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La lettre de Jeannine du 13 mars

Lecture croisée de deux anniversaires (13/3/2014)

Anniversaires

Un an de pontificat, d'après le calendrier c'est exact mais pour moi la seule date à retenir de 2013 est le 11 février.
J'ai suivi avec patience, attention, affection toujours, indignation souvent, tous les coups bas (je suis modérée) qui ont perturbé le pontificat de Benoît XVI et ont contribué à le rendre si pénible, - de mon point de vue, car de sa bouche il n’y a jamais eu de reproches, ni de sous-entendus critiques. Etant donné mon peu de dispositions naturelles pour une extrême indulgence, j'ai plus d'une fois pesté contre cette acceptation, cette soumission à ce que le Seigneur lui envoyait. Cette indignation de ma part n'a fait que renforcer mon attachement pour lui, et c'est la raison pour laquelle c'est le 11 février qui reste pour moi la date butoir. Il se retirait sans autres précisions sur son devenir, le silence devenait la règle. Heureusement sa présence au monastère s'est transformée en un aspect moins radical d'effacement au monde. Des nouvelles, des photos parviennent, il reçoit des visites, on le voit très, très modérément mais il est toujours là et en bonne forme, il écrit et il est moins loin. Il reste tout ce qu'il nous a laissé et ceux qui continuent à lui rendre hommage, à promouvoir sa pensée, tous ces gestes, plus ou moins importants prouvent bien qu'il n'est pas oublié.

Il y a François qui a pris l'Eglise en main. Parce que Benoît XVI n'a jamais demandé qu'on lui attribue une grande importance et a de suite intégré le futur Pontife dans sa prière, je continue à étudier avec détachement cette Eglise qui bouge.
Mgr Gänswein qui vit avec lui n'hésite pas à dire « il y a des desseins que nous ne pouvons pas comprendre et qui viennent de la Providence » (cf. Propos de Mgr Gänswein).
Si cette élection a placé cette rencontre sur le chemin de Benoît XVI, alors, au risque de passer pour naïve, incapable de déceler des manœuvres bien dissimulées, au risque de heurter des convictions, je n'hésite pas à dire que je suis reconnaissante à François.

François, une personnalité encore à déchiffrer

La personnalité de François est surprenante. Curé du monde, évêque de Rome, Souverain Pontife : je n'ai pas un grand sens de la hiérarchie mais elle ne m'a jamais gênée pendant ma carrière. Les supérieurs étaient des personnes que je respectais, me réservant toutefois le droit de manifester mes interrogations ou ma désapprobation au sujet de mesures prises.
Je m'intéresse beaucoup aux décisions de François en matière d'économie. Les articles ne suggèrent pas d'états d'âmes, des chiffres, des listes de noms, des dates et grâce à cela je mesure combien François est le « patron ». Je conseillerais à ceux qui jouissent des faveurs du moment de garder les pieds sur terre, des têtes apparaissent, sans durée fixée, rien n'est encore fini, mais certaines disparaissent aussi vite. François ne gardera pas un collaborateur s'il n'est pas satisfait de lui. Il tranchera dans le vif et sans aucun état d'âme, c'est la base de toute gestion dans le domaine des affaires publiques, système tant critiqué pour son manque d'humanité. Il veut des réalisations concrètes et se donne les moyens pour y parvenir. Je ne suis pas qualifiée pour juger de leur validité. Il y a beaucoup d'effervescence mais les résultats temporaires sont encore à peaufiner pour évaluer ce qu'ils pourront engendrer dans le futur. Pour les dernières décisions concernant l'économie, Sandro Magister signale que le secrétaire d'Etat a été prévenu comme les autres, sans aucune priorité, c'est tout dire: où est passé le rôle prééminent de celui que l'on nommait le n°2 du Vatican? C'est le début du renouvellement intérieur.

Quelles réformes pour l’Eglise?

La façade extérieure de l'Eglise est en train d'être ravalée, pourra-t-il aller beaucoup plus loin?
Je ne sais mais ce sont ces changements qui sont très sensibles à la foule de ceux qui ne jurent plus que par lui. Je n'aurais jamais pensé que le peuple des fidèles était affamé à ce point de manifestations chaleureuses, de besoin de reconnaissance. Le pli est pris et les prochaines canonisations, pour lesquelles on s'attend à 5 millions de fidèles à Rome, ne vont faire que renforcer cette fréquentation, remplir les confessionnaux (comme on l’affirme, sans que cela soit expressément prouvé).
Ce n'est pas en un an que l'on peut évaluer l'impact d'un pontificat, cela s'évalue sur la durée.
L'Eglise manque cruellement de prêtres, et ceux qui sont formés aujourd’hui ne seront opérationnels qu'au bout de longues années. Même les ordres religieux ne voient pas l'arrivée de novices pour apporter du sang neuf aux communautés vieillissantes. François n'a pas omis de le signaler aux visiteurs de Pologne, pays faisant figure d'exemple pour la catholicité, c’est dire!! Il faudra laisser du temps au temps pour évaluer les améliorations qui se manifesteront. Même Jean-Paul II très charismatique, qui avalait les kilomètres, allait porter la figure du Christ aux extrémités de la terre, n'a pas, en 25 années de pontificat, réussi à inverser la tendance. Bien sûr on peut se consoler en entendant un séminariste affirmer avec conviction qu'il doit sa vocation à « son pape » mais cela n'entérine pas un résultat quantifiable.

François parle beaucoup, peut-être trop. Certaines de ses petites phrases sont rattrapées par les médias qui se chargent, avec délectation, de les transformer en nouveaux axes du pontificat : le « qui suis-je » pour les homosexuels, les paroles d'humanisation pour les divorcés remariés, pour la morale sexuelle des couples et autres. Ils jouent avec les désirs des progressistes de tout poil pour tenter de peser sur les intentions du Pape et les infléchir dans le sens qu'ils désirent.
Et le cardinal Kasper, loin de tenir compte des critiques de François au sujet des calomnies, des jalousies, des rivalités, enfonce le clou et affirme avec une noble assurance ce qu'il veut pour l'Eglise. Il règle ses comptes avec Benoît XVI et avec tous ceux qui ne pensent pas comme lui : pour moi une attitude électoraliste, pas celle que je pourrais peut-être attendre d'un milieu religieux. On se fait à tout!
François écoute, reçoit beaucoup, tire ses conclusions, dit des paroles, rend des hommages très marqués, mais moi j'attends des faits. Pragmatique, sans illusions, je juge avec pièces sur table.
Lorsque le Synode pour la famille se tiendra, il faudra patienter, pour ceux qui sont concernés, encore un an, en 2015, pour constater les résultats, et encore. En définitive François tranchera en faveur de ce qu'il souhaitera vraiment et qui est peut-être déjà décidé en secret par lui. Je ne pense pas qu'il veuille changer le dogme, la doctrine de l'Eglise. Peut-être par des paroles par un accueil autre pense-t-il arriver à rendre moins seuls ceux et celles qui se sentent exclus. Ce que j'écris est une conviction toute personnelle, liée uniquement à mon bon sens.

Le « général » Bergoglio

J'ai apprécié l'article de Sandro Magister : «Bergoglio, le général qui veut vaincre sans combattre».
J'ai déjà dit dans une de mes lettres (cf. lettre du 15 janvier 2014) que le pape me faisait penser à un général mettant ses troupes en ordre de marche pour une grande bataille, avec au bout la réussite de ses intentions.

Sans doute me trouverez-vous bienveillante envers François. Mais non, je pense simplement qu'il est le Souverain Pontife et qu'il a le droit de vouloir changer la donne.
Les précédents pontificats du 20ème siècle ont vu un net déclin de l'Eglise. Les périodes traversées ont été très différentes mais le grand retour vers la mère Eglise, auquel Benoît XVI ne croyait d'ailleurs pas, ne s'est pas produit malgré des papes qui tous ont tenté d'élargir leur champ d'action en ouvrant l'Eglise au monde.
Je cherche à comprendre pourquoi. La vie civile a avancé à pas de géants, jetant aux orties toutes les barrières imposées par la simple morale, par le plus élémentaire civisme, interdisant d'interdire, starisant tous les interdits pour en faire des victoires soi-disant pour s'affirmer, pour une vie meilleure de plaisir, de totale liberté, de débordements de toutes sortes. Peut-être faut-il tenter une autre approche, sur une base inchangée mais moins rigoureuse, moins rugueuse en apparence? Je reprends les paroles de Benoît XVI : l'Eglise n'est pas nôtre, elle est de Dieu et c'est Lui qui guide, inspire celui qui mène la barque de Pierre.

Depuis un an, j’ai d’abord eu très mal, aujourd’hui je vois les choses plus sereinement, de façon moins douloureuse, mais c'est toujours vers Benoît XVI que je me tourne, avec autant de confiance, d'attention affectueuse et c'est lui qui me guide.

Mgr Xuereb

Mgr Xuereb a répondu à des questions pour Radio Vatican à l'occasion de cette première année de pontificat (http://fr.radiovaticana.va/).
Comme je m'y attendais il a parlé longuement et chaleureusement de ses années passées avec Benoît XVI et n'a pas caché sa profonde affection pour lui et la peine que lui a causée sa séparation d'avec lui. Il est auprès de François, sait fort bien que ses paroles seront lues et pourtant il s'exprime avec spontanéité. Il représente la figure intelligente capable de juger son nouveau maître sans se transformer en serviteur servile balayant d'un revers de manche les expériences qu'il a vécues auprès des prédécesseurs.
Une chose m'a un peu fait tiquer: Sandro Magister signale que la nomination de Mgr Xuereb comme Secrétaire général, bras droit du cardinal Pell, au secrétariat de l'économie, a "surpris" (cf. chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350740?fr=y). Bonne comme je suis, je serais fort étonnée que cette faveur reste uniquement à l'état de surprise et ne se transforme pas en un sentiment plus critique; là aussi l'avenir permettra de juger. Je souhaite, pour lui, me tromper, mais .....

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François n'est pas l'homme des grandes célébrations de dates personnelles. Il en allait de même pour Benoît XVI mais comme il vivait avec la famille pontificale, cette dernière recréait la vie comme « à la maison » et, dans la discrétion, l'année était marquée de fêtes, anniversaires, fêtes religieuses qui étaient autant de jours de joie. Lorsque le Seigneur paraissait dormir il y avait et il y a toujours autour de lui des présences attentives, aimantes, soucieuses de son bien-être. Sur ce plan François me paraît seul.

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Qu'il est triste de voir disparaître Mario Palmero, cet homme jeune, si courageux et qui laisse une famille à laquelle il va cruellement manquer. C'était une belle figure.

Jeannine