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Le facteur du Pape sonne deux fois

Benoît XVI a écrit une lettre à Piergiorgio Oddifreddi, en réponse à un essai provocateur que ce dernier publiait l'hiver dernier, avant la renonciation, sous le titre "Caro papa, ti scrivo". (24/9/2013)

     

Le 16 septembre dernier, hasard!!, je publiais un article (Rendez-nous Ratzinger) où il était question de Piergio Oddifreddi. Ce dernier critiquait non sans virulence les prédications du "curé de Sainte Marthe", réclamant "Rendez nous Ratzinger".

Aujourd'hui (regardez bien les dates) on comprend mieux.

Pour situer le livre (présentation de l'éditeur)

www.inmondadori.it/Caro-papa-ti-scrivo-Piergiorgio-Odifreddi

À l'automne de 1959 (ndt: il avait 9 ans!!), Piergiorgio Odifreddi franchit le seuil du (petit) Séminaire de Cuneo.
Son intention était de devenir un jour pape, et de bénir d'une fenêtre de la Place Saint-Pierre une foule extatique.

Mais il a vite appris que «le chemin qui mène à la papauté est plus accidenté et tortueux que ce qu'un enfant avait naïvement imaginé.

Et surtout, que «pour pouvoir un jour nécessaire commander, il faut tout de suite commencer par obéir» et être respectueux: chose que, même alors, il n'aimait pas particulièrement.
Cinquante ans plus tard, le mathématicien impertinent se souvient de ces moments et, contenant pour une fois son habituel ton "grattant" et provocateur, écrit avec beaucoup de respect et de sincérité à celui qui est devenu pape pour de vrai.
Même si, en tant que scientifique, il n'abjure pas le devoir intellectuel de rester fermement ancré dans les faits de la réalité physique, historique et biologique.
Et il est donc contraint de réfuter point par point le théologien Joseph Ratzinger, qui croit en revanche à ce qui va «au-delà» de la réalité et des frontières dans la métaphysique, la méta-biologie et la méta-histoire.

Dans cette lettre, se confrontent deux méthodes, deux attitudes, deux visions du monde. D'une part, le «comprendre pour croire», qui accepte prudemment de ne donner crédit qu'à ce qu'on comprend et connaît. Et d'autre part, le «croire pour comprendre» qui ose parier sur ce que que nous ne comprenons pas toujours pas, ou que nous ne connaissons pas encore, dans l'espoir que plus tard, tout se clarifiera et se justifiera.

     

Le Pape a écrit à Oddifreddi!...

En lisant la nouvelle sur le site de Raffa, je n'arrivais pas à y croire!
Ma première réaction a été de penser à un "canular". Mais il semble que ce ne soit pas le cas.
Benoît XVI a (aurait) donc écrit une lettre à Oddifreddi.
La lettre de Benoît XVI, par sa date (30/8/), serait légèrement antérieure à celle de François à Scalfari (4/9).
Il est clair qu'elle n'a pu être publiée, d'ailleurs partiellement, qu'avec l'accord du Pape actuel.

Je vais essayer de comprendre, si c'est possible - sans singer les vaticanopinionistes, qui défendent l'indéfendable au prix de contorsions intellectuelles pas toujours acceptables.

Ma seconde réaction (après celle d'incrédulité, donc) a été que, ces temps-ci, pour avoir l'opportunité de recevoir une lettre de quelque épaisseur d'un Pape, et pas un simple courrier générique de la nonciature, il faut avoir ses entrées à la Repubblica, dont Massimo Introvigne disait il y a moins d'une semaine que c'était la maison mère des ennemis de l'Eglise.

Sans parler du fait que sans la moindre pudeur, Oddifreddi annonce la publication de la totalité de la lettre dans une prochaine édition de son livre.
Autrement dit, si on veut avoir la version complète, il faudra mettre 20 euros de plus, et acheter son livre.
De quoi "booster" ses ventes sur le dos d'une Eglise qu'il a jusqu'à présent honnie.

C'est peut-être une méthode d'évangélisation - et j'avoue avoir un peu de mal à la comprendre. Cela dit, bien sûr indépendamment du contenu de la lettre du Pape: c'est une autre question.

Mais je m'interroge (je ne dis pas "avec respect", mais avec l'immense affection que je lui porte): Benoît XVI, pape émérite (je n'ai pas oublié ses précédents et célèbres dialogues avec des athées, Habermas, Florès d'Acaïs, mais il était cardinal) a-t-il à se justifier devant un Oddifreddi, en particulier sur les affaires de pédophilie, comme il le fait ici, même si ce qu'il dit est l'expression même de la vérité:

"Quanto a ciò che Lei dice dell'abuso morale di minorenni da parte di sacerdoti, posso - come Lei sa - prenderne atto solo con profonda costernazione. Mai ho cercato di mascherare queste cose. Che il potere del male penetri fino a tal punto nel mondo interiore della fede è per noi una sofferenza che, da una parte, dobbiamo sopportare, mentre, dall'altra, dobbiamo al tempo stesso, fare tutto il possibile affinché casi del genere non si ripetano.
Non è neppure motivo di conforto sapere che, secondo le ricerche dei sociologi, la percentuale dei sacerdoti rei di questi crimini non è più alta di quella presente in altre categorie professionali assimilabili.
In ogni caso, non si dovrebbe presentare ostentatamente questa deviazione come se si trattasse di un sudiciume specifico del cattolicesimo
".

Je connais et admets d'avance toutes les objections que l'on pourra me faire pour justifier cette lettre, au point que je pourrais moi-même les écrire.

Il n'empêche: la Repubblica, et ceux qui sont derrière, sont-ils au bord de la conversion?
Franchement, je n'y crois pas. Et pas beaucoup plus pour leurs lecteurs.

En attendant de lire la version intégrale de la lettre du Pape Benoît, je traduis le billet triomphal du "mathématicien" italien sur son blog au titre très travaillé "Le non-sens de la vie 2.0" hébergé par La Repubblica:

     

Le facteur du Pape sonne deux fois

http://odifreddi.blogautore.repubblica.it/
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Très peu de personnes au monde, et Eugenio Scalfari est l'une de celles-ci, peuvent totalement comprendre la surprise et l'émotion que l'on éprouve en recevant directement chez soi une lettre inattendue d'un pape. Une surprise et une émotion qui ne sont pas égratignées par le fait d'être non-croyants, parce que l'athéisme concerne la raison, tandis que les personnalités et les symboles du pouvoir agissent sur les sentiments.

Pour moi, cette surprise et cette émotion se sont produites le 3 Septembre dernier, quand le facteur m'a livré une grande enveloppe cachetée contenant 11 pages datées du 30 Août, dans laquelle Benoît XVI répondait à "Caro papa, ti scrivo". Une réponse surprenante, qui en effet m'a surpris, pour deux raisons.
D'abord, parce que le pape a lu un livre qui, dès la couverture, se présentait comme une «introduction luciférienne à l'athéisme».
Et puis, parce qu'il a voulu le commenter et le discuter.

Peu de temps après la démission de Ratzinger, j'avais profité d'un ami commun (!!) pour demander à l'archevêque Georg Gänswein s'il était possible de remettre au pape désormais émérite une copie de mon livre, dans l'espoir qu'il pourrait le voir, et peut-être le feuilleter. Et puis, en plusieurs occasions, on m'a dit d'abord qu'il l'avait reçu, puis qu'il l'avait lu. Mais qu'il pourrait me répondre, et même le commenter en profondeur, c'était au-delà des espérances raisonnables.

Ouvrir l'enveloppe et découvir 11 pages denses, qui commençaient par présenter des excuses pour le retard dans la réponse, et une offre de remerciement pour la loyauté de la discussion, c'était l'attente maximum, dans un monde qui habituellement ne réalise que le minimum. Et c'était aussi la satisfaction de voir enfin prise au sérieux, et pas supprimés, mais évidemment pas partagés, mes arguments en faveur de l'athéisme et contre la religion en général et le catholicisme en particulier.

Par ailleurs, ce n'était pas par hasard que j'avais adressé ma lettre ouverte à Ratzinger.
Après la lecture de son "Introduction au christianisme", que m'avait suggéré le "compagnon de route" Sergio Valzania le long du Chemin de Saint-Jacques en 2008, j'avais compris que la foi et la doctrine de Benoît XVI, à la différence de ceux des autres, étaient suffisamment cohérentes et aguerries pour être en mesure de très bien affronter des attaques frontales. Un dialogue avec lui, bien qu'alors imaginé à distance, pouvait donc s'avérer être stimulant et non banal, à affronter la tête haute.

Ecrivant mon livre comme un commentaire au sien, j'avais essayé d'encourager la possibilité même éloignée qu'un jour, le destinataire pourrait effectivement le recevoir. J'avais donc baissé les tons sarcastiques d'autres essais, choisissant un style d'échange entre professeurs «à égalité» (ndt:la modestie ne l'étouffe pas), bien sûr, au sens académique du terme. Et j'avais mis l'accent sur les arguments intellectuels dont je pouvais espérer qu'ils attireraient son attention, sans renoncer à attaquer de front les problèmes internes de la foi et ses relations extérieures avec la science.

L'approche n'était évidemment pas fausse (ndt: autrement dit, Oddifreddi a tendu un piège), car elle a atteint son but: qui, bien sûr, n'était pas de chercher à «convertir le Pape» (!!!) mais d'exposer honnêtement les perplexités, et parfois l'incrédulité, d'un mathématicien sur la foi. De la même façon, la lettre de Benoît XVI ne cherche pas à «convertir l'athée», mais lui retourne honnêtement la perplexité symétrique, et parfois l'incrédulité, d'un croyant très spécial sur l'athéisme.

Le résultat est un dialogue entre la foi et la raison qui, comme le note Benoît XVI, a permis à tous les deux de se confronter franchement, et parfois durement, dans l'esprit de cette cour des Gentils que lui-même avait voulu en 2009. Si j'ai attendu quelques semaines pour rendre publique sa participation au dialogue, c'est parce que je voulais être sûr qu'il ne voulait pas la garder privé (ndt: il aurait donc eu l'accord).

Maintenant que j'ai reçu la confirmation, j'anticipe ici une partie de sa lettre, qui est trop longue et détaillée pour être reproduite dans son intégralité, en particulier dans les sections initiales philosophiques.
Elle le sera bientôt dans une nouvelle version de mon livre, dépouillé (le livre?) des parties sur lesquelles il a décidé de ne pas s'attarder, et élargi pour inclure un récit de la naissance et de l'évolution de ce qui semble être un exemple unique dans l'histoire de l'Eglise: un dialogue entre un pape théologien et un mathématicien athée. Divisés sur presque tout, mais unis par au moins un but: la recherche de la Vérité avec une majuscule (ndt: si je comprends bien, Oddifreddi va même gagner de l'argent grâce à Benoît XVI !)