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Il y a sept ans, Ratisbonne (1)

Il y a 7 ans presque jour pour jour, Benoît XVI prononçait le plus important discours de son Pontificat, autour du thème qui en est le fil rouge - le rapport entre foi et raison -, et ce qui allait aussi en devenir la première grande polémique. Et si nous le relisions aujourd'hui par petites étapes? (11/9/2013)

« Ne pas agir selon la raison, ne pas agir avec le Logos, est en contradiction avec la nature de Dieu » a dit Manuel II à son interlocuteur persan, en se fondant sur sa vision chrétienne de Dieu. Dans ce grand Logos, dans cette amplitude de la raison, nous invitons nos interlocuteurs au dialogue des cultures. La retrouver nous-mêmes toujours à nouveau est la grande tâche de l'Université.

La "leçon" de Ratisbonne, prononcée le 12 septembre 2006 dans le grand amphi de l'université où Joseph Ratzinger avait enseigné durant huit années, entre 1969, son départ de Tubingen, et 1977, sa nomination comme archevêque de Munich, est une conférence universitaire de haut vol, destinée à ses pairs, que peu de gens avaient écoutée au moment où elle a été prononcée, et qui serait probablement restée cantonnée dans les publications à caractère scientifique, si la Providence n'en avait décidé autrement.
Qui peut dire avec certitude, 7 ans après, qu'il n'en a pas résulté un grand bien (au moins, celui d'ouvrir les yeux de ceux qui étaient disposés à le faire), malgré les critiques aussi déchaînées que superficielles des médias, qui ont même entraîné des morts? Et malgré la question "raisonnable" de John Allen: «Qui dira non à Benoît?»
C'était à maints égards un discours "prophétique" - comme on peut encore le vérifier ces jours-ci: ses avertisements n'ont pas cessé depuis lors de s'avérer particulièrement pertinents.
Evidemment, quand on le relit, paragraphe après paragraphe, on est stupéfait du décalage entre le discours savant et sa réduction après passage à la moulinette médiatique.

Comme je viens de le dire, c'est donc un discours plutôt complexe. Bien entendu, les plus doués peuvent lire d'une traite, ils l'ont sans doute déjà fait, et ils n'auront pas eu besoin de moi pour le faire. Ils pourront même sourire de mes faibles lumières.
Aux autres, dont je suis, je propose une lecture par petites étapes, s'ils ont la patience de me suivre. Il me semble que cela vaut tous les commentaires.

Je commence cette série par une tentative de résumé, et la petite introduction en forme d'anecdote autobiographique.

Une tentative de résumé

Après une brève introduction narrative (teintée d'humour!), où il se souvient de ses années de professeur à l'université de Ratisbonne, et où déjà apparaît le thème de la recherche de Dieu grâce à la raison, Benoît entame sa conférence par l'évocation d'une lecture récente (Manuel II Paléologue, entretien avec un musulman), qui est le point de départ de sa réflexion: l'échange entre un empereur byzantin du XIVe siècle, Manuel II Paléologue et un perse érudit; c'est là que prend place la fameuse citation "Montre-moi ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu ne trouveras que du mauvais et de l'inhumain...", qui a mis (au sens propre) le feu aux poudres.

Benoît XVI explique alors comment la rencontre entre la philosophie grecque (raison) et la pensée chrétienne (foi) a façonné le christianisme qui s'est développé en Europe, et "reste le fondement de ce que, à juste titre, on appelle l'Europe".

Suit un long développement savant (trapu) sur les trois phases du processus de "Déshellénisation" du christianisme - s'opposant "à la thèse selon laquelle l'héritage grec, purifié de façon critique, appartient à la foi chrétienne" - qui a commencé avec la Réforme, s'est poursuivi avec les Lumières, et continue de nos jours.

La conclusion est que, sans nier "la grandeur du développement moderne de l'esprit et les vastes possibilités que l'époque moderne a ouverte à l'homme", nous devons nous demander comment élargir notre raison pour maîtriser ces possibilités: "nous ne le pouvons que si foi et raison se retrouvent de manière nouvelle... et si nous ouvrons de nouveau à la raison tout son espace".

La leçon s'achève sur une double invitation.

>> L'Occident est mis en garde contre le danger que nous courons aujourd'hui, de reléguer la religion "dans le domaine des sous-cultures", rendant impossible ce dialogue avec "les cultures profondément religieuses... dont nous avons si grand besoin". "Une raison qui reste sourde au divin et repousse la religion dans le domaine des sous-cultures, est inapte au dialogue des cultures".
>> Et après un ultime écho des propos de l'Empereur byzantin à son interlocuteur persan ("ne pas agir selon la raison est en contradiction avec la nature de Dieu"), les musulmans sont à leur tour invités à s'ouvrir à l'ampleur de la raison: "Dans ce grand Logos, dans cette amplitude de la raison, nous invitons nos interlocuteurs au dialogue des cultures".

Les titres que j'ai choisis sont évidemment arbitraires (les suggestions sont bienvenues) et j'avoue que pour certains paragraphes trapus sur la déshénellisation du christianisme, j'ai des scrupules à m'aventurer.
Par rapport au texte officiel publié sur le site du Vatican, j'ai laissé de côté l'important appareil de notes.
Et j'ai inséré des sauts de ligne, pour aérer la mise en page et faciliter la lecture.

I. Souvenirs d'un professeur

C'est pour moi un moment émouvant que de me retrouver encore une fois à l'université et de pouvoir de nouveau donner une conférence.
Mes pensées me ramènent aux années durant lesquelles, après une belle période à l'Institut supérieur de Freising, j'ai commencé mon activité académique comme enseignant à l'université de Bonn.
C'était encore le temps – en 1959 – de l’ancienne université des professeurs ordinaires. Les différentes chaires n'avaient ni assistants ni secrétaires propres, mais, en revanche, il y avait un contact très direct avec les étudiants et surtout aussi entre les professeurs.
Dans les salles des professeurs, on se rencontrait avant et après les cours. Les contacts avec les historiens, les philosophes, les philologues et naturellement entre les deux facultés de théologie étaient très vivants.
Chaque semestre avait lieu ce qu'on appelait le dies academicus, au cours duquel des professeurs de toutes les facultés se présentaient aux étudiants de l'ensemble de l'université. Cela rendait possible une expérience d'Universitas, à laquelle, Monsieur le Recteur magnifique, vous venez précisément de faire allusion.
Malgré toutes les spécialisations, qui nous rendent parfois incapables de communiquer les uns avec les autres, nous faisions l'expérience de former cependant un tout et qu'en tout nous travaillions avec la même raison dans toutes ses dimensions, en ayant le sentiment d'assumer une commune responsabilité du juste usage de la raison ; voilà ce que nous pouvions vivre.
Sans aucun doute, l'Université était aussi très fière de ses deux facultés de théologie. Il était clair qu'elles aussi, en s'interrogeant sur la raison de la foi, accomplissaient un travail qui appartient nécessairement au tout de l'Universitas scientiarum, même si tous pouvaient ne pas partager la foi, dont la corrélation avec la raison commune est le travail des théologiens.
Cette cohésion interne dans l'univers de la raison n'a pas même été troublée quand on entendit, un jour, un de nos collègues déclarer qu'il y avait, dans notre université, une curiosité : deux facultés s'occupaient de quelque chose qui n'existait même pas – de Dieu.
Il s'avérait indiscutable dans l'ensemble de l'Université que, même devant un scepticisme aussi radical, il demeurait nécessaire et raisonnable de s'interroger sur Dieu au moyen de la raison et de le faire en relation avec la tradition de la foi chrétienne.

© Copyright 2006 - Libreria Editrice Vaticana
A suivre...