La première crèche
Celle de Saint François, à Greccio, que Benoît XVI évoquait dans l'homélie de Noël 2011. Reprise (18/12/2013)
Image ci-dessous: La crèche de Greccio, dans la Basilique supérieure d'Assise, Giotto (vers 1290)
Extrait de l'homélie de Benoît XVI
24/12/2011
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Noël est une épiphanie – la manifestation de Dieu et de sa grande lumière dans un enfant qui est né pour nous. Né dans l’étable de Bethléem, non pas dans les palais des rois.
Quand, en 1223, François d’Assise célébra Noël à Greccio avec un bœuf et un âne et une mangeoire pleine de foin, une nouvelle dimension du mystère de Noël a été rendue visible. François d’Assise a appelé Noël « la fête des fêtes » – plus que toutes les autres solennités – et il l’a célébré avec « une prévenance indicible » (2 Celano, 199 : Fonti Francescane, 787). Avec une profonde dévotion, il embrassait les images du petit enfant et balbutiait des paroles de tendresse à la manière des enfants, nous raconte Thomas de Celano (ibid.). Pour l’Église antique, la fête des fêtes était Pâques : dans la résurrection, le Christ avait ouvert les portes de la mort et il avait ainsi changé radicalement le monde : il avait créé en Dieu même une place pour l’homme. Eh bien, François n’a pas changé, il n’a pas voulu changer cette hiérarchie objective des fêtes, toute la structure de la foi centrée sur le mystère pascal. Toutefois, par lui et par sa façon de croire, quelque chose de nouveau s’est produit : François a découvert avec une profondeur toute nouvelle l’humanité de Jésus. Cet être-homme de la part de Dieu, lui a été rendu évident au maximum au moment où le Fils de Dieu, né de la Vierge Marie, fut enveloppé de langes et fut couché dans une mangeoire. La résurrection suppose l’incarnation. Le Fils de Dieu comme un enfant, comme un vrai fils d’homme – cela toucha profondément le cœur du Saint d’Assise, transformant la foi en amour. « Apparurent la bonté de Dieu (…) et son amour pour les hommes » : cette phrase de saint Paul acquérait ainsi une profondeur toute nouvelle. Dans l’enfant dans l’étable de Bethleem, on peut, pour ainsi dire, toucher Dieu et le caresser. Ainsi, l’année liturgique a reçu un second centre dans une fête qui est, avant tout, une fête du cœur.
Tout ceci n’a rien d’un sentimentalisme. Dans la nouvelle expérience de la réalité de l’humanité de Jésus se révèle justement le grand mystère de la foi. François aimait Jésus, le petit enfant, parce que, dans ce fait d’être enfant, l’humilité de Dieu se rendait évidente. Dieu est devenu pauvre. Son Fils est né dans la pauvreté d’une étable. Dans l’enfant Jésus, Dieu s’est fait dépendant, ayant besoin de l’amour de personnes humaines, en condition de demander leur – notre – amour. Aujourd’hui Noël est devenu une fête commerciale, dont les scintillements éblouissants cachent le mystère de l’humilité de Dieu, et celle-ci nous invite à l’humilité et à la simplicité. Prions le Seigneur de nous aider à traverser du regard les façades étincelantes de ce temps pour trouver derrière elles l’enfant dans l’étable de Bethléem, pour découvrir ainsi la vraie joie et la vraie lumière.
Sur la mangeoire qui était entre le bœuf et l’âne, François faisait célébrer la sainte Eucharistie (cf. 1 Celano, 85 : Fonti, 469). Par la suite, sur cette mangeoire un autel fut construit, afin que là où un temps les animaux avaient mangé le foin, maintenant les hommes puissent recevoir, pour le salut de l’âme et du corps, la chair de l’Agneau immaculé Jésus Christ, comme raconte Celano (cf. 1 Celano, 87 : Fonti, 471). Dans la sainte nuit de Greccio, François comme diacre avait personnellement chanté d’une voix sonore l’Évangile de Noël. Grâce aux splendides cantiques de Noël des Frères, la célébration semblait tout un tressaillement de joie (cf. 1 Celano, 85 et 86 : Fonti, 469 et 470). Justement la rencontre avec l’humilité de Dieu se transforme en joie : sa bonté crée la vraie fête.
Celui qui aujourd’hui veut entrer dans l’église de la Nativité de Jésus à Bethléem découvre que le portail, qui un temps était haut de cinq mètres et demi et à travers lequel les empereurs et les califes entraient dans l’édifice, a été en grande partie muré. Est demeurée seulement une ouverture basse d’un mètre et demi. L’intention était probablement de mieux protéger l’église contre d’éventuels assauts, mais surtout d’éviter qu’on entre à cheval dans la maison de Dieu. Celui qui désire entrer dans le lieu de la naissance de Jésus, doit se baisser. Il me semble qu’en cela se manifeste une vérité plus profonde, par laquelle nous voulons nous laisser toucher en cette sainte Nuit : si nous voulons trouver le Dieu apparu comme un enfant, alors nous devons descendre du cheval de notre raison « libérale ». Nous devons déposer nos fausses certitudes, notre orgueil intellectuel, qui nous empêche de percevoir la proximité de Dieu. Nous devons suivre le chemin intérieur de saint François – le chemin vers cette extrême simplicité extérieure et intérieure qui rend le cœur capable de voir. Nous devons nous baisser, aller spirituellement, pour ainsi dire, à pied, pour pouvoir entrer à travers le portail de la foi et rencontrer le Dieu qui est différent de nos préjugés et de nos opinions : le Dieu qui se cache dans l’humilité d’un enfant qui vient de naître. Célébrons ainsi la liturgie de cette sainte Nuit et renonçons à nous fixer sur ce qui est matériel, mesurable et touchable. Laissons-nous simplifier par ce Dieu qui se manifeste au cœur devenu simple. Et prions en ce moment avant tout pour que tous ceux qui doivent vivre Noël dans la pauvreté, dans la souffrance, dans la condition de migrants, afin que leur apparaisse un rayon de la bonté de Dieu ; afin que les touche, ainsi que nous, cette bonté que Dieu, par la naissance de son Fils dans l’étable, a voulu porter dans le monde.
Amen.
Histoire de la crèche de Greccio
La première crèche
Thomas da Celano
La Bussola (ma traduction)
24/12/2011
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Entre 1228 et le début de 1229, le bienheureux Frère Thomas de Celano (environ 1200-1265) écrit la première biographie de saint François d'Assise (1182-1226), appelé Vita Prima.
Dans le chapitre XXX, il raconte la Crèche de Greccio, préparée par Il Poverello, la première dans l'histoire. Avec les mots que voici.
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Sa plus grande aspiration, son désir dominant, sa volonté la plus ferme, étaient d'observer parfaitement et toujours le saint Evangile, et d'imiter pleinement et fidèlement, en s'engageant totalement, avec tous les efforts, avec tout l'enthousiasme de l'âme et du cœur, l'enseignement et l'exemple de notre Seigneur Jésus-Christ.
Il méditait continuellement les paroles du Seigneur, et il ne perdait jamais de vue ses œuvres. Mais surtout l'humilité de l'Incarnation et la charité de la Passion s'étaient si profondément gravées dans sa mémoire qu'il pouvait à peine penser à autre chose.
À cet égard, est digne de mémoire éternelle et de pieuse célébration ce que le Saint réalisa trois ans avant sa mort glorieuse, à Greccio, le jour de Noël.
Il y avait dans cette terre un homme appelé Jean, de bonne réputation et de vie encore meilleure, et il était très cher au bienheureux François, car, bien que noble et honoré dans sa région, il estimait plus la noblesse de l'esprit que celle de la chair.
Environ deux semaines avant la fête de la Nativité, le Bienheureux François, comme il le faisait souvent, l'appela auprès de lui et lui dit: «Si tu veux que nous célébrions la naissance de Jésus à Greccio, va devant, et prépare ce que je te dis: je voudrais représenter l'enfant né à Bethléem, et en quelque sorte voir avec les yeux du corps les difficultés où il s'est trouvé par le manque des choses nécessaires à un nouveau-né, comment il était couché dans une crèche et comme il gisait sur la paille entre le bœuf et l'âne».
A peine l'eut-il entendu, le fidèle et pieux ami s'en alla avec diligence à l'endroit désigné pour préparer tout ce qu'il fallait, selon le dessein exposé par le Saint.
Puis vint le jour de la joie, le temps de l'allégresse! Pour l'occasion, on avait appelé de nombreux frères de divers endroits; des hommes et des femmes arrivaient festoyants des maisons de la région, apportant chacun selon ses moyens, des bougies et des torches pour illuminer cette nuit, où brillait dans le ciel l'Etoile qui illumine tous les jours et les temps. François arriva enfin: il voit que tout est préparé en conformité avec son souhait, et il est rayonnant de joie. Là, on arrange la crèche, on apporte le foin et on amène le bœuf et l'âne. Dans cette scène émouvante, on voit briller la simplicité évangélique, faire l'éloge de la pauvreté, recommander l'humilité. Greccio est devenu comme un nouveau Bethléem.
Cette nuit est claire comme en plein jour et douce aux hommes et aux bêtes! Les gens affluent et se réjouissent d'une joie jamais goûtée avant, en face du mystère nouveau. La forêt résonne de voix, et les rochers imposants font écho aux refrains joyeux. Les frères chantent les louanges à l'Éternel, et nuit entière semble un tressaillement de joie.
Le Saint est là, en extase devant la crèche , l'esprit vibrant de componction et d'ineffable joie. Alors le prêtre célébre solennellement l'Eucharistie sur la crèche, et il savoure une consolation jamais goûtée auparavant.
François s'est revêtu des parements diaconaux, parce qu'il est diacre, et il chante d'une voix sonore le saint Evangile: cette voix forte et douce, limpide et sonore, capture tous les désirs du ciel. Ensuite, il parle aux gens et avec des mots très doux, il rappelle le Roi nouveau-né pauvre et la petite ville de Bethléem. Souvent, quand il voulait désigner Jésus-Christ, rempli de la ferveur d'un amour céleste, il l'appelait «l'Enfant de Bethléem», et ce nom de «Bethléem», il le prononçait remplissant sa bouche d'amour tendre et même plus, en produisant un bruit comme le bêlement d'une brebis. Et chaque fois qu'il disait «l'Enfant de Bethléem» ou «Jésus», il passait sa langue sur ses lèvres, comme pour essayer de garder toute la douceur de ces mots.
Là se manifestent en abondance les dons du Tout-Puissant, et l'un des présents, un homme bon, a une vision extraordinaire. Il lui semble que l'Enfant Jésus gît sans vie dans la crèche, et François s'approche de lui et le réveille de cet espèce de profond sommeil. La vision prodigieuse ne s'écartait pas des faits, parce que, par les mérites du saint, l'enfant Jésus était ressuscité dans le cœur de beaucoup, qui l'avait oublié, et le souvenir de lui restait profondément gravé dans leur mémoire. Après la veillée solennelle, chacun rentra chez soi plein de joie inexprimable.
Le foin qui avait été placé dans la crèche fut conservé, car grâce à lui, le Seigneur dans sa miséricorde, soigna des juments et d'autres animaux. Cela s'est réellement passé dans cette région, des juments et d'autres animaux souffrant de diverses maladies, mangeant de ce foin, en ont été libérés. Et même, plusieurs femmes, au cours d'une grossesse difficile et douloureuse appliquèrent un peu de ce foin, et accouchèrent heureusement. De la même manière de nombreux hommes et femmes retrouvèrent la santé.
Aujourd'hui, ce lieu a été consacré au Seigneur , et au-dessus de la mangeoire un autel a été construit, et une église consacrée en l'honneur de saint François, de sorte que là où une fois les animaux avaient mangé du foin, maintenant les hommes peuvent manger, comme nourriture de l'âme et sanctification du corps, la chair de l'agneau immaculé, Jésus-Christ, notre Seigneur, qui avec un amour infini s'est donné pour nous. Qu'avec le Père et le Saint-Esprit il vive et règne éternellement, glorifié dans les siècles des siècle. Amen.