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Gouverner sans la Curie, et sans Secrétaire d'Etat

Encore un article très intéressant - quoique fort long - d'Andrea Gagliarducci (24/10/2013)

Du même auteur

     

Dans un article publié ce matin sur le quotidien de gauche "Il Fatto Quotidiano", Marco Politi s'interrogeait sur les «nombreux (sic!) mystères entourant la maladie de Mgr Parolin». Le nouveau secrétaire d'Etat, qui a dû différer sa prise de fonctions pour une urgence chirugicale, subirait des investigations médicales poussées dans un service d'hépatologie de Padoue, laissant supposer qu'il s'agit peut-être de quelque chose de grave.
A titre personnel, cela me fait de la peine. Mais je ne vois pas en quoi la santé d'un ecclésiastique, fût-il le bras droit du Pape, regarde les journalistes (en particulier ceux athées); l'Eglise n'est pas une démocratie, et n'a pas à se laisser extorquer la promesse de transparence absolue, que ceux qui lui réclament se gardent bien de pratiquer eux-mêmes (sait-on qui finance les journaux pour lesquels ils travaillent, et dont ils ne sont que les prête-noms?)

Mais ce qui suit ne manque pas d'intérêt:

La nomination de Mgr Parolin, fin et expert diplomate originaire de Vicence a été accueillie avec grande satisfaction à la Curie et dans de nombreux milieux de l'Eglise universelle.
Si l'état de santé du nouveau secrétaire d'Etat devait ne pas se stabiliser rapidement, ce serait un gros problème pour le Pape François, qui doit compter sur une série de résistances obliques et souterraines à ses projets réformateurs, et donc a besoin en Curie d'une équipe de collaborateurs dirigés par une main expérimentée et décidée.
Certains articles d'attaque parus sur Il Foglio, certaines dures critiques contre le pape argentin, qui circulent sur internet, mettent en évidence le fait que son Pontificat ne sera pas une promenade.
La dureté avec laquelle Mgr Müller, préfet de la CDF, est intervenu sur l'OR pour contrarier l'hypothède que, par «miséricorde», on puisse donner la communion aux divorcés remariés, contraste de façon évidente avec l'attitude plus pastorale démontrée par François à plusieurs occasions. C'est un signal à ne pas sous-évaluer.

On trouvera un bon résumé des "méthodes" de Marco Politi (ex de la Repubblica, qui fut un adversaire acharné de Benoît XVI, et un grand admirateur du cardinal Martini) ici: benoit-et-moi.fr/2013-I/articles/marco-politi-continue-de-desinformer.
Et ici, son commentaire à Lumen Fidei: benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/lire-lumen-fidei-marco-politi.

Déjà, en ce qui concerne la lettre de Mgr Müller publiée sur l'OR , Marco Politi a tout faux.
Le blog ami "Il Vaticanista" (article en cours de traduction) nous apprend en effet qu'elle avait été publiée en allemand sur le Tagespost le... 15 juin dernier, elle n'a donc aucun rapport avec l'absence de Mgr Parolin. La seule question qu'on doit se poser est donc: pourquoi n'est-elle traduite dans les différentes langues que maintenant?

A l'évidence, Andrea Gagliarducci a d'autres sources.

J'ai rajouté mes sous-titres à son très long article, permettant de limiter éventuellement la lecture à ce qui intéresse chacun (on peut "sauter" les vicissitudes financières, mais elles expliquent peut-être beaucoup de choses).
Bien entendu, j'ignore dans quelle mesure ses affirmations sont fondées, même si j'ai tendance à lui faire davantage confiance qu'à Politi. Chacun est donc libre de se faire son opinion.

     
Le Pape François veut gouverner sans la Curie. Et peut-être avec un Secrétaire d'Etat absent.

Andrea Gagliarducci
21 octobre 2013
www.mondayvatican.com
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Le secrétaire d'Etat absent à sa propre intronisation
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L'absence de Mgr. Pietro Parolin lors de la cérémonie marquant son entrée en fonction comme secrétaire d'État n'était certainement pas une bonne chose. Frappé par un calcul biliaire (ou une appendicite selon d'autres sources), Mgr Parolin a dû subir une opération chirurgicale urgente, mais sans gravité.
Lors de la cérémonie, le Pape François, après avoir remercié le Secrétaire d'Etat sortant, le cardinal Bertone, a forgé pour Parolin une description particulière: Secrétaire d'Etat in absentia, en absence. Ce faisant, le pape François semblait presque souligner que le secrétaire d'État peut être présent ou non. De toute évidence, le pape François ne veut pas donner trop d'importance à la Curie romaine...
En fait, il semble même que le pape François veuille passer par-dessus la Curie romaine (cf. La papauté informelle de François ) .


Pourquoi le pape ne supporte pas un gouvernement centralisé
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L'incapacité du pape à supporter un gouvernement central viendrait de son expérience personnelle de marginalisation. En tant que jeune Provincial de la Compagnie de Jésus, il a été envoyé en Allemagne (où il s'est senti comme exilé) pour étudier en vue d'un doctorat qu'il n'a jamais terminé, puis rappelé en Argentine et affecté à l'enseignement.
La décennie des années 80 est un «vacuum» dans la biographie de Jorge Mario Bergoglio. De l'expérience de cet exil et cette mise à l'écart, il aurait conclu que les gouvernements ne sont que les établissements de pouvoir, et que la réalité est mieux comprise à partir de la périphérie.
C'est ainsi que le jésuite assuré devint un évêque impatient, avec une gestion centralisée, celui qui prend sur lui toutes les responsabilités de management, car il pense qu'il est préférable de ne faire confiance à personne.
Cet exil, joint à l'expérience de vivre la dictature militaire en Argentine, a forgé le caractère et les idées de Jorge Mario Bergoglio. Peut-être associe-t-il la Curie à la province de la Compagnie de Jésus qui l'a exilé en Allemagne.
Comme Pape, il a rendu hommage au défunt général des Jésuites, Arrupe, visitant sa tombe à la "Maison généralice", le quartier général des Jésuites à Rome.
Pourtant Arrupe a été l'un des plus forts "adversaires" de Bergoglio chez les jésuites, et certains jésuites ont souligné que, si Bergoglio n'était pas devenu pape, il ne serait jamais allé à rendre hommage à la tombe d'Arrupe. Cela a peut-être été le moment où Bergoglio a vraiment intériorisé qu'il était devenu pape.


Loin de la Curie
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Rester éloigné de la Curie est de plus en plus devenu «un must» pour Jorge Mario Bergoglio (en fait, souvent, il n'assistait pas aux réunions des congrégations dont il était membre). Il ne veut pas que des événements spéciaux aient lieu au Vatican. Même les exercices spirituels traditionnels de Carême de la Curie n'auront pas lieu cette année, comme d'habitude, dans la chapelle Redemptoris Mater du Vatican. A la place, ils se tiendront à Albano, près de Rome (fr.radiovaticana.va). Les exercices seront conduits par le père Angelo de Donatis, un simple prêtre.
Pour autant que François veuille passer par-dessus la Curie, il faudra toujours quelqu'un pour la faire fonctionner. Quelqu'un qui, à tout le moins, peut gérer les rumeurs et les inquiétudes à la Secrétairerie d'État. Pietro Parolin est probablement quelqu'un qui se chargerait de cette tâche difficile.
Pietro Parolin ne sera pas un vice-Pape. Certes, il aura besoin pour se protéger des pressions venant de toutes les directions. Et il faudra aussi régner sur ceux qui luttent pour leur reconnaissance et leurs mérites depuis l'avènement du nouveau pontificat.


Imbroglio dans les organes financiers du Vatican
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Un signe de l'anarchie totale qui règne à l'intérieur des murs du Vatican est la dernière petite réforme des finances du Vatican, concernant l'Administration du Patrimoine du Siège Apostolique (APSA). La réforme a été annoncée dans un communiqué de presse par l'APSA, que le Bureau de presse du Saint-Siège à diffusé dans un bulletin différent de ses propres bulletins.
Le communiqué de presse annonçait que l'APSA avait commencé le processus de «due diligence» ou «diligence raisonnable», s'assurant à cet effet les services du Promontory Financial Group (déjà embauché par l'IOR)[1]. La diligence raisonnable est l'«évaluation des risques» dans les investissements et les prêts, en particulier en ce qui concerne les clients d'une banque.
Pourtant, même si l'APSA est généralement décrite comme une sorte de banque centrale, ce n'est pas une banque. Lorsque les évaluateurs du Comité MONEYVAL du Conseil de l'Europe ont interrogé le Vatican sur les activités de l'APSA, le Vatican a expliqué que l'APSA a quelques comptes, mais que son activité de type bancaire est minime (ils n'ont que 23 comptes, 15 appartenant à des clercs et 8 à des laïcs) et qu'un processus d'arrêt de cette activité de type bancaire a commencé en 2001.
La décision de l'APSA d'annoncer le démarrage du processus de due diligence est problématique: l'APSA n'est pas une banque, mais agit comme telle. Donc, il y a une question ouverte: à quoi se rapporte le processus de due diligence? Les dicastères du Vatican sont-ils soumis à la due diligence sur leurs activités?

La même question a été soulevée lorsque l'Institut pour les œuvres religieuses (IOR) a publié son rapport annuel , comme les banques le font habituellement. L'IOR est souvent décrite comme «la banque du Vatican» ou «ladite banque du Vatican», bien que le Vatican ait toujours souligné - et expliqué pourquoi - que l'Institut n'est pas la banque. Le rapport pourrait prêter à confusion dans l'opinion publique. Si l'IOR met en pratique tout ce qui est demandé à une banque, le débat sur la nature de l'Institut est d'emblée quelque peu «étouffé».
Cette ambiguïté aide-t-elle la mission du Saint-Siège? Pas vraiment, à en juger par la façon dont le Saint-Siège opère dans les arènes européenne et internationale.

La stratégie du Saint-Siège était de créer un modèle financier sur mesure pour le Vatican (où il n'y a ni banques ni marchés). Un modèle qui adhérerait aux normes internationales tout en maintenant au Saint-Siège un «type spécial» de souveraineté.
Ni l'APSA, ni l'IOR ne semblent être conscients de cela. Ils semblent vouloir agir seuls, sans coordination avec le «gouvernement central» de l'Eglise, afin de montrer au monde qu'un pas vers la transparence a commencé. Ce comportement fait beaucoup de publicité au président de l'IOR, Von Freyberg, et élève l'image de l'APSA (ainsi que le profil des organismes externes, comme Promontory, malgré le fait que les responsables du Vatican font presque tout le travail).
Il y a quelque chose à noter à propos de l'APSA. Le Cardinal Attilio Nicora a été pendant des années président de ce dicastère, jusqu'à ce qu'il doive démissionner, car il était également président de l'Autorité d'information financière (AIF). Le conflit d'intérêts de Nicora (il était en même temps président à la fois d'un organe de contôle et d'un organe contrôlé) a été la seule question soulignée dans le rapport du 12 Juillet de MONEYVAL. Mais Nicora a toujours gardé le contrôle de l'APSA, qu'il considère comme sa créature. La plupart des actes de APSA sont inspirés par Nicora, soucieux de rester au centre de la scène une fois encore.


Des nominations surprenantes
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En attendant, «des fonctionnaires de niveau subalterne» gagnent en importance au Vatican, mais il est difficile de savoir sur la recommandation de qui (Cf. Les nominations de François)
L'un de ces personnages de second plan est Ilson de Jésus Montanari, un employé avec un rang de secrétaire de deuxième classe qui a soudainement été propulsé à la place de numéro deux à la Congrégation pour les évêques. Brésilien et jeune, Ilson est réputé pour être un ami proche de Mgr Fabian Pedacchio Leaniz. Pedacchio est le secrétaire personnel du Pape, mais sert encore comme fonctionnaire à la Congrégation pour les évêques, où il a été envoyé par Bergoglio en 2007 (Pedacchio a été les yeux de Bergoglio sur la Curie pendant plusieurs années).
C'est Giovan Battista Ricca qui a présenté Ilson au cardinal Bergoglio. Ricca a semble-t-il soutenu la nomination d'Ilson. Ricca était le directeur de la Maison du Clergé, sise Via della scrofa, où Ilson habitait et où Bergoglio Cardinal avait l'habitude de descendre quand il venait à Rome.
Ricca a été nommé par le pape François prélat de l'IOR. Dès que la nouvelles de la nomination s'est répandue, le vaticaniste Sandro Magister a publié un document confidentiel sur un scandale homosexuel impliquant Ricca quand il travaillait à la nonciature apostolique en Uruguay. Le document accusait Ricca d'être « le prélat du lobby gay », ainsi que Magister titrait son article.
Ilson fait-il également partie du lobby gay, comme Ricca en a été accusé? Faisait-il seulement partie du petit cercle d'amis qui gravitaient autour du cardinal Bergoglio quand il était cardinal? Ce genre de spéculation est souvent répandue dans les couloirs du Vatican.


Et même une lettre d'explication du Pape
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Enfin, l'une des plus récentes nominations du pape François offre matière à réflexion. Fernando Vergez, Légionnaire du Christ, Secrétaire général de la Cité du Vatican, va recevoir le titre d'évêque. Le Pape François (un peu tardivement) a annoncé cette décision avec une longue et inhabituelle lettre au cardinal Giuseppe Bertello, président du gouvernement de l'Etat de la Cité du Vatican (compte-rendu en français sur Zenit, texte en italien www.vatican.va).

Dans la lettre, le pape François explique que le secrétaire général de l'Etat de la Cité du Vatican devrait se concentrer sur les devoirs pastoraux et le soin des âmes de tous à la Cité du Vatican. Ainsi, tandis que Vergez sera une sorte d'«évêque de la paroisse du Vatican», Bertello est chargé de la gestion, augmentant ainsi son pouvoir. C'est également l'intention du pape de confier à Bertello la coordination des affaires générales de la Curie (le moderator curiae, cf. L'Eglise de François: Synodalité vs collégialité).


Les Légionnaires du Christ marquent des points
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L'ordination prochaine de Vergez comme archevêque est un bon développement pour les Légionnaires du Christ. La mère de Vergez était l'une des femmes dans le cercle proche de Marcial Maciel, le fondateur des Légionnaires qui a vécu une double vie: celle du fondateur respecté d'une Congrégation pleine de vocations, et celle d'un toxicomane qui avait des histoires d'amour avec plusieurs femmes, au moins trois enfants illégitimes, et qui abusait de ses séminaristes.
Secrétaire de feu le Cardinal Argentin Eduardo Pironio et membre respecté et actif des Légionnaires du Christ, Vergez a pris ses distances avec le fondateur de la Congrégation au bon moment, lorsque la montée des Légionnaires du Christ allait prendre fin en raison du procès instruit par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi dirigée par le cardinal Joseph Ratzinger. Vergez aurait déclaré que les statuts des légionnaires approuvés par le Pape Jean-Paul II n'étaient pas ceux que la Congrégation appliquait vraiment. C'est ainsi qu'il a obtenu un poste dans le gouvernement de l'Etat de la cité du Vatican. De là, il a été catapulté à la position de numéro deux au gouvernement de l'Etat du Vatican.
La promotion de Vergez aidera probablement l'image des Légionnaires du Christ, qui prépare son chapitre général en Mars. Les Légionnaires du Christ et ses partisans traditionnels, comme le secrétaire d'Etat émérite Angelo Sodano, peuvent remercier le pape pour cette opportunité.



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Dernièrement, le pape François a clairement indiqué qu'il ressentait la nostalgie pour l'homme de Curie de l'ancien temps. Après la promotion de personnes faisant vraisemblablement partie d'un lobby gay (et cela pourrait être une stratégie pour garder tout le monde sous contrôle), et sa préférence pour gouverner autant qu'il le peut sans la Curie, le pape François continue à aller son propre chemin .
Pourtant, un signal à Parolin a été donné. Le Pape a dit que Parolin n'a pas besoin de trop s'inquiéter au sujet de son nouvel emploi. L'importance de Parolin n'est pas considérée comme essentielle, comme en témoigne le fait que le pape n'a pas attendu une semaine que Parolin aille mieux avant d'inaugurer officiellement le mandat du nouveau secrétaire d'Etat.

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Note
[1] Promontory Financial Group est une société internationale de consulting, qui conseille ses clients sur différentes questions relatives aux services financiers, parmi lesquelles les questions de réglementation , conformité , gestion des risques , liquidité , restructuration , acquisitions , due diligence , enquêtes internes et cybersécurité .