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Eglise ouverte, églises fermées

Dans le §47 d'Evangelii Gaudium, François fait de l'ouverture des églises (minuscule) une métaphore de l'Eglise (majuscule) ouverte qu'il appelle de ses voeux. Voici à ce sujet ce que disait Joseph Ratzinger. Extrait du livre "La gloire de Dieu aujourd'hui" (2/12/2013)

     

Evengelii Gaudium, §47

L’Église est appelée à être toujours la maison ouverte du Père. Un des signes concrets de cette ouverture est d’avoir partout des églises avec les portes ouvertes. De sorte que, si quelqu’un veut suivre une motion de l’Esprit et s’approcher pour chercher Dieu, il ne rencontre pas la froideur d’une porte close.

Mais il y a d’autres portes qui ne doivent pas non plus se fermer. Tous peuvent participer de quelque manière à la vie ecclésiale, tous peuvent faire partie de la communauté, et même les portes des sacrements ne devraient pas se fermer pour n’importe quelle raison. Ceci vaut surtout pour ce sacrement qui est “la porte”, le Baptême. L’Eucharistie, même si elle constitue la plénitude de la vie sacramentelle, n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles.

Ces convictions ont aussi des conséquences pastorales que nous sommes appelés à considérer avec prudence et audace. Nous nous comportons fréquemment comme des contrôleurs de la grâce et non comme des facilitateurs. Mais l’Église n’est pas une douane, elle est la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile.

     

Églises ouvertes et églises fermées

(La gloire de Dieu aujourd'hui, (éd. Parole et Silence) Joseph Ratzinger, page 202
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Il y a bien longtemps, on pouvait trouver dans de nombreuses églises des régions préalpines une affiche dont le texte devrait aujourd'hui encore, nous inciter à réfléchir : « Aidez-nous à garder nos églises ouvertes pour qu'elles restent des lieux de prière silencieuse. »

Cette affiche montrait l'immense portail de la vieille cathédrale de Frauenchiemsee avec ses deux têtes de lion sur le chapiteau, montant pour ainsi dire la garde à l'entrée de ce lieu sacré. Sur l'image, on voit un portail à moitié ouvert : les lions montent la garde mais n'empêchent pas tous ceux dont l'esprit est en harmonie avec celui de l'église de pénétrer en ce lieu. L'église est donc en même temps ouverte et protégée. Le lion, qui la garde et lui rend sa liberté simultanément, correspond à cette crainte respectueuse face au sacré qui est plus efficace qu'un verrou car elle protège de 1'intérieur.

Nos églises ont bénéficié de cette protection pendant des siècles et ont pu rester ouvertes. Personne n'avait besoin de se faire de souci pour les choses précieuses qu'elles contenaient et qui s'offraient au regard de tous. Dans le cadre de fêtes de rue, on essaie de nos jours de rendre la culture accessible à tous et notamment à tous ceux qui n'ont pas les moyens d'acheter des places de théâtre ou de concert. Jusqu'à présent, nos églises ouvertes étaient la plus belle forme de culture publique et ouverte à tous. A la fin du XIXe siècle, l'un des pionniers de l'art moderne a voulu accrocher ses tableaux non plus dans un musée mais dans une gare. Il avait oublié que l'Occident n'avait pas besoin de ce type d'art populaire dans la mesure où notre civilisation disposait déjà depuis longtemps dans ses églises, d'une manière beaucoup plus subtile, d'une sorte de musée public de la beauté où l'art n'était pas le privilège de quelques-uns et l'expression du passé mais un présent bien vivant, le centre commun de la vie destiné à tous et leur apportant la lumière dont ils avaient besoin dans leur vie quotidienne. Aujourd'hui, nous risquons d'assister à la disparition de tout cela. Disparition qui correspond à un effondrement psychique et en dernière instance, à la chute de la civilisation dans la barbarie. De plus en plus souvent, le promeneur tombe sur des églises fermées : la représentation du lion ne suffit plus, le verrou l'a remplacée. Le vol dés objets d'art dans nos églises est devenu de plus en plus systématique ces dernières années. Il n'est pas rare qu'il soit le fait de personnes qui proposent sur catalogues les objets recherchés et s'occupent de les fournir aux clients. Ce qui était depuis toujours un bien collectif devient une propriété privée, ce qui était sacré sert de décor à une autoglorification et le présent s'amuse avec le passé.

L'église fermée qui est censée protéger tout le bien collectif qui s'y trouve n'est pas une réponse réconfortante. Car elle signifie que nous capitulons devant ce genre d'esprit malfaisant. Elle signifie que l'église arrête d'être ce qu'elle était jadis et que le centre sacré et collectif de la vie où nous nous ouvrons les uns aux autres et où Dieu et le monde des saints s'ouvrent à tous, est voué à la disparition. Elle signifie que l'Église capitule face à la loi de notre époque, face à la marchandisation de toutes les choses où tout n'est plus que marchandise, nous y compris. C'est pourquoi on peut lire sur l'affiche l'appel qui transpose l'image en parole.

Reinhold Schneider a écrit cette phrase à l'époque opprimante de la deuxième guerre mondiale : « Seuls ceux qui prient peuvent encore retenir l'épée qui est au-dessus de nos têtes. » Cette parole prend en l'occurrence une dimension des plus pratiques : seule la présence d'une personne qui prie peut protéger l'église de l'intérieur. Il n'y a qu'elle qui puisse permettre de laisser l'église ouverte. Car le destin de l'église comme édifice symbolise ici celui de l'Église vivante. L'église fermée est l'expression d'une Église qui ne plus être ouverte de l'intérieur car elle n'est plus capable de se mesurer à l'esprit malfaisant de notre époque. Il ne s'agit donc pas seulement d'une préoccupation propre aux chrétiens mais de la possibilité même pour nous tous de vivre ensemble, authentiquement et humainement. Les propos du cardinal Faulhaber selon lequel « la culture de l'âme est l'âme de la culture » prennent ici tout leur sens. Les églises fermées et pillées devraient être le signal d'alarme qui nous ramène à la culture de l'âme avant qu'il ne soit trop tard.