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Les six mois de François, par un évêque américain

Un point de vue nuancé, dans une interviewe de Mgr Tobin, publiée sur le bulletin de son diocèse de Providence (Rhode Island) (15/9/2013)

Si l'on veut entendre chanter les louanges du Pape, il suffit de taper "Pape François" dans le moteur de recherche. Ou lire quotidiennement Zenit, Vatican Insider, Radio Vatican, etc... (j'ai renoncé à le faire).
Si l'on veut au contraire voir formuler quelques doutes, même raisonnables et respectueux, et émanant bien entendu de voix autorisées (la mienne étant évidemment hors-circuit, ce que je trouve normal), il faut creuser un peu plus.
Soit dit en passant, sous Benoît XVI, c'était l'inverse.
Grâce à Raffa (citant un article du site National catholic Reporter, ncronline.org/blogs/distinctly-catholic/bishop-tobin-disappointed-pope-francis, qui s'en offusquait), j'ai retrouvé l'original de cette interviewe de Mgr Thomas Tobin, né en 1948, l'actuel évêque de Providence (Rhode Island) - à ne pas confondre avec Joseph Tobin, depuis octobre 2012 archevêque d'Indinapolis (Indiana).

Le prélat ose émettre quelques réserves, notamment celle-ci (qui a suscité l'ire de National Catholic Reporter):

(...) je suis un peu déçu par le pape François qui n'a pas, au moins autant que je sache, dit beaucoup sur les enfants à naître, l'avortement, et beaucoup de gens ont remarqué cela. Je pense qu'il serait très utile que le pape François aborde plus directement le mal de l'avortement et encourage ceux qui sont impliqués dans le mouvement pro-vie. C'est une chose de tendre la main et d' embrasser les petits enfants et les bébés comme il l'a fait à maintes reprises. Il me semble que ce serait aussi merveilleux que d'une manière spirituelle il tende la main et et embrasse les enfants à naître.

Par ailleurs, Mgr Tobin nous aide peut-être à faire le chemin inverse, c'est-à-dire comprendre pourquoi les cardinaux ont choisi d'élire pour Pape un génie du "geste" (je n'ose pas dire "de la communication") en ces jours où il est beaucoup question de la Nouvelle Evangélisation.

   

Les six premiers mois

Mgr Tobin réfléchit sur l'impact du Pontife
12/09/13
(article original en anglais ici; ma traduction)
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Alors que le Pape François atteint ses six premiers mois en tant que chef de l'Eglise catholique, Mgr Thomas J. Tobin, dans un entretien avec l'éditeur catholique de Rhode Island Rick Snizek, réfléchit sur l'impact du pontife jusqu'ici sur les fidèles, et les défis auxquels il est confronté en tant que le leader des 1,2 milliard de catholiques à travers le monde.

Question: Six mois après le début du Pontificat de François, l'intérêt continue de croître chaque jour pour les paroles et les actions de cet humble serviteur d'Argentine. Êtes-vous surpris par l'impact sur les fidèles du monde entier que ce pape a réussi en si peu de temps?

Mgr Tobin: Eh bien, je suppose que je suis un peu surpris. Bien que l'Office du pape soit toujours une position de très haut profil, et que le Saint-Père ait toujours une grande influence sur l'Église et le monde, certainement la réaction à la personnalité du pape François a été extraordinaire. Il fait des choses et dit des choses qui ont été plutôt imprévisibles, et je pense qu'il est frappant de constater qu'il touche la bonne corde au bon moment. Donc, dans ce sens, je pense que c'est extraordinaire, ce que nous voyons. Et en grande partie, ça a été une réaction très positive.

Q: Quelle est votre impression du style de leadership de ce pape, par rapport à celui du pape Benoît XVI et du pape Jean-Paul II, avec qui vous avez eu l'occasion d'interagir personnellement?

R: Chaque pape a évidemment sa propre histoire et sa propre personnalité. Il me semble qu'il y a place pour toutes ces personnalités dans l'Office et la Chaire de saint Pierre. Le Bienheureux Pape Jean-Paul était un grand personnage dramatique et, il a eu un impact énorme sur l'Église et le monde, et même dans la sphère politique. Il était un acteur plus grand que la vie, une personne dramatique, vraiment un genre unique dans une vie de personnage historique. Le pape Benoît XVI était évidemment davantage le théologien, le grand savant. Sa personnalité plus calme, plus réservée, mais il nous a donné quelques magnifiques documents et exemples par son enseignement et en nous conduisant dans la clarté de la foi catholique, ce qui est aussi une contribution très importante. Le Pape François est certainement plus une figure charismatique qui tend la main à l'Eglise et au monde et nous lance vraiment un défi par ses paroles et ses actes, à certains égards très spectaculaires et positifs.

Q: Les gens ont été surpris par le niveau d'accès que le pape François a accordé aux fidèles, quand il tourne dans la foule saluant les individus partout où il va. Est-ce que cela soulève des préoccupations plus importantes pour sa sécurité?

R: C'est une épée à double tranchant. D'une part, il est merveilleux que le Saint-Père soit tellement charmant et accessible, et veuille vraiment être au milieu du troupeau. Cela a laissé une impression très forte et frappante, c'est certain, et pour beaucoup de gens, c'était très rafraîchissant. L'autre aspect de cela, cependant, est qu'il provoque une certaine confusion et de l'inquiétude sur sa propre sécurité et certainement personne ne voudrait qu'il arrive quelque chose de mal au Saint-Père.

Une des choses auxquelles nous devons nous habituer, c'est de faire face à certaines des conséquences involontaires de son style en roue libre. Par exemple, quand il a choisi de ne pas vivre dans le Palais apostolique, mais plutôt à Sanctae Marthae. C'est un geste qui en vaut la peine, bien sûr, mais comme je l'ai fait remarquer à d'autres, pour des raisons de simplicité et d'humilité, il occupe maintenant deux bâtiments au lieu d'un seul. Cela a causé des problèmes de sécurité autour du Vatican. Quand il a décidé de ne pas allet à Castel Gandolfo pour l'été, ce qu'il a le droit de décider, cela a eu un impact sur la population locale, à Castel Gandolfo, les commerçants et les gens qui possèdent des restaurants et des bus touristiques et des boutiques de souvenirs et ainsi de suite.

Q: Quelle a été votre réaction quand vous avez vu le pape François arrêter la papamobile au milieu de la place Saint-Pierre au début de cette année, soulevant au-dessus de la foule jeune Dominic Gondreau, le fils handicapé du professeur de théologie de Providence College, le Dr Paul Gondreau, afin qu'il puisse prier sur l'enfant?

R: Évidemment, ce fut un moment vraiment béni pour Dominique lui-même et pour toute la famille Gondreau, et à travers eux pour l'ensemble de notre Église diocésaine. Nous avons vraiment été béni ce jour-là que le Saint-Père ait atteint et touché et embrassé un membre de notre troupeau. Ce fut un grand moment et une grande bénédiction. L'autre chose que je tiens à dire cependant, c'est que je suis un peu déçu par le pape François qui n'a pas, au moins autant que je sache, dit beaucoup sur les enfants à naître, l'avortement, et beaucoup de gens ont remarqué cela. Je pense qu'il serait très utile que le pape François aborde plus directement le mal de l'avortement et encourage ceux qui sont impliqués dans le mouvement pro-vie. C'est une chose de tendre la main et d' embrasser les petits enfants et les bébés comme il l'a fait à maintes reprises. Il me semble que ce serait aussi merveilleux que d'une manière spirituelle il tende la main et et embrasse les enfants à naître.

Q: Quelle est selon vous la plus grande force du pape François en tant que chef de l'Église catholique du monde entier?

R: C'est un évangélique. En cette ère de nouvelle évangélisation, il nous montre de quoi il s'agit. Il a évangélisé pas seulement avec ses paroles, qui ont été très efficaces, soit dit en passant, mais aussi avec ses actes, ces petits gestes et certaines des choses qu'il a dites et faites. Il veut que l'Eglise aille au-delà de ses propres murs pour accueillire les gens dans l'Eglise, pour les encourager à faire partie de notre famille catholique, mais aussi il veut que les membres de l'Eglise aille vers le monde, dans la communauté, porte la Bonne Nouvelle de Jésus, la compassion et la sollicitude, l'amour du Christ pour le monde. Nous avons tant parlé de la nouvelle évangélisation dans les 20 ou 30 dernières années, le pape François nous montre d'une manière très concrète ce que cela signifie vraiment.

Q: Que caractériseriez-vous comme la contribution la plus significative qu'il a apportée jusqu'ici à la foi, dans ces six derniers mois?

R: Certes, au niveau de la culture populaire, il a vraiment fait irruption sur la scène comme une personnalité très attachante et sympathique, et positive. Presque tout le monde aime le Pape François et c'est une bonne chose pour l'Église. Cela attire les gens plus près du Christ et de l'Église à travers se personne. En ce sens, il est vraiment un instrument d'évangélisation et de salut. Mais encore une fois, je pense que sa contribution la plus positive a été de nous défier d'être plus directs et plus engagés dans le travail de l'Eglise et dans l'évangélisation des personnes. Il a défié chacun de nous. Il a défié les dirigeants du monde, il a défié les membres de la hiérarchie du Vatican, il a défié les évêques, les prêtres et les religieux, et les fidèles laïcs. Son défi a été très clair et direct, et il est difficile de l'ignorer.

Q: Que voyez-vous comme les plus grands défis auxquels il est confronté dans son pontificat?

R: C'est très différent d'être l'archevêque de Buenos Aires et le Pontife Romain, d'être le Vicaire du Christ, Pasteur de l'Église universelle. Je pense qu'il a dû s'adapter à cela, aux attentes placées en lui. Je crois qu'il a parlé et écrit à ce sujet, combien il est difficile pour lui de servir dans son rôle en tant que pape, parce qu'il veut continuer à être présent et accessible et veut être en contact avec les gens. C'est très difficile à faire depuis le Siège de Pierre, en tant que pape. Je pense que cela a été un défi pour lui de s'adapter à ce nouveau rôle, en conservant sa propre personnalité et ses propres préférences. Parfois, il faut laisser la place à ces choses. Certes, tout ce qu'il a fait au cours des derniers jours, répondant à la crise en Syrie, c'est quelque chose qu'il n'aurait pas eu l'occasion de faire avec autant d'impact s'il était encore en Argentine. Mais il a maintenant la scène mondiale et les gens pour le regarder et l'écouter.

Q: Que pensez-vous de la façon dont le pape traite la réforme de la Curie romaine et de la Banque du Vatican, ce qui avait été demandé par les membres du Collège des cardinaux?

R: Apparemment, c'est une chose sur laquelle le Collège des cardinaux avait été très clair lors de l'élection et du discernement d'un nouveau pape. Je pense qu'il y a une attente dans le monde entier, qu'il y aura des réformes importantes dans la Curie, dans la bureaucratie vaticane. Je dois dire que jusqu'à présent, il a avancé assez lentement. Fondamentalement, ce qu'il a fait jusqu'à présent, c'est de nommer trois comités, mais c'est très tôt dans son pontificat, et jusqu'à présent, tout ce qui s'est passé, c'est qu'il a nommé trois comités. Souvent, c'est ce que nous faisons dans l'Église - nous nommons les comités chargés d'étudier les choses et d'essayer de changer les choses. Ainsi, il est trop tôt pour dire à quel point les changements seront spectaculaires, et si il est vraiment en mesure d'apporter une réforme substantielle de l'administration centrale de l'Eglise que beaucoup de gens appellent et attendent.

Q: Sur le chemin du retour à Rome après les JMJ au Brésil, le pape François, répondant aux questions des journalistes à bord de l'avion, a semblé étonner beaucoup gens quand il a déclaré: "Qui suis-je pour juger une personne gay de bonne volonté qui cherche le Seigneur?". Comment interprétez-vous les propos du souverain pontife, et représentent-ils un changement dans la philosophie de l'Église, sur l'homosexualité dans l'Eglise?

R: Cette question maintenant qui est célèbre, ou tristement célèbre en fonction de votre point de vue, est probablement l'une des phrases les plus mal citées dans l'histoire récente de l'Eglise. Nous l'avons vue dans toutes sortes de contextes, "Qui suis-je pour juger?" De toute évidence, le pape n'a pas changé, ou eu l'intention de changer l'Église au sujet de l'orientation ou de l'activité homosexuelle. Le Saint-Père se réfère au Catéchisme de l'Église, qui dit de ne pas juger les gens pour leur orientation. C'est quelque chose que j'ai dit et répété ici, à Rhode Island. Les paroles du Saint-Père sont très attirantes quand il dit ces simples mots: "Qui suis-je pour juger?" Cela a été beaucoup utilisé, et aussi abusé par ceux qui veulent faire avancer leurs propres programmes, mais il est clair que le Saint-Père n'a pas l'intention de modifier l'enseignement de l'Eglise. Je pense que quiconque l'étudie sérieusement sait ce qu'il entendait par là, mais il a causé chez beaucoup de gens, y compris des évêques et des cardinaux, une certaine quantité d'angoisse en essayant d'expliquer ce que le Saint-Père entend par ses commentaires à vif.

Q: Quel est le problème le plus important auquel fait face le pape François et l'Église à ce moment de l'histoire?

À long terme, la tâche la plus importante qu'il aura est de poursuivre le processus d'évangélisation. Il a hérité de l'Année de la foi que le pape Benoît a instituée, et il a bâti là-dessus. Mais maintenant trois papes, Jean-Paul, Benoît et François ont tous parlé de la nécessité pour l'Eglise d'évangéliser, d'aller au-delà de nos murs, d'être proactifs, d'être présents dans la communauté, d'être fiers de notre foi, de vivre notre foi complètement et d'accueillir les gens dans notre communauté ecclésiale. À long terme, cela va être son plus grand défi, parce que c'est un défi qui oscille à travers les générations de personnes. Il y a d'autres questions très spécifiques qu'il aura à traiter - la réforme de la bureaucratie vaticane, et répondre de manière très proactive à la crise des abus sexuels, encourager les vocations au sacerdoce et à la vie religieuse à travers le monde, en essayant de rétablir l'image de l'Église là où elle a été ternie de quelque façon. Ce sont toutes des tâches très spécifiques, qu'il aura à mener.

Q: Quelles leçons voudriez-vous particulièrement que les prêtres de votre diocèse tirent du pape François?

R: Ce sentiment d'évangélisation, d'être vraiment authentique pour vivre notre vocation. C'est quelque chose que le pape François a encouragé dans la vie chrétienne - ce sentiment d'intégrité pour les évêques et les prêtres et les fidèles laïcs, d'être fidèles à qui et à ce que nous sommes. Et ce sentiment de zèle, que ce n'est pas juste un jeu que nous jouons, que nous sommes vraiment appelés à être des disciples du Christ et des apôtres du Seigneur Jésus, et que nous sommes vraiment enflammésavec le Christ dans ce désir de grandir dans la sainteté personnelle.