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Jésus, tout le reste est conséquence

José Luis Restán revient sur l' "entretien aux jésuites", et nous explique, avec sa loyauté, ce qu'a voulu dire le pape. Traduction de Carlota (26/9/2013)

José Luis Restán revient sur l’ « entretien aux jésuites » qui mériterait presque le nom latin d’une encyclique tellement il a fait couler d’encre depuis sa parution et bien plus encore que des documents officiels de l’Église universelle. Triste constatation ! À envier parfois le temps de nos ancêtres où dans leur petite église rurale du fin fond de la Chrétienté, ils n’entendaient du Pape que son élection ou parce que, devant un immense danger, il demandait de prier le Rosaire (7 octobre 1571), mais c’est d’ailleurs ce que nous avons fait tout récemment.
Restán, donc, et comme toujours avec de très beaux mots, explique ce qu’a voulu dire le Pape. Certains pourront aussi penser qu’il agit là encore en fidèle et « bon petit brancardier » du médecin-major François pour reprendre l’image papale de l’église « hôpital de campagne »....

     

Jésus, le reste est conséquence
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Dans une vibrante discussion qui se trouve dans le « Journal d’un curé de campagne » de Bernanos, un athée avoue au prêtre protagoniste qu’il n’arrive à concevoir l’Église que comme une immense entreprise de blanchisserie. Ce texte m’est venu à la mémoire en pensant à l’un des grands titres qu’a laissé le récent entretien accordé par le pape François aux revues de la Compagnie de Jésus : « Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille ».

La Bataille dont parle François est, certainement, la bataille de la vie de chaque homme et chaque femme tout au long des siècles. Mais c’est aussi, ici et maintenant, la bataille qui a démoli l’homme et l’a trainé dans la poussière, une fois que celui-ci est arrivé à la conclusion que Dieu, au cas où il existerait, serait l’ennemi de sa raison et de son bonheur. De ce tragique éloignement de Dieu a résulté un champ de bataille qui a laissé les hommes à la merci des pouvoirs de ce monde, à la merci de leur instinctivité, à la merci des idoles. Peut-être que nous n’avons par su le voir, pas même nous les chrétiens, et c’est pour cela qu’à quelques uns, ce passage et d’autres de l’entretien, a tant coûté.

Comme dirait le grand poète Charles Péguy ce n’est pas un monde de mauvais chrétiens (de chrétiens incohérents, pour nous comprendre) mais « un monde non chrétien ». Et pour cela François a raison quand il dit qu’« il faut commencer par le plus élémentaire… par guérir les blessures et donner de la chaleur aux cœurs ». La mission doit naître de l’amour et des larmes (de celles dont a parlé déjà à plusieurs reprises le Pape), le reste est pure stérilité. Jésus a pleuré sur cette Jérusalem autosuffisante et dédaigneuse, sur la déviation des hommes et des femmes de son temps. Et comme dirait de nouveau Péguy, il n’a pas perdu son temps à récriminer sur le monde, mais « il a fait le christianisme ». Il a introduit dans l’histoire un Fait complètement nouveau : l’incarnation, la mort et la résurrection du Fils de Dieu.
Depuis la première génération apostolique, le démon de la réduction a tenté de mutiler l’événement chrétien en le réduisant à un discours, une morale, une culture, un rite, un sentiment ou un projet social. Chaque période a eu sa réduction préférée, mais n’a pas pu empêcher que Jésus ressuscité arrive de nouveau.

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« Nous devons annoncer l’Évangile partout, en prêchant la bonne nouvelle du Royaume [de Dieu] et en soignant, également avec notre prédication, tout type de blessure et n’importe quelle maladie », a expliqué le Pape. Avant de commencer avec les « oui, mais », je demande : n’est-ce pas cela, littéralement, ce qu’a fait Jésus ? Il y a un énorme équivoque dans l’identification du fait d’être chrétien avec « être en ordre » ; nous sommes les premiers à ne pas être en ordre (nous qui portons ce nom d’une manière immérité) et c’est pour cela que nous avons besoin de revenir à Lui chaque jour, chaque heure. « Celui à qui l’on pardonne peu, on l'aime peu », dit mystérieusement Jésus dans l’Évangile. Peut-être que l’ardeur (d’amour) manque dans nos communautés, cela vient en bonne partie de ne pas être conscient de tout ce que l’on a à nous pardonner tous les jours.

Je conclus avec une note sur l’un des thèmes qui ont provoqué le plus de douleurs cuisantes, sans intention d’en épuiser le sujet.
Promouvoir « la culture de la vie » (heureuse expression du bienheureux Jean-Paul II) ne consiste pas à crier plus fort et plus de fois encore ; « Non à l’avortement ! ». Il faudra le dire à chaque fois que cela sera opportun et nécessaire, avec la plus grande intelligence et efficacité possible, et même avec l’astuce de cet administrateur que loue aussi l’Évangile. Il faudra chercher des alliances, des arguments, des mobilisations, des premières pages dans les journaux…Mais tout cela sera inutile si nous ne sommes pas capables de montrer à l’homme ou à la femme blessés par le scepticisme et la méfiance, que la vie est toujours un grand bien. Et cela nous ne l’obtiendrons pas avec des campagnes ou des discours, mais en embrassant la vie de chacun de nous dès l’origine, depuis sa réalité telle qu’elle est, depuis ses plaies les plus ténébreuses. Comme l’a fait François (ndt celui d’Assise, je présume) avec le lépreux. Comme l’a fait Jésus avec la prostituée (ndt à qui il a bien appris qu’elle ne devait plus pêcher, il me semble), le collecteur d’impôts, l’oppresseur romain. Sans attendre qu’ils soient « à point ».

Parmi les nombreuses choses dont je remercie le Pape pour cette entretien, il me reste celle avec son identification avec le Saint Matthieu du Caravage : c’est moi, vraiment, c’est moi que tu appelles. En vérité sans cette conscience on ne peut entreprendre aucune mission. Le christianisme c’est Jésus qui vit, qui appelle et soigne celui qui le suit. Le reste est conséquence.

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Commentaire de traduction

Je reste dubitative sur notamment le passage de l'article qui parle de ceux à qui l’entretien a coûté…
Parmi ceux qui se sont trouvés gênés par cette interviewe, il y en a beaucoup qui ont plus fortement compris que la guerre contre l’homme (encore plus l’homme moderne qui s’est cru Dieu) n’avait jamais cessé, même s’ils ne se sont pas assez bien battus ou maladroitement battus.
Pour savoir « tout ce que l’on a à nous pardonner », ne doit-on pas savoir d’abord ce qu’est le péché? La femme adultère serait-elle venue aussi spontanément vers Jésus si son « péché » avait été la norme sociale et légale, et la vertu synonyme de l’opprobre publique ? Ces repères qui sont ceux d’En-haut, sans doute insuffisamment compris, doivent au minimum être rappelés à temps et contre temps (ce qui ne veut pas dire n’importe comment!), c’est aussi cela l’amour…

(Carlota)