture est susceptible de déclinaisons différentes.» il assène là une évidence dont il semble refuser, par ailleurs, de tirer les conséquences. Que l’on me pardonne cette facilité, mais relisez le Syllabus de Pie IX qui condamne en vrac : les idées modernistes, le progrès, la démocratie, les droits de l’homme, la liberté de conscience… et dites-moi si l’on peut lire dans la foulée Gaudium et Spes, selon une herméneutique de la continuité ! Balivernes ! Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas ici de plaider que Vatican II fut un concile de rupture, mais qu’il a su créer les ruptures nécessaires pour permettre à l’Eglise de mieux se situer dans la continuité, la fidélité à sa Tradition, toujours à approfondir.

Une interview dynamite ?
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Il en est de même de l’entretien du pape François aux revues jésuites. Personne, à ma connaissance, même dans la presse non-confessionnelle, n’y a lu une quelconque remise en cause «de la loi et des prophètes». Alors, pourquoi nous rejouer l’air de la continuité qui semble avoir pour unique finalité de minimiser, nier, voire même délégitimer, la part d’infléchissement ou de rupture que ces propos peuvent représenter par rapport au passé ?
Lorsque Rémi Brague (ici) écrit : «François refuse avec raison de se focaliser sur les questions dites de « morale sexuelle ». Mais soyons honnêtes. Est-ce que ce sont vraiment les curés qui « voient du cul partout » ?» On a envie de l’inviter à méditer l’observation de notre ami Koz : «Interrogez (les Français) dans la rue et demandez-leur ce qu’est un catholique, je crains fort que beaucoup nous répondent que c’est quelqu’un qui est contre l’avortement et l’euthanasie, et le sexe avant le mariage, plutôt que quelqu’un qui croit en Christ et aime son prochain.»
Que les prêtres ne fassent pas une «fixette» sur le sujet n’empêche pas que ce soit-là le message entendu par nos concitoyens. Pas, comme on le prétend trop facilement, à cause de la perfidie des médias, mais parce que, de fait, trop de textes romains, au cours des dernières décennies, ont donné le sentiment que les «gardiens» du Magistère, eux, faisaient bien une «fixette» sur la morale sexuelle.
Lorsque le nouveau pape nous dit son intention de passer à autre chose, ne peut-on, raisonnablement, parler de rupture dans le choix des priorités pastorales ? Et l’on pourrait multiplier les exemples. Ce qui, personnellement, me fait ratifier l’intuition d’un Jean-Pierre Denis , ou d’un Patrice de Plunkett, sur son blogue , lorsqu’ils parlent, symboliquement bien entendu, de «dynamite» à propos de l’interview du pape François. Dans une institution qui paraissait figée à l’extrême, voilà que les simples « ouvertures » du pape prennent, en effet, un relief singulier.

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Dire au monde qu’il est aimé de Dieu
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C’est dans ce contexte que s’ouvre, mardi 1er octobre, à Rome, la première rencontre du pape avec la commission des huit cardinaux désignés pour l’aider dans sa réflexion sur les réformes à engager dans le gouvernement de l’Eglise, notamment au travers de la Curie, ce qui est très précisément le souhait exprimé par le collège des cardinaux réunis dans l’avant-conclave. Vendredi, il a prévu de se rendre, avec eux, à Assise, pour la fête de Saint-François. Difficile de dire si ce déplacement s’accompagnera de l’annonce de premières décisions…
Posez la question à un tenant de l’herméneutique de la continuité, il vous répondra en citant tel passage de l’entretien du pape François publié dans les Etudes : «Nombreux sont ceux qui pensent que les changements et les réformes peuvent advenir dans un temps bref. Je crois au contraire qu’il y a toujours besoin de temps pour poser les bases d’un changement vrai et efficace. Ce temps est celui du discernement.» Interrogez un partisan de l’herméneutique de la rupture, il vous citera… la phrase qui suit immédiatement la précédente : «Parfois, au contraire, le discernement demande de faire tout de suite ce que l’on pensait faire plus tard. C’est ce qui m’est arrivé ces derniers mois.» Vous avez-dit jésuite ?
Autant dire que le pape François fera très exactement ce qu’il a prévu de faire. En revanche on peut s’attendre à ce qu’il illustre, une nouvelle fois, la parfaite maîtrise qui est la sienne de cette communication non-verbale qui est aussi Parole d’Eglise et qui, depuis son élection, est reçue par beaucoup comme une grande espérance.