Don Camillo et don Chichi (III)
Don Chichi, la pauvreté, et l'Eglise des pauvres (7/4/2014)
>>> Don Camillo et don Chichi
>>> Don Camillo et don Chichi (II)
Le prêtrichon progressiste envoyé par l'évêché pour mettre don Camillo à la page se nommait don Francesco, mais en raison de sa petite personne sèche et nerveuse, de son côté clergyman tiré à quatre épingles, de son effervescence et de ses trémoussements continuels, les bonnes gens l'avaient rebaptisé don Chichi : un sobriquet qui ne signifiait rien de particulier mais disait bien ce qu'il voulait dire.
Après avoir démystifié l'Eglise en surface, don Chichi menait à présent son offensive en profondeur, dans une série de sermons fougueux qui dénonçaient sans trêve les fautes et la méchanceté des riches.
Plus d'un fidèle désertait la messe, et don Camillo, rencontrant Pinetti (ndlr: un riche paysan), lui demanda pourquoi on ne le voyait plus à l'église.
- J'ai travaillé honnêtement pendant toute une vie pour acquérir ce que j'ai, révérend, et aller à l'église pour m'entendre insulter par don Chichi, ça ne me dit vraiment rien.
- On ne va pas à l'église par respect pour le prêtre, mais par respect pour Dieu. En n'y allant pas, c'est Dieu qu'on contrarie, et non le prêtre.
- Ça, révérend, mon cerveau le comprend très bien, mais mon foie pas du tout.
Le raisonnement, s'il laissait à désirer, procédait néanmoins d'une certaine logique, et comme les défections augmentaient, don Camillo en parla au jeune prêtre.
- Il est écrit : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu », répliqua péremptoirement don Chichi. La porte de l'Eglise ne doit pas être plus large que celle du Paradis. Dieu a créé le monde à l'usage de tous les hommes ; le riche n'est tel que parce qu'il a volé son prochain. Si les riches n'existaient pas, il n'y aurait pas de pauvres, tout comme il n'y aurait pas de volés s'il n'y avait pas de voleurs. Le riche est un voleur ; partant, la propriété est un vol. L'Eglise du Christ est l'Eglise des pauvres ; car c'est à eux, et à eux seuls, qu'appartient le Royaume des Cieux.
- La pauvreté est un malheur, pas un mérite. Il ne suffit point d'être pauvre pour être juste. D'ailleurs, il n'est pas vrai que les pauvres aient seulement des droits, et les riches des devoirs : devant Dieu, tous les hommes n'ont que des devoirs. Sans compter que vous éloignez de l'Eglise des gens qui sont rien moins que riches.
"Don Camillo et les contestataires" (1969)
Traduction de l'italien par Louis Bonalumi, éditions du Seuil, 1971.
