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L'Eglise de François: Synodalité vs collégialité

Un article d'Andrea Gaglarducci (24/10/2013)

Andrea Gagliarducci, qui écrit de temps en temps sur Korazym.org, mais dont je n'ai découvert que récemment le site en anglais www.mondayvatican.com/ est décidément un excellent analyste du Vatican, même s'il n'a pas la notoriété d'autres de ses confrères.
L'article date du 22 septembre dernier, le point de vue retenu est celui de la "gouvernance de l'Eglise", et il se sert pour étayer son analyse de paragraphes de l'interviewe du Pape à la Civiltà Cattolica qui ont été en général ignorés.

Voir le texte de l'interviewe du Pape en français ici newsletter.revue-etudes.com/TU_Septembre_2013/TU10-13.pdf ; j'ai indiqué les pages concernées.

     

Et si le pape François démantelait l'ex-Saint Office?
Andrea Gagliarducci
22 septembre 2013
http://www.mondayvatican.com/pope-francis/what-if-pope-francis-would-dismantle-the-ex-santuffizio
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La confirmation de Gehrard Ludwig Mueller comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi peut conduire à la conclusion que le pape François suit les chemins tracés par Benoît XVI. Mais les apparences peuvent être trompeuses. Le Pape François met l'Eglise dans une voie complètement différente. Si Benoît XVI a été l'homme de la collégialité, François se concentre davantage sur la synodalité. Et il veut une Eglise proche des gens. Pour atteindre cet objectif, il va faire tout ce qui est en son pouvoir.

Au fur et à mesure que les pièces du «puzzle» de la Curie du pape François se mettent en place, la «pensée de François» est de mieux en mieux comprise. Un excellent moyen de comprendre la pensée de François est l'interview qu'il a accordée au Père Antonio Spadaro, rédacteur en chef de la revue des jésuites italiens La Civiltà Cattolica. L'interview a été publiée simultanément par 16 revues jésuites du monde entier .

L'interview donne en effet un bon aperçu de la pensée du pape. Il y a trois domaines abordés dans l'interview qui n'ont peut-être pas reçu le niveau d'attention qu'ils méritent. Ce sont précisément ces trois parties qui semblent donner une indication claire sur la direction du pontificat. Peut-être l'hypothèse qu'elles proposent est-elle un peu tiré par les cheveux. Dans le même temps, cependant, le pape François n'est pas étranger aux grosses surprises.

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La Congrégation pour la Doctrine de la Foi sera-t-elle démantelée?
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Selon les mots du Pape François: «C’est impressionnant de voir les dénonciations pour manque d’orthodoxie qui arrivent à Rome! Je crois que ces cas doivent être étudiés par les conférences épiscopales locales, auxquelles Rome peut fournir une aide pertinente. De fait, ces cas se traitent mieux sur place. Les dicastères romains sont des médiateurs et non des intermédiaires ou des gestionnaires» (page 18).

Cela conduirait à penser à une réforme du modus operandi de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Souvent décrite comme le «gardien de l'orthodoxie catholique dans le monde», la CDF pourrait en fait être définie, en gros, comme un centre d'information et un coordinateur théologique et disciplinaire. Sa centralité a été renforcée pour mieux gérer les cas d'abus sexuels du clergé. Auparavant, la plupart de ces cas n'étaient même pas notifiés à Rome, et le scandale était gardé sous le boisseau dans les diocèses locaaux.

Le Pape François a un plan différent. Il veut donner un nouvel espace pour respirer, et une plus grande visibilité aux Eglises locales, également en ce qui concerne les questions d'orthodoxie et les déclarations. Cela impliquerait une refonte complète: d'un centre de coordination à une série d'évêques locaux qui peuvent décider de leur propre chef, selon les besoins particuliers. Même si François parle d'une «précieuse assistance de Rome», et cela ne signifie pas que ce sera une supervision.

Alors, à quoi pourrait ressembler l'avenir, après qu'un évêque local ait approuvé une doctrine qu'un autre évêque local pourrait considérer comme non orthodoxe? Y aura-t-il besoin d'une coordination centrale, ou tous les évêques préserveraient-ils leur liberté?

Il se peut que la réponse à la deuxième question soit: oui. Dans un autre passage de l'interview (page 16), le pape François explique que «Les enseignements, tant dogmatiques que moraux, ne sont pas tous équivalents. Une pastorale missionnaire n’est pas obsédée par la transmission désarticulée d’une multitude de doctrines à imposer avec insistance. L’annonce de type missionnaire se concentre sur l’essentiel, sur le nécessaire, qui est aussi ce qui passionne et attire le plus, ce qui rend le cœur tout brûlant, comme l’eurent les disciples d’Emmaüs. Nous devons donc trouver un nouvel équilibre, autrement l’édifice moral de l’Église risque lui aussi de s’écrouler comme un château de cartes, de perdre la fraîcheur et le parfum de l’Évangile. L’annonce évangélique doit être plus simple, profonde, irradiante. C’est à partir de cette annonce que viennent ensuite les conséquences morales.».


Synodalité vs collégialité.
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Selon les mots du Pape François: « On doit marcher ensemble : les personnes (la gente), les évêques et le pape. La synodalité se vit à différents niveaux. Il est peut-être temps de changer la manière de faire du Synode, car celle qui est pratiquée actuellement me paraît statique. Cela pourra aussi avoir une valeur oecuménique, tout particulièrement avec nos frères orthodoxes. D’eux, nous pouvons en apprendre davantage sur le sens de la collégialité épiscopale et sur la tradition de la synodalité. L’effort de réfexion commune, qui prend en considération la manière dont l’Église était gouvernée dans les premiers siècles, avant la rupture entre l’Orient et l’Occident, portera du fruit en son temps» (page 18).

De toute évidence, il y aura de nouvelles règles pour le synode des évêques. Un nouveau secrétaire, Lorenzo Baldisseri, auquel le pape François à donné la barrette rouge à la fin du conclave, s'occupera des nouvelles règles. Jusqu'à présent numéro deux de la Congrégation des évêques, Baldisseri a vécu pendant longtemps dans la Domus Sanctae Marthae où le pape François vit aussi. Ils ont passé beaucoup de temps ensemble et Baldisseri aime se considérer comme l'un des plus fidèles amis du pape. Il sera chargé de changer les synodes, peut-être de leur donner plus de pouvoir de décision.

Cela découle également d'un autre extrait de l'interview (page 11), dans laquelle le pape François souligne que:
«Les Consistoires, les Synodes sont, par exemple, des lieux importants pour rendre vraie et active cette consultation. Il est cependant nécessaire de les rendre moins rigides dans leur forme. Je veux des consultations réelles, pas formelles. La consultation des huit cardinaux, ce groupe consultatif outsider, n’est pas seulement une décision personnelle, mais le fruit de la volonté des cardinaux, ainsi qu’ils l’ont exprimée dans les Congrégations Générales avant le Conclave. Et je veux que ce soit une consultation réelle, et non pas formelle».

Est-ce différent de la voie tracée par Benoît XVI? En fait, oui. Le pape Benoît a mis au point un modus operandi de gouvernement fondé sur la collégialité depuis le temps où il était préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Le Cardinal Bertone, secrétaire d'Etat de Benoît XVI, s'est référé à ce modus operandi comme à un modèle qu'il voulait appliquer aux organes de gouvernement de l'Eglise.

>>> La collégialité signifie avoir des réunion entre pairs, et prendre des décisions en tant que tels. On pouvait émettre des oppositions avant une assemblée, mais lors de la rencontre elle-même, un esprit d'examen entre pairs prévaut et favorise les accords. Le nouvel élan que Benoît XVI a donné à la prêtrise vient d'un dynamisme collégial: l'Année sacerdotale, ainsi que la missionarité fondée sur Jésus-Christ, venaient de la nécessité de donner une direction collégiale de l'Église.
Le cardinal Mauro Piacenza, préfet de la Congrégation pour le Clergé, a pris la responsabilité de mener à bien cette réforme. Piacenza a été nommé Grand Pénitencier, parce que - murmure-t-on au Vatican - les perspectives ont changé, et c'est maintenant le temps de la synodalité, pas de la collégialité et Piacenza a été à tort ou à raison, un champion de la collégialité.

>>> La Synodalité
signifie avoir des rencontres avec des personnes de différents milieux et rangs. Des rencontres de ce genre ne sont pas conçues autour de la prise de décision, mais elles peuvent malgré tout conduire à l'adoption de certaines décisions, comme cela arrive dans les synodes de l'Eglise orthodoxe. C'est l'approche que le pape François peut vouloir suivre.


Réforme? Non merci ... ou peut-être oui!
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Selon les mots du Pape François (page 18): «Les dicastères romains sont au service du pape et des évêques: ils doivent aider soit les Églises particulières soit les conférences épiscopales. Ils sont des organismes d’aide. Dans certains cas, quand ils ne sont pas bien compris, ils courent le risque de devenir plutôt des organismes de censure».
Ces mots constituent l'essentiel de tout ce qui a été dit par les cardinaux lors des congrégations générales, quand ceux de l'Eglise lointaine ont exprimé leur déception face à une Curie qui a été si détachée d'eux (la réalité était toutefois plus complexe que cela).

En réponse aux aspirations exprimées lors des réunions de pré-conclave, le pape François a demandé à huit cardinaux de le conseiller sur une réforme de la Curie. Une des premières réformes devrait être l'installation d'un moderator curiae, une sorte de contrôleur et de coordinateur du flux de travail. L'idée de moderator curiae a été soulevée lors des Congrégations générales par le cardinal Francesco Coccopalmerio, président du Conseil pontifical pour les textes législatifs. Cette idée a eu tellement de succès que Coccopalmerio a été le cardinal italien qui a eu le plus de voix au Conclave (ndt: décidément, je ne m'habituerai jamais à ces indiscrétions. on finit par se demander si c'est vraiment le souffle de l'Esprit Saint qui a inspiré des cardinaux capables de rompre ainsi un serment). Le cardinal Giuseppe Bertello, un ami du pape, numéro un de l'administration de l'État de la Cité du Vatican, pourrait devenir moderator curiae.

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Il semble, cependant, que le pape François ne pense pas que la réforme de la Curie nécessite une attention urgente. «Les réformes structurelles et organisationnelles sont secondaires, c'est-à-dire qu'elles viennent dans un second temps. La première réforme doit être celle de la manière d'être» (page 15).

Cette affirmation constitue une réponse à ceux qui s'interroge sur le déséquilibre entre les nombreux gestes et le manque d'initiatives administratives. Le pape veut avant tout un changement d'attitude (envers les belles voitures, le faste, le luxe) et seulement après, il arrivera finalement à cela, faire face à la réorganisation structurelle de la Curie Roma. Les huit cardinaux ont laissé de nombreuses propositions sur la table de François. Mais le pape François va demander une conversion des cœurs, et seulement après il pensera à une réforme structurelle.

En conclusion, il se pourrait qu'il n'y ait pas de réforme structurelle, autre que celle d'une nouvelle synodalité; les évêques locaux deviendront plus importants, peut-être au détriment des administrateurs à Rome; le système de dépouillement du pape est en action.