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L'effet "émérite"

Sur Il Foglio, un commentaire inédit à la lettre de Benoît XVI à Oddifreddi (25/9/2013)

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Dans la Repubblica, une lettre de Benoît XVI…
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La lettre à Oddifreddi

     

Bien sûr, nous aimerions savoir pourquoi Benoît XVI a accompli ce geste incroyable et si douloureux, pour lui et pour nous, le 11 février dernier.
Les raisons lui appartiennent - les problèmes immédiats de santé semblant désormais exclus (Dieu soit loué).
Selon ce commentaire, la « lettre » à Oddifreddi suggèrerait une autre explication : en se retirant, Benoît XVI aurait retrouvé sa liberté de théologien.
Le fait est que le grand théologien peut aujourd’hui contrer les attaques venant de chaires de faible autorité intellectuelle mais de grande audience médiatique.
Le Pape ne le pouvait pas, il devait tout encaisser.
Une « spécialiste de la religion » que je n’ai pas ménagée dans ces pages a dit récemment : « le Pape, pour les médias, c’est du caviar (sic !) : il n’y a jamais de démenti ». 
Quel aveu !
Un dernier mot, qui me répond à moi-même : pourquoi Benoît XVI a-t-il cru utile de répondre à un Oddifreddi ? Lui-même l’expliquait, répondant à une question de Peter Seewald à propos de la conférence de presse dans l’avion vers le Cameroun, qui a suscité les réactions hystériques dont on se souvient : « je me suis senti provoqué ».

     

Dans la lettre de Ratzinger, qui bastonne Oddifreddi, il y a le vrai motif de la démission (ce n'est pas l'athéisme)
http://www.ilfoglio.it/soloqui/19944
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"Très peu de personnes au monde, et Eugenio Scalfari est l'une d'elles, peuvent comprendre la surprise et l'émotion que l'on éprouve en recevant à la maison une lettre inattendue d'un Pape".
On pourrait se contenter de prendre acte que dans l'espace de deux semaines, le Pape émérite a lui aussi écrit à un athée de La Repubblica, et voir en cachette l'effet que cela fait. On pourrait ironiser sur le miracle émérite, au vu de l'émotion avec laquelle Piergiorgio Oddifreddi a accueilli le facteur.
On pourrait noter qu'il y a quelque chose d'extraordinaire dans le (momentané) triomphe médiatique de la papauté, mais aussi de forcé. On pourrait dire qu'il y a un excès d'affectation dans le transport avec lequel Ezio Mauro (ndt: le directeur de La Repubblica) reçoit, et publie avec enthousiasme les lettres des papes, et les commente avec dilience, et les fait commenter avec diligence.
Hier, La Repubblica a hébergé une partie de la longue lettre que Joseph Ratzinger a écrite à Piergio Oddifreddi, mathématicien médiatique et athéiste, lequel lui avait parvenir son livre "Caro Papa, ti scrivo", conçu et écrit comme une "introduction à l'athéisme", en réponse à l' "introduction au christianisme" que Ratzinger avait écrit il y a presque cinquante ans.
Et le Pape émérite a lu, et répondu.

Lisant les égratignures professorales de Ratzinger à Oddifreddi après que François eût au contraire "massé" avec amour la conscience de Scalfari, on pourrait même soupçonner que tous deux jouent au petit jeu du pape gentil et du pape méchant, l'un qui lisse et l'autre qui brosse à rebrousse-poil.
Mais ce n'est pas le cas.
On pourrait remarquer que la "pax journalistique" entre la Repubblica (et pratiquement tous les médias mondiaux) et le Vatican a commencé quand l'évêque en charge de Rome a décidé de se retirer du dur terrain du choc culturel avec la sécularisation, et opter pour un dialogue qui fait des largesses à la liberté de conscience, non plus assis sur les baïonnettes de la doctrine et de la théologie (qu'au contraire l'émérite revendique: "vous devriez au moins reconnaître que dans le domaine de l'histoire et de la pensée philosophique, la théologie a produit des résultats durables").
Face à un catholicisme romain qui tenait le coup (puisque le protestantisme, depuis un bon moment, a cessé d'exister en termes de dialogue avec la modernité, et a signé sa reddition sans résistance particulière) et qui semble désormais céder, des ponts d'or.
Mais ce n'est même pas le cas.

En somme, on pourrait dire un tas de choses, allant du peu important au décidément erroné.
Ce qui est intéressant, c'est autre chose, qui est clair pour qui veut le voir.
La lettre de Ratzinger à Oddofreddi a un ton à la fois détaché et rigoureux, libre et par moments sévère. Il concède à l'interlocuteur ce qu'il peut avec une courtoisie académique, mais ensuite il bastonne, sans miséricorde.
"Je peux seulement vous inviter de manière décisive à vous rendre un peu plus compétent d'un point de vue historique"; "ce que vous dites sur Jésus est un discours hasardeux que vous ne devriez pas répéter"; "je dois repousser avec force".
Et finalement, il contrattaque sur le terrain de l'autre: "Dans votre religion des mathématiques, trois thèmes fondamentaux de l'existence humaine restent non considérés: la liberté, l'amour, le mal".
Tout cela signifie deux choses.
Que Ratzinger, s'étant libéré du fardeau de Pierre, est redevenu ce qu'il a toujours voulu être, un intellectuel et un théologien. Un penseur plus libre que ce qui lui était reconnu. A présent qu'il n'est plus pape, il reprend une liberté de ton qui était devenue difficile sous le bombardement du monde.
Mais cela révèle aussi la face sombre de la médaille. Que Benoît XVI sentait qu'il n'était plus en mesure de gérer, depuis cette position d'autorité et de gouvernement, le choc avec la culture séculière de l'Occident post-chrétien, qu'en revanche il sait parfaitement gérer en tant que théologien.
S'en aller a été admettre qu'il aurait fallu un autre caractère, et une autre énergie.
Après lui, il aurait pu y avoir un Pape qui reprenne les mêmes armes pour la même bataille, mais sur un autre théâtre. A la place est arrivé un Pape qui a changé de scène, de podium, de théâtre. Qui, au rapport avec la modernité, applique le discernement.
Qui, "un peu ingénu, un peu fourbe" évite de se faire cribler de plomb. D'une culture différente, ignatienne. On verra.
Mais il aurait été intéressant de voir un Benoît XVI qui réponde ainsi, durement, à tous les Oddifreddi, les adorateurs des faux dieux et les menteurs, quand il était en charge, quand ils ne l'ont pas voulu à la Sapienza (ndt : j’ai l’impression qu’il n’a pas cessé de la faire !! et c’est justement pourquoi on l’a empêché de s’exprimer à la Sapianza). Les contraignant alors, à reconnaître le terrain commun qu'aujourd'hui Oddifreddi est heureux d'admettre, "la recherche de la Vérité, avec un 'V' majuscule".