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Le cinquième évangile

Un petit texte prophétique (?) du cardinal Biffi. "J’ai prié pour toi, Simon, pour que ta foi, confirmée par l’opinion de la multitude, ne défaille jamais, et que tu sois soutenu par le murmure affectueux de tes frères". (4/11/2013, mise à jour le 5: un commentaire)

Merci à Catherine, qui me l'a transmis.

Rappel

Nous avons à plusieurs reprises croisé dans ces pages le cardinal Giacomo Biffi, né en 1928, archevêque émérite de Bologne - dont il occupa le Siège de 1988 à 2003 (cf. benoit-et-moi.fr/2008). Inutile de dire que je l’apprécie beaucoup.
En plus d’être un ami de Benoît XVI, c’est un homme libre (raison pour laquelle on l’a estampillé conservateur) qui sait manier l'humour, et n'a pas peur de défier le politiquement correct (1).

C’est sans doute ce qui explique que ses livres n'aient pas été traduits en français (à la différence de ceux du cardinal Martini, son confrère à la tête du diocèse de Milan, dont il fut durant quelques années coadjuteur).

Parmi ceux-ci, une exception, un petit ouvrage d'une centaine de pages traduit en français sous le titre "Le cinquième évangile", paru en 1971 aux Editions du Cèdre.
J’avais traduit à l’époque la présentation issue du site du diocèse de Bologne (entre-temps, l’original en italien a disparu):

Écrit (en 1969) à l'époque où le curé ambrosien était aux prises avec les jeunes des temps de la contestation« le cinquième évangile » se base sur un agréable artifice littéraire : Biffi raconte l'histoire d'un ami d'enfance, aux temps des immeubles HLM. Après, écrit l'auteur, j'ai fait le prêtre, lui, il a fait de l'argent.
Le Commendator Migliavacca présente à son ami prêtre un manuscrit ancien, débusqué dans un marché aux puces de Terre Sainte : rien moins que le cinquième évangile, dont les codes finalement retrouvés pourraient faire la lumière sur quelques-uns des plus inexplicables mystères du christianisme. Voilà alors, par exemple, que la parabole de la brebis égarée trouve une version finalement plus compréhensible : « Le Royaume des cieux est semblable à un berger qui, ayant cent moutons et en ayant perdu quatre-vingt-dix-neuf, reproche au dernier mouton son manque d'initiative, le chasse, ferme la bergerie, et s'en va au bistrot pour discuter d'élevage des moutons ».
Naturellement la clé de lecture est l'ironie, ironie qui n'empêche pas le cardinal de mettre en lumière les positions anti-évangéliques de la théologie politiquement correcte. « Allez dans le monde entier et discutez : de la libre confrontation des avis bourgeonnera la vérité ».
C'est l'ultime fragment de l'évangile manquant, qui offre le fondement théologique de l'insuffisante aptitude de la chrétienté contemporaine à annoncer l'évangile. Désacralisant, et même subversif: c'est le jugement de quelqu'un qui lirait le cinquième évangile de Biffi, sans l'intelligence de l'ironie.

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Une amie, Catherine, troublée par l'annonce d'une consultation en vue de la préparation du Synode sur la famille, a transcrit le fragment 28.

     
Un nouvel Evangile , fragment 28

J’ai prié pour toi, Simon, pour que ta foi, confirmée par l’opinion de la multitude, ne défaille jamais, et que tu sois soutenu par le murmure affectueux de tes frères.

Simon… j’ai prié pour que ta foi ne défaille pas, et toi, une fois converti, confirme tes frères.

Luc 22, 32

Qu’est-ce qui soutient la foi inébranlable de Pierre ? La prière du Christ, semble nous enseigner le troisième évangile. L’avis de la majorité des fidèles, insinue au contraire notre texte.

Lorsque dans l’Eglise se fait jour une certaine incertitude sur la voie à prendre, que doit faire Pierre ? Se fier à son charisme intérieur, à la source duquel se tient la prière du Seigneur, « évêque et pasteur de nos âmes », semble suggérer Saint Luc. Se fonder sur les résultats d’un référendum parmi les baptisés, ou du moins sur un sondage d’opinion, dit le cinquième évangile.

Si le troupeau ne sait plus où aller, que doit-il faire ? Qu’il regarde Pierre, le pasteur délégué, semble affirmer l’évangile selon Jean. Pas du tout : que les brebis se réunissent et décident à la majorité de la route que devra prendre leur pasteur, enseigne l’évangile selon Migliavacca.

Nous nous trouvons, comme on voit, en présence de deux conceptions antinomiques de l’Eglise et de son chef visible. Elles ne peuvent s’accorder entre elles, il faut choisir.

Pour notre part, nous n’avons aucun doute : la théologie de la primauté qui est sous-jacente à ce bref fragment, même si elle est en opposition avec les évangiles canoniques, est plus démocratique, plus conforme à la mentalité des temps qui courent, plus acceptable.

Nous voudrions enfin souligner le gracieux équilibre qui caractérise les dernières paroles du passage. A l‘égard du pape, les catholiques de ce siècle semblent incapables de se tenir à égale distance de l’adulation et de l’insulte, du culte de la personnalité et du mépris, de l’Hosanna et du Crucifix. Quelle mesure, au contraire, quel bon sens, dans ces « murmures affectueux » qui, selon la parole de Jésus qui nous est ici rapportée, seraient le secret de la solidité de Pierre et la source cachée de ses consolations !

     

Notes

(1) En février 2007, Benoît XVI lui avait confié la rédaction des méditations de la retraite de Carême, et dans une de ses homélies, il s'était référé à "l'avertissement prophétique" de Soloviev (http://beatriceweb.eu/).

Un peu plus tard, toujours en 2007, il publiait ses mémoires sous le titre Mémoires et digressions d’un italien cardinal. (voir ici l’article de Sandro Magister daté du 26 octobre 2007).
Il y témoignait de son admiration et de son affection pour Benoît XVI :
« Le nouveau Pape Benoît XVI a conquis le peuple des croyants dès sa première apparition au balcon, et ses premiers mots. Et dans les jours suivants, l'admiration et l'affection ont grandi, pour la clarté et la douce vigueur de son annonce évangélique, la gentillesse naturelle de son caractère, l'extraordinaire aptitude à se faire comprendre de chaque auditeur. Encore une fois le Seigneur avait pourvu généreusement son "épouse"; et tous, nous en avons été consolés ».

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Plus tôt, en 2004, il avait tenu des propos iconoclastes sur l'immigration, qui lui avaient valu une volée de bois vert de la part de l'ensemble des medias.
Il plaidait pour une régulation des flux migratoires de la part de l'UE, et ne craignait pas d’affirmer :
« J’estime quant à moi que l’Europe redeviendra chrétienne ou deviendra musulmane. Ce qui me paraît sans avenir, c’est la "culture du néant", de la liberté sans limites et sans contenu, du scepticisme vanté comme une conquête intellectuelle ; culture qui semble être l’attitude largement dominante dans les peuples européens, tous plus ou moins riches de moyens, mais pauvres de vérité. »

Mais ses détracteurs avait soigneusement omis ce que Sandro magister ajoutait :
« On est surpris de découvrir que, étant archevêque de Bologne, il a logé un groupe important de maghrébins sans domicile dans une église pendant de nombreuses nuits au plus froid de l’hiver, lui qui a été tellement critiqué pour avoir dit qu’il valait mieux accueillir en Italie des immigrés chrétiens plutôt que musulmans ».

En 2011, il publiait un nouveau livre de réflexions, "Pecore e pastori [Brebis et pasteurs]".
Une fois de plus, Sandro Magister (ici) lui offrait ses colonnes pour une recension très élogieuse, citant en particulier un passage pouvant sembler très dur sur l’homosexualité, ou plus exactement l’homosexualisme, qui en France le rendrait passible de poursuites judiciaires.
En réalité, il se référait à la lettre de Paul aux Romains :
« A propos du problème de l’homosexualité, de plus en plus important aujourd’hui, il faut, selon la conception chrétienne, distinguer le respect toujours dû aux personnes – qui comporte le refus de toute exclusion sociale et politique à leur égard (sous réserve de la nature intangible du mariage et de la famille) – de la juste réprobation de toute idéologie valorisant l’homosexualité ».

Mise à jour

Commentaire de Monique:
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Il est certain que l'idée papale d'envoyer un questionnaire aux évêques en vue du synode sur la famille n'est acceptable que si c'est un moyen de procéder à l'état des lieux. Je comprends très bien les réserves des personnes qui redoutent que l'on gouverne l'Eglise aux voix, en fonction de la mode, des tendances les plus mondaines du troupeau et selon la "dictature du relativisme".
Ce synode sera très difficile à piloter et si le Pape François ne tient pas fermement la barre (ou s'il ne veut pas la tenir ainsi), nous allons assister à un grand défoulement, à une dérive très comparable à celle de l'époque post-conciliaire. Il n'y aura plus aucune certitude et chacun fera ce qui bon lui semblera en s'auto-justifiant (mais il faut avouer que c'est déjà l'anarchie en sourdine dans ce domaine!). Le meilleur comme le pire peuvent sortir de ce synode. Le Pape François prend un risque de plus mais je suis intéressée par sa démarche.

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