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La crise du mariage : des rappels historiques

Quand Jésus promulgua le mariage chrétien, la situation de la famille était bien pire qu'aujourd'hui. Article de Francesco Agnoli repris sur Religion en Libertad et traduit par Carlota (3/6/2014)

VO en italien: www.lanuovabq.it
Version espagnole sur Religion en libertad.
Traduction de Carlota.

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Ci-dessus: Sarcophage étrusque (civilisation de la péninsule italique très brillante et antérieure à celle des Romains) représentant un couple : il reprend bien l’idéal monogame, comme aussi l’Odyssée dans la relation entre Ulysse et Pénélope…mais dans la pratique, sans l’exigence morale chrétienne, il était peu soutenable.

     

LA CRISE DU MARIAGE : DES RAPPELS HISTORIQUES DE FRANCESCO AGNOLI
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Quand Jésus promulgua le mariage chrétien, la situation de la famille était bien pire qu’aujourd’hui

On entend fréquemment, et également dans des milieux catholiques, que la concession de la communion aux divorcés remariés est une exigence que l’on doit à notre époque. Aujourd’hui les personnes divorcées remariées sont trop nombreuses pour que l’on maintienne en vigueur des lois anciennes et des vieux schémas.
Il s’agit évidemment d’une idée fragile selon laquelle la vérité est soumise à l’arbitraire du nombre. Elle a été utilisée par les radicaux (gauche italienne). L’on disait alors « ils sont déjà des millions les divorcés de fait pour que l’on continue à ignorer la possibilité d’un divorce reconnu ». Et ce sont toujours les mêmes qui ont utilisé l’idée du nombre pour légaliser l’avortement : « puisque les avortements clandestins sont désormais la norme, il faut mieux régulariser l’avortement sans plus».

Mais le but de cet article n’est pas d'évaluer un tel raisonnement du point de vue logique; ni même du point de vue théologique.


Ce que le Christ a enseigné… et enseignerait
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Le but est de comprendre, simplement, du point de vue historique, si cette position est compatible avec l’enseignement du Christ.

Les questions que nous voulons mettre en avant, sont, par conséquent, les suivantes: Comment se comporterait Celui qui est infiniment bon et miséricordieux, Jésus Christ, lui-même, s’il venait aujourd’hui ? Changerait-il la doctrine de l’indissolubilité du mariage, en la considérant en adéquation avec notre époque et non respectueuse du grand nombre de divorcés remariés qui existent aujourd’hui ? Introduirait-il des exceptions, de la casuistique, des problématiques différentes comme celles proposées par le cardinal Kasper ? Jésus rendrait-il un peu plus flexible ce laconique et lapidaire commandement qui dit : « Ce que Dieu a uni, l’homme ne le sépare pas » (Mt 19, 8)?


La situation à l’époque de Jésus
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Le premier point à partir duquel, il faut indubitablement partir est celui-ci : le mariage, dans le monde antique et pré-chrétien était de deux types, à savoir le monogame et le polygame. La monogamie était présente en Grèce, dans le peuple juif et à Rome. Dans d’autres civilisations, la polygamie était la règle. L’enseignement du Christ sur la famille n’est donc pas du tout, une nouveauté inouïe : différents peuples ont établi que la monogamie, je le répète, était le pilier de la société. Nous sommes en face de ce qui est normalement appelé le « droit naturel » : les peuples non chrétiens portaient déjà dans leur cœur le son des exigences morales universelles. De la même façon qu’Hippocrate avait compris qu’avorter c’est assassiner (cf le fameux serment que les étudiants en médecin n’ont plus à prononcer et pour cause !) à une époque où l’avortement, cependant, était la norme, ainsi les Romains avaient vraiment compris que l’optimum dans la relation homme-femme, c’était la fidélité et la durée du mariage.

Rituel de la noce romaine
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Ainsi, à l’époque de la République, c’est à dire avant Jésus, à Rome l’on prévoyait la promesse de mariage par une cérémonie officielle qui incluait l’échange d’anneaux (mis à l’annulaire car, selon Aulu-Gelle - IIè siècle après JC, il existait « un nerf très fin qui part de l’annulaire et arrive au cœur »).
Le mariage suivait la promesse de mariage : une cérémonie solennelle, marquée par une espèce de communion devant un autel, sur lequel l’on offrait à Jupiter un pain d’orge. Était aussi sacrifié un animal dont les viscères étaient lues par un aruspice.
Une femme, mariée une seule fois et par conséquent signe de bon augure, unissait les mains des époux face aux prêtres et aux témoins, démontrant aussi la fonction sociale du mariage.
Hommes et divinités étaient par conséquent appelés comme témoignages d’un fait, dont je le répète l’importante était très claire.

Mais, en vérité, si nous approfondissons, nous découvrons que la monogamie romaine, peut-être la plus solide du monde antique, était viciée par mille exceptions: l’homme pouvait avoir, par exemple, des relations tranquillement avec les femmes esclaves, sans que cela constitue un scandale, ni même pour l’épouse; en outre il pouvait répudier son épouse au moyen d’une série assez abondante de motifs.
La monogamie juive était aussi presque une fiction, car les écoles rabbiniques pouvaient accroitre sans mesure la possibilité de répudiation, en permettant que les hommes se marient ainsi successivement, avec beaucoup de femmes. Non seulement cela : la polygamie était assez pratiquée.

La famille en crise à l’époque impériale
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Si nous revenons à Rome, à l’époque de l’Empire, c’est à dire à l’époque du Christ, puis au cours des siècles suivants alors que le christianisme s’affirmait graduellement, les mœurs se sont relâchées.
Tous les historiens sont d’accord dans l’affirmation que la monogamie, qui déjà à l’époque de la République, pouvait être dissoute, entre dans une crise grave. La durée moyenne des mariages diminue ; les divorces augmentent ; et même la cérémonie de mariage en parfait accord avec la diminution graduelle du sentiment de mariage, est chaque fois plus simple, rapide, presque banale.
Comme l’écrit Igino Giordani dans son œuvre maîtresse, Il messaggio sociale del cristianesimo ("Le message social du christianisme"), « pour divorcer il n’y avait plus besoin de formes compliquées. Comme pour se marier. Il suffisait de le signaler oralement ou par écrit ou dans un message » ; tout était plus simple par rapport au passé de la République et le divorce « se transforme en une plaie qui gangrène l’institution du mariage et mine la famille ».
Le grand Sénèque, contemporain de Jésus, écrit que « les personnes divorcent pour se marier et se marient pour divorcer ».
Juvénal, au 1er siècle après J.C., rappelle le nom d’une femme qui s’était mariée 8 fois en 5 ans, tandis que Martial décrit la crise du mariage contemporain en citant Telesilla avec ses 10 maris.
Le grand historien du monde romain [Jérôme] Carcopino (historien archéologue français d’origine corse 1881-1970), dans "La vie quotidienne à Rome", confirme le concept: le divorce à l’époque pré-chrétienne à Rome était rare; à l’époque de l’Empire, au contraire, il était très répandu. Également parce que, comme nous le rappelle l’historienne Eva Cantarella, dans son L’ambiguo malanno ("Le désastre ambigu"), à la possibilité du divorce demandé par le mari, avec la femme normalement considérée comme une victime impuissante, s’était peu à peu renforcée la possibilité donnée aux femmes de pouvoir divorcer d’elles mêmes.

C’est un fait incontestable: quand Jésus arrive et dans les siècles à venir, dans l’empire Romain, le mariage et la famille étaient plus que jamais en crise, une crise qui affectait aussi la société et qui au final a eu aussi des répercussions démographiques.

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Jésus n’a pas été « réaliste » mais « révolutionnaire »
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Dans ce contexte, en citant de nouveau Cantarella, la prédication du Christ, sur le mariage indissoluble a été indubitablement peu «réaliste» et assez «révolutionnaire», surtout si nous tenons en compte le fait que pour les païens le mariage durait tant que la volonté d’être ensemble durait, tandis que les chrétiens « ne prenaient en considération que la volonté initiale, en ne la fixant pas, par un quelconque moyen, dans le temps, et en lui attribuant seulement une valeur déterminante ».
De là les législations des empereurs chrétiens, qui peu à peu ont commencé à limiter les divorces, en imposant « pour la première fois une casuistique de circonstances qui les justifiaient » (ndt Je comprends qu’il fallait désormais justifier par rapport à des critères d’invalidation bien définis alors que sous l’Empire non chrétien il suffisait une volonté de rompre un lien).

En ce qui concerne l’enseignement et l’éducation chrétiennes, un apologète comme Justin (St Justin, martyr vers 165) dans son Apologie pour les chrétiens, du IIème siècle après J.C., expose la pensée traditionnelle de l’Église, condamnant les seconds mariages et le divorce de ses contemporains, invitant à respecter tout l’enseignement du Christ qui, sûrement, ne s’impose pas facilement, surtout dans les classes les plus élevées.

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L’Église face aux "grands" du Moyen Âge
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Il semble que c’est Louis le Pieux, fils de Charlemagne, qui fut le premier souverain franc à avoir une seule épouse, méritant aussi du fait de ce motif, le surnom de «Pieux»
Les siècles suivants, l’Église luttera pour enseigner, surtout, l’importance et la grandeur de l’indissolubilité du mariage, en défendant en même temps cette indissolubilité, et surtout, de la toute puissance masculine.
Tous se rappellent que par cette position intransigeante l’on est arrivé même à un schisme, celui de l’Angleterre d’Henri VIII, quand il aurait suffi d’annuler le mariage du roi anglais, ou de lui concéder le divorce de Catherine, pour l’éviter.
Mais les cas similaires sont très nombreux. L’historien Jacques Le Goff l'a rappelé effectivement dans l’Avvenire (21/1/2007) : « Souvent l’on dit qu’en cas d’adultère il n’y a pas d’égalité entre homme et femme. Or, dans un certain nombre de cas très particuliers, et souvent célèbres, l’homme a été sévèrement condamné par l’Église ; nous pensons au Roi de France Robert le Pieux ou à Philippe Auguste. Robert le Pieux, dans les premières années du XIème siècle a du se séparer de sa seconde épouse Berthe de Blois parce que le clergé le considérait bigame, car la première épouse vivait encore, et incestueux car tous les deux étaient parents au troisième degré. Le Pape Innocent III, pour sa part, élu en 1198, lança l’interdit contre le royaume de Philippe Auguste qui avait répudié en 1193 son épouse Ingeburge (ou Isambour) de Danemark (elle était sa deuxième femme), et s’était mariée avec Agnès de Méran. Dans les états cités du XIIème siècle en Italie et au XIIIème siècle en France, il existait des articles sur le châtiment de l’adultère qui prévoyait de dures peines tant pour les hommes que pour les femmes. Par exemples les Coutumes de Toulouse en 1293 recommandaient et illustraient dans un dessin la castration d’un mari adultère ».

Nous pouvons citer un autre cas intéressant, qui nous raconte combien l’indissolubilité a été pour l’Église une vérité non négociable, pas même pour les plus puissants.
C’est le cas de Teutbergue. L’historien américain Robert Louis Wilken, dans son oeuvre The First Thousand Years ("Les mille premiers années") raconte à propos du Pape Nicolas 1er: « Dans un célèbre affrontement, le Pape a défié le Roi Lothaire II de Lotharingie (arrière petit fils de Charlemagne, et petit fils de Louis le Pieux) qui avait divorcé de son épouse Theutberge parce qu’elle ne lui avait pas donné d’héritier mâle. Quand les archevêques de Cologne et de Trèves sont arrivés à Rome avec les transcriptions de ce qui avait été dit lors d’un synode (synode local) qui avait reconnu la validité du divorce, Nicolas excommunia les deux évêques. Pour toute réponse, l’empereur Louis II (frère de Lothaire) marcha avec ses troupes sur Rome, accusant Nicolas de « vouloir s’ériger comme empereur du monde ». Le Pape resta ferme sur ses positions et finalement Lothaire dut accepter Teutberge comme épouse légitime ».

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Rome et les « Lothaire » d’aujourd’hui
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Or, en plus de souligner ce que des gestes comme ceux-ci, répétés de nombreuses fois tout au long de l’histoire, ont signifié pour la défense de la dignité de la femme, souvent exposée dans le passé à la force masculine plus grande, on peut conclure ce bref résumé historique en l’actualisant.
Aujourd’hui aussi un prélat allemand voudrait changer la doctrine, soutenu par les Lothaire d’aujourd’hui (le pouvoir médiatique, etc.)
Mais Rome est Rome et ne peut changer la doctrine. Ce n’est pas par « méchanceté » envers les divorcés remariés, mais par fidélité au Christ et pour le bien des générations futures, auxquelles il est opportun d’enseigner de nouveau la grandeur et la fidélité inhérentes dans l’amour pour toujours.
Certainement, il est temps de guérir des blessures et de soigner ceux qui souffrent (c’est le devoir pastoral qui peut profiler pour le futur) mais il est aussi temps de construire lentement, à partir des ruines de ce vieux monde, une nouvelle civilisation plus humaine parce que plus chrétienne.
En rappelant Saint Paul quand il parle de l’amour (également conjugal, évidemment) : « L’amour est patient, il est serviable ; l’amour n’est pas envieux, il n’est pas vaniteux, il ne se gonfle pas d’orgueil; il est convenable ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’irrite pas; il ne prend pas en compte le mal; il ne se réjouit pas de l’injustice; il se réjouit de la vérité ; il excuse tout. Il croit tout. Il espère tout. Il supporte tout. L’amour ne finit jamais »