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Des catholiques américains inquiets

Un article du Washington Post (17/10/2013)

     

Des conservateurs catholiques mettent en doute l'approche du Pape François
Michelle Boorstein et Elizabeth Tenety
15 Octobre 2013
(www.washingtonpost.com, ma traduction, et mes quelques commentaires en italique)
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Secoués par l'admonestation du pape François aux catholiques à ne pas être «obsédés» par la doctrine, sa réticence déclarée à juger les gays et son apparente volonté de débattre avec à peu près tout le monde - y compris les athées - de nombreux catholiques conservateurs font ce qui encore tout récemment semblait impensable: Ils mettent ouvertement en doute le pape (comme si d'autres catholiques n'avaient pas mis en doute Benoît XVI pendant 8 ans!).
L'inquiétude chez les traditionalistes a commencé à se construire peu après que François ait été élu. Presque immédiatement, le nouveau pape a dit aux journalistes non-catholiques et athées qu'il les bénirait en silence par respect. Peu après, il a ignoré la pratique du Vatican et inclus des femmes lors d'une cérémonie de lavement des pieds (à l'évidence, l'article n'est pas écrit par des spécialistes du catholicisme).
Les traditionalistes, d'abord circonspects, sont devenus méfiants quand il y a quelques semaines, dans une interviewe, François a déclaré que les catholiques ne doivent pas être «obsédés» par l'imposition de doctrines, y compris sur le mariage homosexuel et l'avortement. Ensuite, au début du mois, François a dit à un journaliste athée que les gens devraient suivre le bien et combattre le mal tels qu'ils les «conçoivent». Ces remarques faisaient suite à un entretien avec des journalistes cet été à bord de l'avion papal, dans lequel le pape déclarait que ce n'est pas son rôle de juger quelqu'un qui est gay «s'il acceptent le Seigneur et fait preuve de bonne volonté».
Peu importe que le pape ait également clarifié son acceptation de la doctrine de l'Église, qui considère le sexe gay et l'avortement comme des péchés et bannit les femmes de la prêtrise. Derrière le scepticisme croissant, il y a la peur dans certains milieux que le style de François, embrassant tout le monde, avec sa parole spontanée, ouverte comme elle l'est à l'interprétation, ne défasse des décennies d'efforts de l'Eglise pour parler clairement sur les enseignements catholiques. Certains conservateurs pensent aussi que le pape les sape à un moment où ils sont déjà mis à l'écart par une culture de plus en plus laïque.
«Quand NARAL [un groupe militant pour le droit à l'avortement] vous envoie une note de remerciement, il est clair que quelque chose ne va pas», dit Robert Royal, président du think tank (basé à Washington) Faith & Reason.
François est «un homme remarquable, personne ne le nie», dit-il. «Mais je ne suis pas sûr qu'il se soucie d'être précis. Avec les gens, il est dans une dynamique d'évangélisation, et cela semble être la chose la plus importante. . . .D'une certaine manière il rend les gens très anxieux. Si vous faites ça, qu'est-ce qui va venir après? »

Une approche différente
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Au cours des trois décennies précédentes, les papes Jean-Paul II et Benoît XVI ont partagé un objectif: Rendre les enseignements orthodoxes clairs comme du cristal, afin que les catholiques ne se perdent pas dans un monde relativiste de plus en plus désordonné.
Les catholiques se sont également habitués à des papes qui en grande partie parlaient à «l'Eglise», plutôt qu'au public. Ces hommes communiquaient souvent dans le langage de la théologie catholique, et à travers les livres, pas à travers de longues interviews en roue libre comme le pape François.
«Dans le passé, tout ce qu'on entendait d'un pape était préparé ou officiellement publié. Et c'était intentionnel - ne rien dire qui ne soit ad hoc. Et ce que celui-ci fait est également intentionnel» dit Phil Lawler, rédacteur en chef de Catholic World News, une agence d'information conservatrice. «Je pense que toute son attention se porte à l'extérieur de l'Église. C'est énorme».
David O'Brien, historien de l'Eglise catholique, dit que le débat au sujet des papes n'est pas entièrement nouveau. La controverse a éclaté lorsque l'infaillibilité papale a été établie à la fin du XIXe siècle (Pie IX, lors du Concile Vatican I en 1870), puis de nouveau dans les années 1950 lorsque Jean XXIII a rencontré un éminent communiste (ne s'agit-il pas plutôt de Paul VI recevant Gromyko, l'épisode est narré ici: benoit-et-moi.fr/2013-II/livres-dvd/don-camillo-ii-le-pape-sappelle-joseph). Des journalistes avaient alors émis l'hypothèse qu'il y avait même eu une bénédiction.

Dans le monde complexe d'aujourd'hui, il n'est pas facile de parler simplement de ce qui définit un «bon catholique», dit O'Brien.
Beaucoup de conservateurs pensaient le savoir. Ceci parce que les deux derniers papes, Jean-Paul II et Benoît XVI, disaient clairement combien il est essentiel de suivre la doctrine de l'Eglise, en particulier en donnant la priorité à la nécessité de s'opposer à l'avortement et à l'égalité gay (c'est une façon bien américaine, bien journalistique et hélas bien négative de réduire leurs magistères!).

« En ce qui concerne l'Eglise catholique - disait Benoît XVI dans un discours de 2006 (le 30 mars 2006, aux représentants du PPE) -, l'objet principal de ses interventions dans le débat public porte sur la protection et la promotion de la dignité de la personne et elle accorde donc volontairement une attention particulière à certains principes qui ne sont pas négociables»...
Deux des principes «non négociables» les plus importants sont, disait-il «la protection de la vie à toutes ses étapes, du premier moment de sa conception jusqu'à sa mort naturelle (...) et la reconnaissance et la promotion de la structure naturelle de la famille comme union entre un homme et une femme fondée sur le mariage - et sa défense contre des tentatives de la rendre juridiquement équivalente à des formes d'union radicalement différentes qui, en réalité, lui portent préjudice et contribuent à sa déstabilisation..»

Aujourd'hui, beaucoup parmi ces mêmes traditionalistes tentent de concilier les déclarations apparemment ouvertes de François avec cette idée de ce que signifie être catholique. Les conclusions auxquelles ils parviennent sont très variables.
Certains disent prier profondément à ce sujet et trouver dans cette difficulté un renforcement de leur lien avec leur foi. Ils partagent sur internet des réflexions avec des titres du genre «Le pape François m'a tué» ou « Pourquoi le pape François me met mal à l'aise».
Mary Ellen Barringer, 56 ans, une habitante de Silver Spring (Maryland) qui assiste à la messe tous les jours, dit que Benoît lui manque «désespérément». Immédiatement, dit-elle, François a mis tous les catholiques au défi de faire davantage. Elle a ressenti qu'il disait à des gens comme elle: faire des chèques en faveur de la cause pro-vie ne suffit pas, il faut se rapprocher des personnes défavorisées et des pauvres. Elle a ressenti qu'il lui reprochait d'être suffisante (au sens condescendante) envers les catholiques moins traditionnels.
«Il appelle chacun de nous à aimer notre prochain comme nous-mêmes, ce qui est une chose très difficile à faire», dit-elle (certes, c'est un commandement de l'évangile - et Benoît XVI n'a rien dit d'autre - mais souvent ceux qui le brandissent spécialement aujourd'hui le font moins dans un esprit de charité que de rejet des conservateurs, ... et le pratiquent bien peu eux-mêmes). «Nous avons tendance à avoir des barrières dans la société: républicain, démocrate, libéral, peu importe. Nous ne pouvons pas simplement nous asseoir et dire: "Pourquoi pensez-vous ceci ou cela?"»
«Peut-être le pape François m'appelle-t-il à aimer quelqu'un dont je n'aime pas les idées. Comme le monde serait mieux si nous dépassions tout cela».
Gregory Popcak, conseiller matrimonial et familial pour une radio, et qui exerce aussi en privé dans l'Ohio, dit qu'il a prié intensément après que plusieurs clients aient utilisé les mots de François pour le rembarrer quand il leur expliquait les enseignements de l'Église sur le sexe et l'amour. Un client l'a récemment quitté, en disant: «Je suis beaucoup plus un catholique "pape François-Nancy Pelosi", et vous êtes un catholique "Jean-Paul II", de la vieille école».
Il s'est d'abord senti frustré, puis honteux.
L'histoire du fils prodigue lui est venu à l'esprit, et il a vu en lui-même le bon fils. «Le bon fils qui restait derrière, et faisait tout ce que son père lui disait de faire», a-t-il écrit dans un récent message en ligne, incitant des dizaines de personnes à partager des sentiments similaires. «Les gens qui avaient quitté l'Eglise, qui détestaient l'Église. . . ont soudainement réalisé que Dieu les aimait, que l'Eglise les accueillait, et tout ce que je pouvais faire était de me sentir amer à ce sujet».
Robert Royal rejette les conservateurs qui «cherchent des excuses» pour François. Au cours de l'histoire, affirme-t-il, «il y a eu des bons et des mauvais papes et Dieu les permet. . . J'apprends à vivre avec eux. Nous avons eu un des plus grands intellectuels vivants avec Benoît et maintenant nous avons quelqu'un qui ne semble pas penser qu'une expression claire est importante».

Garder la foi
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Certains catholiques pensent que François ramène en surface les combats qui ont suivi le Concile Vatican II dans les années 1960. Les conservateurs estimaient que les catholiques libéraux avaient mal interprété les intentions du Concile et avaient été trop loin dans l'ouverture.
Les deux derniers papes semblaient être d'accord, faisant une priorité de la mise en place d'une «identité catholique» parmi les personnes et les institutions, insistant sur l'importance d'une doctrine cristalline, en particulier sur les questions liées à la procréation et au mariage .
«Les débats enflammés dans les paroisses - je ne veux pas revoir cela», dit Phil Lawler. «Les choses se calmaient».
Les conservateurs qui percevait trop d'ambiguïté dans les propos de François ont été encouragés en constatant que récemment, le pape avait excommunié un prêtre qui s'était prononcé en faveur de l'ordination des femmes, avait livré certains de ses commentaires les plus anti-avortement et avait appelé un rare synode sur la famille, dont ils pensent qu'il sera un véhicule pour renforcer l'orthodoxie. Mais jusqu'à présent, ils n'ont pas suscité le même genre d'attention que le pape conversant avec un athée.
Mary Ellen Barringer dit qu'elle craint que les paroles de François puissent être déformées par les médias et d'autres, nuisant à la liberté religieuse des conservateurs comme elle. Mais elle garde la foi.
«J'en suis venu à la conclusion que l'Esprit Saint a aidé les cardinaux à choisir l'homme juste pour l'église en 2013,» dit-elle. «Si je crois vraiment cela, je crois que tout ce qu'il dit nous conduit là où le Seigneur doit nous conduire»