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Mort de Domenico Bartolucci

J'apprends (avec tristesse) la nouvelle par Yves Daoudal. Plusieurs articles lui ont été consacrés dans mon site. Hommage (11/11/2013)

>>> A lire ici l'hommage d'Yves Daoudal: yvesdaoudal.hautetfort.com/archive/2013/11/11/hommage-a-un-resistant..

Marie-Christine m'envoie à l'instant la notification de ses obsèques, sur le site du Vatican:

Mercredi 13 Novembre 2013, à 15h30, à l'autel de la Chaire de la basilique Saint-Pierre, auront lieu les funérailles du Cardinal Domenico Bartolucci, de la diaconie des SS. Noms de Jésus et Marie, Via Lata (il était donc cardinal diacre), ancien maître de la Chapelle Musicale Pontificale "Sixtine".

La liturgie des funérailles sera célébrée par M. le cardinal Angelo Sodano, doyen du Collège des cardinaux, avec leurs Eminences les cardinaux et leurs Ecellences les archevêques et évêques.

A la fin de la messe, le Saint-Père François présidera le rite de l'"Ultima Commendatio" et de la "Valedictio" .

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Domenico Bartolucci, né en 1917 à Borgo San Lorenzo (Florence), considéré comme l'un des interprètes les plus autorisés de Giovanni Pierluigi da Palestrina, avait été nommé par Pie XII directeur perpétuel de la Chapelle Musicale Pontificale "Sixtine". En 1997, cependant, il avait été remplacé à la tête de la Sixtine - contrevenant ainsi à sa nommination papale «à vie» - par Mgr Giuseppe Liberto, suscitant la polémique dans le milieu de la musique liturgique: en bref il s'agissait d'opter pour une innovation de style qui conviendrait mieux aux célébration de masse chères à Jean Paul II, qu'était chargé de diriger Mgr Piero Marini, maître de célébrations liturgiques pontificales, qui, selon nombre de personnes, fut le responsable der l'éviction de Mgr Bartolucci.
Benoît XVI l'avait créé cardinal à 93 ans, lors du Consistoire du 20 novembre 2010.

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Le 8 mai dernier, à l'occasion du 96e anniversaire du cardinal musicien, et du bicentenaire de la naissance de Verdi, un "concert extraordinaire" avait été donné dans la Salle Paul VI.
Le concert, retransmis par la RAI, offrait l'exécution en première mondiale du Magnificat et du Requiem composés par le cardinal Bartolucci précisément pour l'occasion.
C'est la denière fois que nous avons eu des nouvelles du musicien de Benoît XVI.

En hommage, je reproduis (à nouveau!!) in extenso, dans ma traduction, la longue interviewe biographique publiée dans le numéro de novembre 2010 de la revue (disparue depuis) 30 Giorni, à l'occasion de sa nommination comme cardinal.

     

La pourpre et le choeur

"Je crois que ma nomination est un rappel de ce Pape, amoureux de la beauté, à ne pas laisser perdre définitivement tant de richesse musicale."
Entretien avec le nouveau cardinal Domenico Bartolucci
Paolo Mattei
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Lors du consistoire du 20 Novembre, Benoît XVI a créé cardinal Mgr Domenico Bartolucci.
Né le 7 mai 1917 à Borgo San Lorenzo, près de Florence, Bartolucci a été pendant plus de quarante ans, de 1956 à 1997, "Maître perpétuel" de la Chapelle Musicale Pontificale "Sixtine". Succédant à ce poste à Mgr Lorenzo Perosi, le nouveau cardinal, durant le pontificat de Jean XXIII, a réorganisé la Chapelle musicale du pape, dont les origines remontent à la Schola Cantorum romaine de l'époque de saint Grégoire le Grand.
Bartolucci, l'un des interprètes les plus autorisés de Giovanni Pierluigi da Palestrina - qui fut lui-même chantre de la Chapelle Sixtine - est membre de l'Académie de Sainte Cécile et compositeur prolifique de musique sacrée. Nous l'avons rencontré à Rome, où il vit.


Un jeune prodige
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- Vous attendiez-vous à cette nomination, éminence?
- Domenico Bartolucci: Je n'y aurais jamais pensé. Quand je l'ai entendu du cardinal Bertone, j'ai ressenti une forte secousse intérieure. Je sais que le pape a de l'estime pour moi, mais je crois que ma nomination est un rappel de la valeur de la musique sacrée dans la liturgie.

- La musique: le fil conducteur de toute votre vie ...
- Je l'ai aimée dès l'enfance. Mon père, un ouvrier, était un chanteur passionné, il m'emmenait toujours avec lui quand il allait chanter dans la chorale de la Compania dei Neri, un groupe laïc de Borgo San Lorenzo.

- Et les études?
- Solfège et chant, dès l'école primaire. Puis, vers 10 ans, au séminaire à Florence, j'ai rencontré le grand Francesco Bagnoli, Maître de Chapelle de Santa Maria del Fiore.

- Au séminaire, vous avez eu des difficultés avec les autorités ...
- Le règlement était dur. Je ne pouvais pas jouer du piano plus d'une demi-heure par jour, et pas tous les jours. Puis en 29, je me suis trouvé en face d'un harmonium lors de la fête de l'Immaculée Conception, à Arcetri, et , manque de chance, le curé de cette église était aussi mon professeur de latin et de grec au séminaire: s'il joue aussi bien - a-t-il pensé - , cela signifie qu'il s'implique trop dans l'exploration de la musique, et trop peu dans les langues anciennes ... Il a obtenu je sois interdit d'étude de la musique pour l'année et qu'on m'empêche de jouer.

- Une tragédie ...
- J'étais un type têtu, et j'ai appris à m'organiser. J'ai commencé à "jouer en silence."

- C'est-à-dire?
- Je me suis construit un clavier en carton, avec des touches dessinées dessus. Je "jouais" en le cachant sous le bureau. Je m'exerçais de cette façon.

- Et vous composiez?
- De temps en remps, je réussissais à vérifier sur un vrai piano ce que j'avais créé dans ma tête en "jouant" sur un faux clavier.

- Qu'écriviez-vous?
- Des louanges à la Sainte-Vierge, des messes à plusieurs voix. Les supérieurs ne voulaient rien savoir. Ils m'accusaient d'être présomptueux. J'ai été tenté de quitter le séminaire.

- A ce point...
- C'est mon confesseur, qui m'a convaincu de ne pas abandonner.

- J'imagine que les choses ont commencé ensuite à aller dans le bon sens ...
- Après un peu de temps tout s'est arrangé. A quatorze ans, j'ai commencé mon service comme organiste à Santa Maria del Fiore. Et j'ai commencé à composer avec sérénité motets, madrigaux, chants, hymnes, oratorios ... Un des plus beaux motets, Super flumina Babylonis, je l'ai écrit à dix-sept ans.


Débuts à Rome
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- En quelle année êtes-vous venu à Rome?
- En 1942. Pendant ce temps, en 34, j'ai été ordonné prêtre et j'ai continué à étudier avec Bagnoli, et aussi avec le Maestro Vito Frazzi, professeur au Conservatoire de Florence. Là, en 39, j'ai obtenu mon diplôme de composition.

- Et à Rome, que faisiez-vous?
- Je logeais au Collège Capranica et continuais à étudier à l'Institut pontifical de musique sacrée et à l'Académie de Sainte Cécile. Je faisais la navette entre Florence et Rome, parce qu'à l'époque, en même temps, je dirigeais la chapelle de Santa Maria del Fiore.

- A cette époque, vous étiez également curé de paroisse ...
- En 45, à Montefloscoli, où j'ai été envoyé par l'archevêque Dalla Costa. Je me souviens que j'ai souvent composé ma musique dans le train. Toujours en 45, j'ai été nommé vice-maître de la Chapelle Musicale di Saint Jean de Latran.
L'année «décisive» fut 47.

- Pourquoi?
- J'ai assumé la direction de la chapelle "Liberiana" de Sainte Marie Majeure.

- Rôle qui fut déjà celui de Pierluigi da Palestrina ...
- Eh oui. J'ai été impressionné par la façon de chanter «romaine» et je l'ai écrit à mon professeur. Pour la Basilique j'ai composé beaucoup de musique liturgique, selon l'ancien missel. Antiennes, offertoires, messes, motets, ... Ils ont été exécutés régulièrement jusqu'à la réforme post-conciliaire.

- Une autre année marquante a été 56, Eminence ...
- Eh bien, oui, évidemment, quand, après la mort de Lorenzo Perosi, je suis devenu directeur perpértuel du Chœur de la Chapelle Sixtine, dont j'avais été directeur adjoint pendant quatre ans. Je recueillais l'héritage de l'"école romaine", qui, depuis l'époque de Pierluigi da Palestrina, conservait la tradition du chant grégorien et la polyphonie.

- Alors commença une longue et féconde période ...
- Je continuais en même temps la charge de Maestro de la Libériana, et donc j'étais occupé sur deux fronts. Comme directeur de la chapelle Sixtine, on me commandait constamment de nouvelles musiques pour les liturgies papales.


Le musicien de deux Papes
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- Au début, vous avez été «au service» de Pie XII et Jean XXIII.
- Mgr Capovilla (ndt: secrétaire particulier de Jean XXIII) me suggérait les désirs de Papa Roncalli, et je composais des messes, des motets et des offertoires pour les liturgies qu'il présidait. J'écrivais tout le temps, et aussi pour des célébrations spéciales, je me souviens du "Tu es Petrus" pour le couronnement du pape Jean, de l' "Attende Domine", quand, en 1959, le pape lui-même annonça la convocation du Concile, de la "Missa pro defunctis" pour les funérailles tant de Pie XII que de Jean XXIII. Mais j'ai surtout exécuté les très fameuses messes de Pierluigi da Palestrina.

- Dans la plus pure tradition romaine.
- Bien sûr, a cappella, sans accompagnement de l'orgue.

- Mais le Pape Jean aimait cet accompagnement.
- C'est vrai. Une fois, en 60, il l'a réclamé explicitement pour une célébration des Vêpres à Saint-Pierre. Avec le choeur, nous nous sommes installés sous l'orgue. Mais à la dernière minute, nous avons constaté que la clé du meuble dans lequel l'instrument était enfermé avait disparu ...

- Et comment cela s'est-il terminé?
- Que nous avons chanté sans orgue, comme toujours. Puis le Cardinal Tardini nous a révélé le pot-aux-roses.

- C'est-à-dire?
- Affichant un déplaisir simulé, il nous a dit que la clé était restée par «négligence» dans sa poche.

- La tradition de l'école romaine fut sauve ...
- Oui. Mais Jean XXIII lui aussi aimait de cette tradition.

- Un pape auquel vous êtes très attaché.
- Il a été le restaurateur de la chapelle Sixtine.

- Pourquoi?
- Lorsque j'ai été nommé directeur, la chapelle était très désorganisée, le nombre de chanteurs insuffisant, l'éducation musicale des Pueri Cantores (ndt: petits chanteurs) inadaptée. Il y avait encore des falsettistes ("voix de fausset"), même si depuis longtemps, le Saint-Siège voulait qu'ils soient éliminés. Je présentai un plan de restructuration. Jean XXIII l'accepta et me permit de le mettre en œuvre.

- Pendant les années de votre direction, la chapelle a également eu une intense activité concertiste.
- Nous avons voyagé partout dans le monde. En 96 nous étions en Turquie. Nous avons chanté l'Ave Maria à Istanbul, en latin, bien sûr, et les gens pleuraient d'émotion. Et je ne crois pas qu'ils ont pleuré parce qu'ils comprenaient la langue ...

- Que voulez-vous dire?
- Qu'après le Concile Vatican II, le latin a été mis de côté, et ce fut une erreur fatale. Avec la promulgation du Missel de 1970, les textes millénaires du "Proprium" [l'ensemble les parties de la messe, qui varient selon l'année liturgique ou les commémorations spéciales, ndlr] ont été éliminés, et l'espace pour les chants de l'"Ordinarium" [l'ensemble invariable des parties de la messe, ndlr] très réduit, pour permettre l'introduction des langues vernaculaires.


Les déceptions de l'après-Concile
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- On connaît, Eminence, votre aversion pour ces changements.
- Il me semble évident que, depuis lors, la musique sacrée et les scholae cantorum ont été définitivement mises à l'écart de la liturgie, en dépit des recommandations de la "constitutio de Sacra Liturgia" de 63 et du motu proprio "Sacram Liturgiam" de 64, dans lequel le Grégorien est qualifié de "chant de la liturgie romaine".

- On souhaitait la "participation active" de l'assemblée.
- Qui depuis lors n'a jamais existé.

- Que voulez-vous dire?
- Avant ces "aggiornamenti", le peuple chantait à pleine voix pendant les vêpres, le Chemin de Croix, les messes solennelles, les processions. Il chantait en latin, la langue universelle de l'Eglise. Durant les liturgie des défunts, tous entonnaient le Libera me, Domine , In Paradisum , le De Profundis . Tous répondaien au Te Deum , au Veni Creator , au Credo . Aujourd'hui, les chansonnettes se sont multipliées. Il y en a tellement que très peu de gens les connaissent, et que presque personne ne les chante. Et puis, il convient de corriger ma réputation d'être contre la participation du peuple dans les chants.

- Comment cela?
- En rappelant, par exemple, que déjà avant le Concile, je me suis occupé d'un répertoire de cantiques en italien destinés aux paroisses: il s'intitulait "Canti del popolo per la santa messa" (Chants du peuple pour la messe). Bien sûr, il a disparu de la circulation.
- Quel genre de vie a mené la chapelle Sixtine après le Concile?
- Nous avons été graduellement réduits, et marginalisés. Nous sommes devenus un corps étranger dans les célébrations. Durant le pontificat de Jean Paul II, la chapelle a été de moins en moins impliquée dans les grandes liturgies papales. La beauté vivante de la polyphonie de Palestrina, et le chant grégorien ont été progressivement transformés en pièces de musée.

- Puis vint 1997.
- J'ai été démis de mes fonctions. Malgré le «perpétuel» dans le titre. Ma déception pour le déclassement de la Chapelle et pour d'autres choses qui se sont produites au cours des cérémonies papales, est bien connu. Malgré tout, ce fut un coup inattendu.


Enfin Benoît XVI arriva
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- Qu'avez-vous fait ensuite?
- J'ai continué à travailler, à diriger mes propres compositions et celles des auteurs de l'école romaine.

- Il y a même une fondation qui porte votre nom.
- Ce sont quelques amis et des admirateurs qui l'ont créée en 2003, pour diffuser ma musique. Cela m'a incité à me consacrer calmement à l'examen de mes partitions.

- Puis en 2006, Benoît XVI vous a appelé à diriger un concert dans la chapelle Sixtine.
- Le 24 Juin de cette année, avec le Choeur polyphonique de la Fondation, j'ai dirigé des morceaux de moi et de Pierluigi da Palestrina. Un événement très beau.

- Et maintenant, la pourpre cardinalice ...
- Comme je l'ai dit, je pense que ma nomination est un rappel de ce Pape amoureux de la beauté, à ne pas laisser perdre définitivement tant de richesse musicale. Qui est le cœur battant de la liturgie.

- Vous avez un désir particulier au cœur?
- J'aimerais voir sur scène mon Brunellesco .

- De quoi s'agit-il?
- C'est un opéra en trois actes, qui se passe à Florence. Il raconte l'histoire de l'achèvement de la cathédrale de Santa Maria del Fiore, avec la construction de la coupole par Filippo Brunelleschi, à l'époque du Pape Eugène IV.