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La dramatique croisée des chemins de Bergoglio

Antonio Socci s'interroge sur le cours du Pontificat, et surtout les implications du "rapport Kasper" en ouverture du Consistoire (14/3/2014)

     

La dramatique croisée des chemins de Bergoglio.
Ils veulent le pousser à la démolition de l'église, mais je pense ...
http://www.antoniosocci.com
(traduction benoit-et-moi)
13 mars 2014

A un an de l'élection de Bergoglio comme «évêque de Rome», on reste perplexe à voir le journal de la banque et de la finance - le «Corriere della Sera» - acclamant le «pape des pauvres» qui tonne contre «le riche Nord» auquel, à plusieurs reprises dans l'année, il a crié «honte!», le mettant en accusation.
A quel jeu jouent-ils? Et que dire de «Vatican Insider - La Stampa»? Le journal de Turin est le plus touché par la «francescomania» que Bergoglio déplore.
Le journal de la Fiat en est même venu à sonner la fanfare pour Gustavo Gutierrez qui a été «réhabilité» au Vatican: Gutierrez est le père de la «théologie de la libération» qui mélangeait le christianisme et le marxisme, et fut enterrée par Jean-Paul II et Benoît XVI .
On sent comme une puanteur de roussi, si les journaux des multinationales se mettent à encenser la théologie de la libération. Mais encore plus si le Vatican la réhabilite (voir ici: http://vaticaninsider.lastampa.it/inchieste-ed-interviste/dettaglio-articolo/articolo/gutierrez-32575/ . Naturellement, les interprètes auto-proclamés des faits vaticans diront qu'il n'y a pas à proprement parler de réhabilitation...). Et justement au moment où Joseph Ratzinger - dans un livre interview sur Jean-Paul II - explique:

«Le premier grand défi que nous avons affronté (avec Jean Paul II) fut la théologie de la libération qui se répandait en Amérique latine. En Europe et en Amérique du Nord l'opinion commune était qu'il s'agissait d'un soutien aux pauvres et, par conséquent, d'une cause qu'il fallait certainement approuver. Mais c'était une erreur. La foi chrétienne était utilisée comme moteur de ce mouvement révolutionnaire, la transformant en une force politique (...). A une telle falsification de la foi chrétienne, il était nécessaire de s'opposer, justement par amour des pauvres et pour le service qui doit leur être rendu»

Récemment, un représentant important de la Tdl, Clovis Boff (ndt: le frère de Leonardo), a donné raison à Ratzinger pour ce qu'au nom de Jean-Paul II, il avait fait trente ans plus tôt:

«Il a défendu le projet essentiel de la théologie de la libération: l'engagement pour les pauvres à cause de la foi. Dans le même temps, il a critiqué l'influence marxiste. L'Église ne peut entamer des négociations sur l'essence de la foi ... Nous sommes liés à une foi et si quelqu'un professe une foi différente, il s'exclut lui-même de l'Église.
En revanche, «dans le discours hégémonique de la théologie de la libération - reconnaît Clovis Boff - j'ai senti que la foi dans le Christ apparaissait seulement comme background. Le "christianisme anonyme" par Karl Rahner était une bonne excuse pour négliger le Christ, la prière, les sacrements et la mission, mettant l'accent sur la transformation des structures sociales». (cf. http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/205773?fr=y )

Aujourd'hui, pourtant, le Vatican réhabilite cette Théologie de la Libération. Et la déchirure par rapport à Wojtyla et Ratzinger concerne également autre chose.

Abolition du péché?
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Le 29 Décembre, le titre de l'éditorial d'Eugenio Scalfari, sur la Repubblica, annonçait: «La révolution de François a aboli le péché».
En fait, cette révolution, rêvée par Scalfari (et aussi par les pouvoirs mondains, les loges et les lobbies anti-catholiques) serait la plus grande des révolutions car elle signifierait l'abolition de l'Église: Jésus a prêché et pratiqué le pardon des pécheurs, tandis que l'abolition du péché est l'exact opposé, c'est quelque chose qui rendrait inutile et même ridicule le sacrifice de la Croix.
Pour cette raison, cette sortie du fondateur de la «Repubblica» a semblé à tout le monde une boutade dûe à son dilettantisme théologique proverbial. Les médias catholiques l'ont liquidé de manière sarcastique.
Mais aujourd'hui, nous devons reconnaître qu'il avait en partie raison. Pas en ce qui concerne le Pape (qui ne s'est toujours pas exprimé), mais en ce qui concerne le cardinal Kasper, auteur du rapport explosif en ouverture du Consistoire (que lui avait demandé le pape) sur les divorcés remariés, et les sacrements.
Kasper représente cette gauche martinienne qui voudrait faire comme les églises protestantes d'Europe du Nord: baisser totalement le pantalon devant le monde (en fait ces églises se sont suicidés et sont maintenant presque inexistantes).
C'est pourquoi le rapport de Kasper subvertit complètement, en pratique, ce que Jésus (Mt 5, 32 et Matthieu 19: 9), et l'Eglise ont toujours enseigné.
Avec l'accès aux sacrements des divorcés remariés (qui renverse tout le Magistère, en particulier celuide Jean-Paul II) s'annonce effectivement l'abolition du péché.
Quel «hôpital de campagne» est-ce là? Ainsi nous pauvres pécheurs, nous pouvons crever. Comme si le ministère de la Santé décrétait que - au lieu de soigner les malades - tous étaient déclarés en bonne santé par la loi.
En fait, la perspective vers laquelle Kasper et cie veulent pousser l'Eglise implique l'inutilité du sacrement de la confession et son abolition.
Pourquoi donc devrait-on se limiter aux divorcés-remariés? Ce serait une «legge ad personam». Les concubins, ou les 'fiancés' qui ont des rapports sexuels, pourquoi devraient-ils se confesser pour accéder à l'Eucharistie? Et l'homme ou la femme mariés qui ont une relation extraconjugale?

Ou Kasper, ou Jésus
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Le «tous sauvés» couvrirait de fait tous les péchés. Tous pardonnés d'office. Kasper dit: «tout péché peut être absous». Mais il omet de dire que le repentir est nécessaire.
Contrairement à Kasper, Jésus a dit que «le péché contre l'Esprit Saint n'aura pas de rémission, pour l'éternité; il sera coupable d'une faute éternelle» (Mt 12, 31-32). Ce péché impardonnable concerne justement «la présomption de salut sans mérite», «l'obstination dans le péché» et «l'impénitence finale».

A y regarder de plus près Kasper ne se limite pas à abolir le péché (et la confession): il abolit l'enfer lui-même. Il l'a dit avec une phrase passée inaperçue, mais qui contredit totalement ce que Jésus et l'Eglise ont toujours enseigné.
Le prélat a dit: «Il n'est pas concevable qu'un homme puisse tomber dans un trou noir d'où Dieu ne peut plus le retirer». Faux. Ce «trou noir» existe: c'est l'enfer dans lequel nous pouvons choisir d'aller. Dieu - par respect de notre liberté - ne peut pas nous sauver contre notre volonté.
Il est très dangereux de ne pas croire à l'enfer. Sainte Faustine Kowalska - que en matière de miséricorde était beaucoup plus compétente que Kasper - rapporte dans son journal que, quand elle fut amenée mystiquement à voir le royaume de Satan, elle découvrit que «la plupart des âmes qui sont là, sont les âmes qui ne croyaient pas qu'il y eût l'enfer».

Les jésuites
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Historiquement, ce sont les jésuites qui ont été accusés par le grand Pascal d'avoir aboli le péché avec l'excuse de pardonner le pécheur. Et à notre époque, ces idées sont redevenues à la mode.
Le cardinal Ratzinger l'a rappelé dans un discours célèbre, en 1990 :
«On peut dire que le débat moral d'aujourd'hui tend à libérer les hommes du péché, faisant en sorte que ne surviennent jamais les conditions de sa possibilité. Vient à l'esprit les paroles mordantes de Pascal: "Ecce patres, qui tollunt peccata mundi"! Voici les pères qui enlèvent les péchés du monde . Selon ces "moralistes", il n'y a tout simplement plus de péché. Mais, naturellement, cette façon de libérer le monde du péché se fait à trop bon marché. Au fond d'eux-mêmes, les hommes ainsi libérés savent très bien que ce n'est pas vrai, que le péché existe, qu'eux-mêmes sont pécheurs et qu'il doit y avoir un moyen efficace de vaincre le péché».
Dans un ouvrage antérieur Ratzinger critiquait la «pensée pélagienne selon laquelle au fond la bonne volonté de l'homme suffirait pour le sauver».
Puis il ajoutait:
«Dans cette lumière, les jansénistes n'avaient pas entièrement tort de reprocher aux jésuites d'amener, par leurs théories, le sècle à l'incrédulité».
Mais il y a aussi des courants sains dans la la Société de Jésus. Si, d'un côté il y avait le jésuite Karl Rahner, du côté opposé il y avait le grand jésuite de Lubac.

François est à la croisée des chemins: d'un côté la démolition de l'Église à laquelle veulent le pousser les pouvoirs, les loges et les lobbies mondains. Mais je pense (et j'espère) qu'il choisira l'autre, celui du vrai Concile, de Lubac, Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI, un chemin glorieusement orthodoxe et évangélique, qui mène à la haine du monde et parfois au martyre.

Antonio Socci