Il y a sept ans, Ratisbonne (2)
Seconde partie de notre lecture "pas à pas": réflexion du Pape autour d'une lecture récente (12/9/2013)
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- Il y a sept ans, Ratisbonne (1) : Résumé, et l'introduction du Pape.
Tout cela m'est revenu à l'esprit quand, tout récemment, j'ai lu la partie, publiée par le professeur Théodore Khoury (de Münster), du dialogue sur le christianisme et l'islam et sur leur vérité respective, que le savant empereur byzantin Manuel II Paléologue mena avec un érudit perse, sans doute en 1391 durant ses quartiers d’hiver à Ankara.
L'empereur transcrit probablement ce dialogue pendant le siège de Constantinople entre 1394 et 1402. Cela explique que ses propres réflexions sont rendues de manière plus détaillée que celles de son interlocuteur persan.
Le dialogue embrasse tout le domaine de la structure de la foi couvert par la Bible et le Coran ; il s'intéresse en particulier à l'image de Dieu et de l'homme, mais revient nécessairement sans cesse sur le rapport de ce qu'on appelait les « trois Lois » ou les « trois ordres de vie» : Ancien Testament – Nouveau Testament – Coran.
Je ne voudrais pas en faire ici l'objet de cette conférence, mais relever seulement un point – au demeurant marginal dans l'ensemble du dialogue – qui m'a fasciné par rapport au thème ‘foi et raison’, et qui servira de point de départ de mes réflexions sur ce sujet.
Dans le septième entretien (controverse) publié par le professeur Khoury, l'empereur en vient à parler du thème du djihad, de la guerre sainte.
L'empereur savait certainement que, dans la sourate 2,256, on lit : pas de contrainte en matière de foi – c'est probablement l'une des plus anciennes sourates de la période initiale qui, nous dit une partie des spécialistes, remonte au temps où Mahomet lui-même était encore privé de pouvoir et menacé.
Mais, naturellement, l'empereur connaissait aussi les dispositions – d'origine plus tardive – sur la guerre sainte, retenues par le Coran.
Sans entrer dans des détails, comme le traitement différent des « détenteurs d'Écritures » et des « infidèles », il s'adresse à son interlocuteur d'une manière étonnamment abrupte – abrupte au point d’être pour nous inacceptable (ndlr: ce passage a été rajouté dans l'édition définitive du texte, après les polémiques) –, qui nous surprend et pose tout simplement la question centrale du rapport entre religion et violence en général.
Il dit : « Montre moi ce que Mahomet a apporté de nouveau et tu ne trouveras que du mauvais et de l'inhumain comme ceci, qu'il a prescrit de répandre par l'épée la foi qu'il prêchait ».
Après s'être prononcé de manière si peu amène, l'empereur explique minutieusement pourquoi la diffusion de la foi par la violence est contraire à la raison.
Elle est contraire à la nature de Dieu et à la nature de l'âme.
« Dieu ne prend pas plaisir au sang, dit-il, et ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu. La foi est fruit de l'âme, non pas du corps. Celui qui veut conduire quelqu'un vers la foi doit être capable de parler et de penser de façon juste et non pas de recourir à la violence et à la menace... Pour convaincre une âme douée de raison, on n'a pas besoin de son bras, ni d'objets pour frapper, ni d'aucun autre moyen qui menace quelqu'un de mort... ».
L’affirmation décisive de cette argumentation contre la conversion par la force dit : « Ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu ».
L'éditeur du texte, Théodore Khoury, commente à ce sujet: « Pour l'empereur, byzantin nourri de philosophie grecque, cette affirmation est évidente. Pour la doctrine musulmane, au contraire, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n'est liée à aucune de nos catégories, fût-ce celle qui consiste à être raisonnable ».
Khoury cite à ce propos un travail du célèbre islamologue français R. Arnaldez (*), qui note que Ibn Hazm va jusqu'à expliquer que Dieu n'est pas même tenu par sa propre parole et que rien ne l'oblige à nous révéler la vérité. Si tel était son vouloir, l'homme devrait être idolâtre.
(1) Note de moi (cf. wikipedia):
Roger Arnaldez, né à Paris le 13 septembre 1911 et mort le 7 avril 2006, est un islamologue français, éditeur de Philon d'Alexandrie.
Il est élu membre de l’Académie des sciences morales et politiques (dont Benoît est lui aussi membre depuis 1992) en 1986 et préside l’Académie en 1997. Il est également membre associé de l'Académie royale de Belgique et membre correspondant de l'Académie de la langue arabe du Caire.
Il a été cité par le pape Benoît XVI dans son fameux discours qui entraîna la controverse de Ratisbonne.
Roger Arnaldez s'est intéressé à un auteur anglais, Gilbert Keith Chesterton (29 mai 1874 - 14 juin 1936), auquel il a consacré un ouvrage.