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La lettre de Jeannine du 24 février

Réformes au Vatican, le Consistoire, la joie de revoir le Pape émérite. Toute "notre" actualité de la dernière quinzaine (25/2/2014)

Chère Béatrice,

(..)
Présence de Benoît XVI dans Saint-Pierre : une joie mais aussi une interrogation pour moi, un pincement au cœur: quelle interprétation va en être donnée?

Réformes et crispations

Ce consistoire est à la base de beaucoup d'articles qui finissent par se répéter.
Dire qu'un vent du Sud souffle sur l'Eglise est une réalité qui était écrite dès la parution des noms des 19 nouveaux cardinaux, caractère irréversible puisque le tempo est donné. Le pape étant argentin il est presque normal qu'il s'entoure de collaborateurs ayant la même sensibilité que la sienne. Dans l'année 2014, dix membres du collège cardinalice vont avoir 80 ans et de nouveau on sera en-dessous du quota fixé.
Il est aisé de constater que, lors des approches sur un problème très sensible: celui des divorcés remariés (consistoire extraordinaire) des différences de position se sont manifestées radicalement, abruptement. Il y aura d'autres cas encore et peut-on toujours parler de consensus de la part de la curie; d'ailleurs il me semble que ce mot n'apparaît plus aussi souvent?
François appelle à "l'unité" et leur dit "Je vous demande de me demeurer proche" (La Croix). A seulement presque un an de pontificat cette demande pressante prouve bien, pour moi, que le consensus est moins fort. Devant la foule de questions présentées et la multitude de solutions envisagées certains sont allés jusqu'à dire que l'on se croyait revenu sous le précédent pontificat, une journée qui laisse à d'autres l'impression d'être devant une nébuleuse.
Plus le remaniement voulu par le pape va avancer et s'imposer à ceux qui sont extérieurs au C8, plus les crispations risqueront de se développer car il y aura bien d'autres problèmes sensibles.
Le programme de restrictions budgétaires annoncé par le cardinal Parolin (se traduisant entre autre par le gel des embauches et des primes parmi le personnel du Vatican), suscite des inquiétudes bien légitimes. D'après J-M Guénois ce document n'était pas destiné à être publié de suite, comme quoi la comm' du Vatican a encore besoin de s'améliorer!! Là, il n'est pas question de foi, de droit canonique, mais de retombées financières, très prosaïques, pour tout le personnel. Dans un monde où l'argent est tant brocardé mais néanmoins indispensable, il faut bien admettre que toute décision, même annoncée avec beaucoup de précautions, faisant appel à la raison, à la logique dans une politique de diminutions des dépenses, entraîne des questionnements, des inquiétudes. Ces emplois reconductibles d'année en année me paraissent contribuer à une certaine instabilité budgétaire pour les personnes qui sont concernées. Ce n'est que l'un des aspects du programme annoncé.

Le Pape émérite présent au Consistoire

(cf. Images du "Consistoire des deux Papes" )
La présence surprise de Benoît XVI, repérée trop tard pour que je suive le direct, m'a fait renouer avec mes anciennes habitudes : le revoir sur KTO et le vatican player. Pas de doute notre pape émérite était bien présent et en bonne forme. Benoît XVI dans la basilique pour le consistoire a dû batailler avant d'accepter. Mgr Gänswein, qui le connaît fort bien, le décrit avec respect, affection, mais ne le transforme pas en un homme facile à influencer, loin de là. Il a une volonté dure comme le roc et inutile d'essayer de le faire changer de décision; il suffit de remonter une année en arrière. Esprit clair, intelligence vive , grande mémoire, il trouve dans la prière les raisons qui le poussent à agir. Il en a toujours été ainsi, il ne faut pas oublier les nombreuses années passées à la tête de la CDF en étant en but à tant de critiques mais il tenait bon.

François a voulu qu'il vienne, très bien, mais pas question de pouvoir être regardé comme l'autre pape. Secret bien gardé, arrivée avec sa canne et avec Mgr Gänswein et le cardinal Sodano derrière lui sur la photo, on voit l'accueil des cardinaux qui viennent le saluer, s'incliner, embrasser son anneau, comme s'il revenait d'un long voyage: quelle part de sincérité? impossible de le dire mais les sourires sont très présents.
C'est une chose qui me surprendra toujours. Notre pape émérite est serein, souriant, mains tendues pour saluer ceux qui viennent vers lui. Après cette prise de contact Benoît XVI a gagné sa place, là où il voulait être: dans un angle ( quelle importance?), un peu à l'écart , mais au premier rang avec les cardinaux-évêques (merci pour la précision, je m'étais arrêtée à cardinaux) tous bien connus de lui : cardinal Bechara Raï, cardinal Bertone, cardinal Re, cardinal Sodano et trois autres dont je ne connais que les visages. Pour passer le plus inaperçu possible, un simple siège, comme pour les autres. Assis bien sagement, le livret de la cérémonie en main, lunettes sur le nez, remontées d'un petit geste discret, pas un regard à droite ou à gauche. Seul détail à noter, un cérémoniaire pontifical reste en retrait et va le raccompagner à la fin de l'office. Le sourire est doux et la belle chevelure blanche encadre le beau visage détendu, reposé, une véritable joie de le voir ainsi.

Lorsque la procession entre, l'assemblée se lève et Benoît aussi, sans sa canne. Il restera souvent debout pendant la cérémonie. François est le même, impassible, il a la férule de Paul VI, et avant de s'incliner devant l'autel il se dirige vers le pape émérite debout, calotte en main en signe de respect, d'humilité et d'effacement. L'accolade est chaleureuse, souriante puis François revient dans la célébration. Benoît XVI se recoiffe. Ainsi que le dit Philippine de Saint-Pierre, c'est un moment émouvant, attendrissant.
Quelques minutes plus tard Mgr Parolin prend la parole pour saluer Sa Sainteté mais aussi le pape émérite avec des paroles très bienveillantes. Benoît XVI est plongé dans le petit livret d'un grand secours en cas d'embarras, mais les applaudissements éclatent, intenses et Mgr Parolin arrête de parler. Notre Benoît, assis, lève la tête, un sourire timide sur le visage et remercie d'un geste discret de la main droite, le tout sous le regard ravi de François qui le fixe. La cérémonie se déroule normalement avec parfois la caméra qui s'arrête sur le Pape émérite, assis ou debout et qui participe pleinement à cet office, on voit ses lèvres remuer. Lorsque les nouveaux cardinaux s'approchent des anciens comme il est de coutume, il y a une nouveauté car, cette fois, c'est le Pape émérite, debout, qui est en tête de la série à rencontrer et qui accueille avec sourire et affection ses nouveaux frères.

A la fin de la célébration François vient le saluer avant de quitter la basilique : longue poignée de main, sourires: le Pape émérite, debout, a de nouveau ôté sa calotte blanche. A ce moment précis ce n'est pas le Pape que j'ai tant suivi que je vois, mais le cardinal Joseph Ratzinger, soutane noire, ceinture rouge, calotte de cardinal, rencontrant Jean-Paul II et se découvrant devant le "grand pape" qu'il servait si loyalement. Il remet sa calotte, le cérémoniare s'approche et Benoît XVI reprend sa canne.

La portée du geste de Benoît XVI

Lors des autres rencontres, à Castel Gandolfo, au Monastère, au Gouvernorat pour la bénédiction de la statue de Saint-Michel, Benoît XVI ne se découvrait pas.
Lors des rencontres amicales ils se voient entre "voisins". Au Gouvernorat il n'y avait pas de vraie cérémonie, quelque chose de plus simple, du monde dans un espace libre, un simple visiteur que l'on venait saluer avec déférence, sympathie, qui bénissait l'enfant présenté, la religieuse qui le lui demandait. Une photo est restée présente à ma mémoire: sur le grand espace vert, vide de présences, deux silhouettes blanches marchent l'une à côté de l'autre et là on a bien deux papes présents, image insolite.
Pour la célébration dans la basilique vaticane Benoît XVI a voulu marquer par son humilité, par son attitude très en retrait, par son total respect, que le Pape c'était François. Il reste fidèle à ce qu'il a promis: respect et totale obéissance. Calme, serein, effacé, tout ce que l'on pouvait attendre de lui. Je suis toujours aussi admirative.

Jean-Marie Guénois donne quatre interprétations à cette présence surprise du pape émérite:
1/ c'est sur invitation pressante de François que Benoît XVI est venu, aucun doute à avoir sur ce point : humilité et soumission pour s'unir à la vie de l'Eglise << par la prière >> et << pour l'Eglise >>
2 et 3/ sujettes à caution mais à signaler dans cette période un peu tendue du pontificat : remise en question de la validité de la renonciation car le pape allemand aurait agit sous pression (cf. Antonio Socci); nouvelle façon d'exercer le ministère pétrinien avec pour conséquence d'alimenter une dilution de la responsabilité papale au détriment de François.
4/ un message fort d'unité que les deux hommes entendent faire passer à tous les cardinaux qui font sentir qu'ils ont du mal avec les réformes que François veut mettre en place.

La « cohabitation » de deux Papes

Dès le début de son pontificat François a manifesté son souhait de rester en lien, en confiance, avec ce pape émérite à la personnalité si grande par son humilité, par sa sagesse, par son expérience immense faite d'un passé riche engrangé par une intelligence hors norme étendue à tant de domaines qui convergent tous vers le même but: la foi qui est la colonne vertébrale de l'Eglise qui est de Dieu mais trop humaine de par ses composantes. Il a visité tous les domaines, étudié les visages des autres Eglises, fait des synthèses, parcouru le monde pour sa fonction, mais l'amour du Christ, une famille unie, très croyante, la musique, les livres, la nature, la beauté qui nous entoure et qui parle de Dieu, ont constitué un rempart inébranlable contre toutes les formes d'adversité.
S'il n'y avait pas la silhouette blanche qui pourrait se douter que ce fidèle, anonyme, discret, est un immense théologien, toujours avide de se former, d'apprendre, de réfléchir. Dans l'avion de Rio, le Pape n'a pas fait mystère de son appréciation très favorable à l'égard de son prédécesseur et de son intention de rester en contact avec lui.

Les mois passent mais François ne souhaite pas l'isoler de cette Eglise que tous deux aiment avec leurs caractères si différents. Il m'arrive bien souvent de penser à ce qu'aurait pu être la vie du pape émérite, presque voisin d'un Saint-Père décidé à l'ignorer, craignant peut-être et bien à tort une intrusion dans son domaine. Si Benoît XVI a été décrit comme le dernier pape européen, si certains pouvaient craindre des interventions sourdes dans le gouvernement de l'Eglise, ils peuvent dormir tranquilles: le dernier consistoire n'a rien de ratzingérien. François écoute, prend des avis, réfléchit mais tranche en faveur de ce qu'il a décidé de faire. Cette présence effacée du pape émérite, voulue par lui, sait résister à François qui lui a conseillé de vivre, de venir au milieu d'eux.
Comme ce milieu fermé me paraît incompréhensible avec ses fourberies, cet esprit de "grande famille", les gestes répétés, presque par automatisme, suivant les circonstances avec les mêmes sourires. Bien évidemment il y a de la sincérité, de l'affection mais quelle est la part de spontanéité vraie?

L’après 11 février

Mgr Gänswein a été très sollicité aux alentours du 11 février. Il parle, avec liberté, de sa nouvelle vie, de celui dont il partage l'existence au Monastère. Il n'hésite pas à mettre en valeur le rôle indiscutable que la renonciation de Benoît XVI a joué dans la réussite médiatique de son successeur.
Le 11 février a retentit comme "un coup de tonnerre" dans la sphère catholique mais aussi bien au-delà d'elle. Beaucoup se sont sentis abandonnés, orphelins, ne sachant rien de l'avenir, ne cherchant pas à comprendre.
La décision de Benoît n'a pas été facile à admettre de par sa nouveauté, par sa soudaineté. Avant même d'analyser les faits j'ai su que, dès l'annonce, une page se tournait malgré les 17 jours de pontificat, sans modifications aucunes, qui allaient se dérouler. Tout était normal en apparence mais le vide était annoncé.
Il y a eu une période de flottement en attendant le conclave et le 13 mars a été la date qui a mis fin à cette attente. Pour beaucoup François a été celui qui a réveillé ceux qui dormaient, craignaient, il y avait de nouveau un pape pour prendre les affaires en main.
Là s'arrête mon analyse très personnelle car je ne sais rien du futur et je me borne à un aspect très médiatique du magistère. Une analyse plus approfondie n'est pas de mon ressort. Je me tiens au courant de l'actualité du Vatican, les habitudes prises me poussent à noter des nouvelles qui m'interpellent, je vois les choses avec un autre œil et mon grand souci reste Benoît XVI.

Les difficultés se profilent

Lorsque Jean-Marie Guénois dit que François s'use dans ce grand travail qu'il a entrepris, je veux bien le croire. Mgr Guido Marini l'aide beaucoup pour les marches à franchir.
Je me demande comment il supporte toute cette agitation, toute cette organisation à mettre en route. Il a une grande capacité de travail qui est peut-être pesante pour ceux qui l'entourent.

Je me demande également si, pendant le pré-conclave, l'ampleur de la réforme tant souhaitée a été correctement évaluée car il y avait une grande inconnue: qui serait le nouveau pape.
Que l'on soit pour ou contre lui, force est de constater que François a choisi d'aller très loin et le chemin en sera d'autant plus difficile.
Réformer, oui, mais changer les mentalités, marteler comme il le fait en insistant sur les commérages, les jalousies, les mauvaises paroles, cela montre bien l'écart qui existe entre la foule et la réalité qu'il perçoit dans le Vatican.
Le début du pontificat rempli de commentaires louangeurs, avec un consensus total des cardinaux, selon le P Lombardi, ne l'a pas préparé à des hiatus avec ses proches. Les hommes sont restés les mêmes. Je souhaite beaucoup de courage à ceux qui viennent d'être crées, le tableau et la conception très exigeante de leur charge ont de quoi décourager les plus ardents. L'homélie et l'Angélus du 23 février ont été un rappel à l'ordre des cardinaux, aussi bien pour les nouveaux que pour les autres. Ce n'est pas la première fois que l'on parle d'une opposition sourde mais maintenant elle commence à se manifester et François en appelle à l'unité.

Dommage que tous les médias se soient engouffrés dans le succès médiatique et aient gommé la possibilité des couacs qui allaient surgir inévitablement lorsque les questions qui fâchent seraient abordées. Pas besoin de connaissances particulières pour penser à ces évidences mais un solide bon sens qui sait bien que l'émerveillement n'est jamais éternel, je l'avais dit dans mes lettres. L'état de grâce ne dure pas toujours. Pour Benoît XVI il a été émaillé dès le début de dénigrements féroces avec cependant des jours de grand soleil. En dépit de cela il nous a donné des textes lumineux, un pontificat riche, dans lesquels revenait un leitmotiv: la joie de croire, une joie bien réelle pour lui malgré les zones d'ombre.

En vue du Synode sur la famille

J'ai une vision bien particulière de ce pontificat. Je suis toujours guidée par mon esprit critique, rationnel.
La réforme pour les divorcés remariés me paraît insoluble. Il y a tant de sensibilités différentes à satisfaire.
Je vis à côté de Versailles qui perd son côté vieillot dans tous les domaines. Sur les préparations au mariage 93% (ou 97%) viennent de jeunes vivant déjà en couple. Inutile de parler de la contraception, de la FIV, des divorces, des familles recomposées, des couples non mariés: la banalité de la vie de nos jours. D'ailleurs entendre parler de "mon mari " ou "ma femme" ne veut pas dire que l'on est en présence d' un vrai couple, le doute subsiste et je reste évasive pour éviter tout impair.

Le petit chat

Benoît XVI me manque toujours mais ma curiosité d'esprit me pousse à essayer de voir ce qu'est un pontificat différent du seul que j'ai suivi sans en perdre une bribe: le sien. Il a retrouvé la vie à laquelle il a toujours aspiré et je suis si heureuse de constater que cela lui convient.
J'ai beaucoup aimé les photos avec le chaton, le confort des bras avec des paroles douces c'est bien, mais s'agripper sur cette belle surface blanche s'avère tentant, la soutane immaculée en aura peut-être pâti, mais qu'importe, avec cette petite boule de poils dans les bras Benoît est heureux et c'est l'essentiel.
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A bientôt
Jeannine