Racines chrétiennes de l'Europe
(et "principes non négociables"). Deux discours de Benoît XVI - comme exemples. (17/10/2013)
L'article du Washington Post que j'ai traduit ce matin (Des catholiques américains inquiets) a remis sous mes yeux un discours plusieurs fois cité dans ces pages, celui que Benoît XVI a prononcé le 30 mars 2006 devant des représentants du PPE (www.vatican.va).
Il y parlait en particulier (je sais que cela en dérange plus d'un en ce moment, mais tant pis!!!) des points non négociables. Il ne s'agit pas d'un fantasme, encore moins d'un "point de détail", mais d'un sujet récurrent de ses discours, parfois avec des mots différents, mais proches par le sens.
En ce qui concerne l'Eglise catholique, l'objet principal de ses interventions dans le débat public porte sur la protection et la promotion de la dignité de la personne et elle accorde donc volontairement une attention particulière à certains principes qui ne sont pas négociables. Parmi ceux-ci, les principes suivants apparaissent aujourd'hui de manière claire:
- la protection de la vie à toutes ses étapes, du premier moment de sa conception jusqu'à sa mort naturelle;
- la reconnaissance et la promotion de la structure naturelle de la famille - comme union entre un homme et une femme fondée sur le mariage - et sa défense contre des tentatives de la rendre juridiquement équivalente à des formes d'union radicalement différentes qui, en réalité, lui portent préjudice et contribuent à sa déstabilisation, en obscurcissant son caractère spécifique et son rôle social irremplaçable;
- la protection du droit des parents d'éduquer leurs enfants.
Ces principes ne sont pas des vérités de foi, même si ils reçoivent un éclairage et une confirmation supplémentaire de la foi; ils sont inscrits dans la nature humaine elle-même et ils sont donc communs à toute l'humanité. L'action de l'Eglise en vue de leur promotion n'est donc pas à caractère confessionnel, mais elle vise toutes les personnes, sans distinction religieuse. Inversement, une telle action est d'autant plus nécessaire que ces principes sont niés ou mal compris, parce cela constitue une offense contre la vérité de la personne humaine, une blessure grave infligée à la justice elle-même.
Mais le Pape y revenait aussi sur le thème (qui ne peut aujourd'hui que nous inspirer une grande nostalgie) des racines chrétiennes de l'Europe:
Actuellement, l'Europe doit faire face à des questions complexes de grande importance, telles que la croissance et le développement de l'intégration européenne, la définition toujours plus précise de politiques communes au sein de l'Union et le débat sur son modèle social.
Pour atteindre ces objectifs, il sera important de s'inspirer, avec une fidélité créative, de l'héritage chrétien qui a apporté une contribution tout à fait particulière à la formation de l'unité de ce continent.
En tenant compte de ses racines chrétiennes, l'Europe sera capable de donner une orientation sûre au choix de ses citoyens et de ses peuples, elle renforcera sa conscience d'appartenir à une civilisation commune et elle consolidera l'engagement de tous dans le but de faire face aux défis du présent en vue d'un avenir meilleur.
Par conséquent, j'apprécie la reconnaissance accordée par votre groupe à l'héritage chrétien de l'Europe, qui offre de précieuses orientations éthiques dans la recherche d'un modèle social qui réponde de manière adéquate aux questions posées par une économie déjà mondialisée et par les mutations démographiques, en assurant la croissance et l'emploi, la protection de la famille, l'égalité des chances pour l'éducation des jeunes et la sollicitude pour les plus pauvres.
Par ailleurs, le soutien que vous apportez à l'héritage chrétien peut contribuer de manière significative à tenir en échec une culture aujourd'hui très amplement diffusée en Europe qui relègue dans la sphère privée et subjective la manifestation des convictions religieuses de chacun.
Des politiques élaborées sur ce principe n'ont pas seulement comme conséquence de dénier un rôle public au christianisme; de manière plus générale, elles refusent tout lien avec la tradition religieuse de l'Europe, qui est pourtant très claire, en dépit de ses diversités confessionnelles, en menaçant ainsi la démocratie elle-même, dont la force dépend des valeurs qu'elle défend (cf. Evangelium vitae, n. 70).
Etant donné que cette tradition, précisément au sein de ce que l'on pourrait appeler son unité polyphonique, est porteuse de valeurs qui sont fondamentales pour le bien de la société, l'Union européenne ne peut trouver qu'un enrichissement à la reconnaître.
Ce serait un signe d'immaturité, voire de faiblesse, de choisir de s'y opposer ou de l'ignorer, plutôt que de dialoguer avec elle. Dans ce contexte, il faut reconnaître qu'une certaine intransigeance séculière se révèle ennemie de la tolérance et d'une saine vision séculière de l'Etat et de la société. C'est pourquoi je me réjouis que le traité constitutionnel de l'Union européenne prévoie une relation organisée et permanente avec les communautés religieuses, en reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique. Par dessus tout, j'ai confiance dans le fait que la mise en oeuvre effective et juste de cette relation commencera dès à présent, avec la coopération de tous les mouvements politiques, indépendamment de leurs orientations partisanes.
Il ne faut pas oublier que, lorsque les Eglises et les communautés ecclésiales interviennent dans le débat public, en exprimant des réserves ou en rappelant certains principes, cela ne constitue pas une forme d'intolérance ou une interférence, car ces interventions ne visent qu'à éclairer les consciences, en les rendant capables d'agir de manière libre et responsable, conformément aux exigences véritables de la justice même si cela peut entrer en conflit avec des situations de pouvoir et d'intérêt personnel.
Ce thème faisait également l'objet d'un discours qui m'est tombé à nouveau sous les yeux hier: celui prononcé (en français) le 11 avril 2011 par Benoît XVI à l'intention de l'ambassadeur de Croatie venu lui présenter ses lettres de créance, avant le voyage qu'il devait effectuer dans ce pays les 4 et 5 juin suivants, et à la veille de l'entrée du pays dans l'UE, effective 1er juillet 2013, après le référendum de 2012, où le « oui » l'a emporté avec plus de 66 % des voix (benoit-et-moi.fr/2011-I).
La Croatie intégrera bientôt pleinement l’Union européenne. Le Saint-Siège ne peut que se féliciter lorsque la famille européenne se complète et reçoit des Etats qui, historiquement en font partie.
Cette intégration, Monsieur l’Ambassadeur, devra se faire dans le plein respect des spécificités croates, de sa vie religieuse et de sa culture. Il serait illusoire de vouloir renier sa propre identité pour en rejoindre une autre qui est née dans des circonstances si différentes de celles qui ont vu naître et se construire celle de la Croatie. En entrant dans l’Union européenne, votre pays ne sera pas uniquement récipiendaire d’un système économique et juridique qui a ses avantages et ses limites, mais il pourra également apporter une contribution propre et typiquement croate.
Il ne faudra pas avoir peur de revendiquer avec détermination le respect de sa propre histoire et sa propre identité religieuse et culturelle.
Des voix chagrines contestent avec une stupéfiante régularité la réalité des racines religieuses européennes. Il est devenu de bon ton d’être amnésique et de nier les évidences historiques.
Affirmer que l’Europe n’a pas de racines chrétiennes, équivaut à prétendre qu’un homme peut vivre sans oxygène et sans nourriture.
Il ne faut pas avoir honte de rappeler et de soutenir la vérité en refusant, si nécessaire, ce qui est contraire à elle. Je suis certain que votre pays saura défendre sa propre identité avec conviction et fierté en évitant les nouveaux écueils qui se présenteront et qui, sous prétexte d’une liberté religieuse mal comprise, sont contraires au droit naturel, à la famille, et à la morale tout simplement.
Là encore, ce ne sont que des exemples parmi beaucoup d'autres.
On peut juste regretter que ces discours aient eu si peu d'écho (sinon celui de devoir au Pape la haine tenace des médias et des instances mondialistes). Et aussi, ressentir une grande nostalgie pour une opportunité que nous avons laissé échapper, et qui ne se reproduira peut-être pas de sitôt.