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La loi de la transmission de la vie

Voilà ce qu'écrivait "La Croix" au moment de la parution d'Humanae Vitae (10/6/2014)

>>> Dossier: Humanae Vitae

     

Les éditions Bayard ont publié en 2010 un "pavé" de 786 pages intitulé: "La Croix : 50 ans d'histoire au quotidien" (www.amazon.fr/La-Croix-ans-dhistoire-quotidien/).

Quoi que l'on pense de la ligne de ce journal, les pages consacrés au Concile, et à l'époque qui a suivi, 50 ans après, ont un intérêt historique indéniable.
J'ai numérisé deux articles remontant à l'été 68, consacré à Humanae Vitae, et à sa réception.
Trente ans avant l'explosion d'Internet (où il suffit d'un clic de souris) transcrire un texte officiel de l'Eglise n'était pas aussi facile qu'aujourd'hui. La Croix avait eu l'honnêteté de proposer l'intégralité du texte à ses lcteurs, et de le présenter de façon équilibrée, avec un souci évident de pédagogie, selon le vocabulaire actuel.

Le premier de ces textes est du Père Antoine Wenger (1919-2009), rédacteur en chef jusqu'en 1969, et donc, comme il se définit lui-même "chroniqueur de Vatican II".

En plus d'une synthèse de l'encyclique, il raconte son accouchement difficile. Et on ne peut s'empêcher de trouver une ressemblance avec la situation actuelle, dans l'attente du Synode sur la famille, lorsqu'il écrit:

Pour examiner ces questions, le Pape avait institué une Commission pour l'étude des problèmes de la population, de la famille et de la natalité. La publication, il y a un an, du rapport de la majorité, avait fait du bruit. D'une part les conclusions de la Commission auraient dû rester secrètes et réservées au Pape. D'autre part le rapport de la majorité semblait favorable à la thèse de la fécondité globale du mariage, donc implicitement à l'usage de la pilule.

Et, plus loin:

Cette loi est dure, diront beaucoup. Le Pape le sait et c'est une des raisons de sa longue attente. Il a voulu que la réflexion fût aussi approfondie et la consultation aussi large que possible. Mais plus l'attente se prolongeait, plus il lui est apparu clairement que le plus grand service qu'il pouvait rendre à l'Église et à l'humanité tout entière, était de proposer à nouveau dans toute sa pureté, en tenant compte des récentes découvertes scientifiques, de l'évolution sociale et de l'appel accru à une paternité responsable, la doctrine constante de l'Église, qui, ne visant qu'au véritable bien de l'homme et de la famille, apporte au problème sa seule solution vraie et profonde.
(...)
Le silence prolongé, les discussions qui s'en sont suivies, les imprudences de tels théologiens ou moralistes ont pu donner l'impression à des foyers chrétiens que l'Église laissait le problème de la régulation des naissances à l'appréciation exclusive de leur conscience.

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Le second article est du théologien jésuite Gustave Martelet (1916-2014) , spécialiste de Teilhard de Chardin... et de Vatican II

     
LA LOI DE LA TRANSMISSION DE LA VIE
30 juillet 1968
Antoine Wenger

Très attendue, la déclaration de Paul VI sur le contrôle des naissances prend la forme d'une encyclique, Humanae Vitae. Dans son long éditorial, le PèreWenger est bien conscient que le «non» à la contraception qu'elle contient va être mal reçu. Il propose donc une présentation pédagogique du texte et s'efforce de faire comprendre les arguments du pape.

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Attendue depuis quatre ans, exactement depuis le 23 juin 1964, la déclaration de Paul VI sur la régulation des naissances est enfin rendue publique, sous forme d'encyclique (Humanae vitae), ce qui souligne le caractère doctrinal de l'enseignement proposé.
L'encyclique s'adresse aux membres de l'Église catholique, mais aussi à tous les hommes de bonne volonté. Les lois qui régissent le devoir de transmettre la vie sont les mêmes pour tous les hommes. Dans un domaine si personnel et si intime, l'Église n'a pas le droit d'imposer des obligations particulières. L'encyclique comprend trois parties : 1. les aspects nouveaux du problème et la compétence du Magistère; 2. les principes doctrinaux; 3. les directives pastorales.
Dans la première partie, Paul VI expose brièvement les données qui ont amené l'Église à repenser le problème de la transmission de la vie: explosion démographique; nouvelle manière de comprendre l'amour des époux et la personne de la femme; découvertes de la science; idées nouvelles sur la fécondité du mariage comprise dans une perspective de totalité : ne pourrait-on pas admettre, se demandaient certains, que la finalité de procréation concerne l'ensemble de la vie conjugale plutôt que chacun de ces actes ? Pour examiner ces questions, le Pape avait institué une Commission pour l'étude des problèmes de la population, de la famille et de la natalité. La publication, il y a un an, du rapport de la majorité, avait fait du bruit. D'une part les conclusions de la Commission auraient dû rester secrètes et réservées au Pape. D'autre part le rapport de la majorité semblait favorable à la thèse de la fécondité globale du mariage, donc implicitement à l'usage de la pilule. À ce propos, il convient de citer le texte très clair de Paul VI dans la nouvelle encyclique : «Les conclusions auxquelles était parvenue la Commission ne pouvaient être considérées par Nous comme définitives, ni Nous dispenser d'examiner personnellement ce grave problème, entre autres parce que le plein accord n'avait pas été réalisé au sein de la Commission sur les règles morales à proposer; et surtout parce qu'étaient apparus certains critères de solution qui s'écartaient de la doctrine morale sur le mariage, proposée avec une constante fermeté par le Magistère de l'Église »
Car l'Église se considérant la gardienne et l'interprète authentique de toute la loi morale, non seulement de la loi évangélique mais encore de la loi naturelle, a toujours proposé un enseignement cohérent sur la nature du mariage ainsi que sur les droits et devoirs des époux.
Dans la deuxième partie, Paul VI formule les principes moraux qui fondent la doctrine de l'Église en ce domaine. Puisque le problème de la régulation des naissances a été reconsidéré à la lumière des nouvelles données de la sociologie, de la psychologie et de la théologie sur l'amour conjugal et sur la parenté responsable, le Pape examine ce que sont le véritable amour conjugal et une authentique parenté responsable. L'amour conjugal est un acte humain total, fidèle et exclusif, fécond. «Les enfants sont le don le plus excellent du mariage et ils contribuent grandement au bien des parents eux-mêmes.» Cette phrase est une citation de la constitution pastorale L'Église dans le monde de ce temps. Le chroniqueur de Vatican II se souvient que le Pape avait demandé l'insertion de cette phrase dans le chapitre sur le mariage. J'étais reçu ce jour-là en audience par Paul VI. Le Pape me confia que cette précision lui paraissait essentielle parce qu'elle était la clé du document sur la régulation des naissances dont il s'était réservé l'étude. Il faut, disait-il, que le texte du Concile s'inscrive dans la ligne de la doctrine traditionnelle de l'Église et laisse au Pape la liberté pour la solution que l'étude et la prière lui dicteront, quand le moment de parler sera venu.
L'encyclique insiste donc sur ce point. Union et procréation sont, dans l'ordre de la nature, deux aspects indissociables. Aussi bien, 1'Église rappelant les hommes à l'observation de la loi naturelle, enseigne que tout acte matrimonial doit rester ouvert à la transmission de la vie.
Ces principes rappelés, l'encyclique énumère les moyens illicites de régulation des naissances, comme l'avortement et la stérilisation. À propos de ce que l'opinion appelle les contraceptifs (dont le terme n'est pas employé), l'encyclique affirme : « Est exclue également toute action qui, soit en prévision de l'acte conjugal, soit dans son déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation».
L'encyclique affirme par contre la licéité du recours aux périodes infécondes. Mais, objectera-t-on, le but dans ces deux cas n'est-il pas le même? C'est vrai, répond le Pape, mais il existe entre les deux cas une différence essentielle : dans le premier cas, les conjoints usent légitimement d'une disposition naturelle; dans l'autre, ils empêchent le déroulement des processus naturels. L'argumentation repose ici encore sur l'ordre naturel, fondement è la loi morale naturelle dont 1'Église se considère l'interprète en vertu du mandat qu'elle a reçu du Christ d'enseigner tout ce qui est nécessaire au salut.
Cette loi est dure, diront beaucoup. Le Pape le sait et c'est une des raisons de sa longue attente. Il a voulu que la réflexion fût aussi approfondie et la consultation aussi large que possible. Mais plus l'attente se prolongeait, plus il lui est apparu clairement que le plus grand service qu'il pouvait rendre à l'Église et à l'humanité tout entière, était de proposer à nouveau dans toute sa pureté, en tenant compte des récentes découvertes scientifiques, de l'évolution sociale et de l'appel accru à une paternité responsable, la doctrine constante de l'Église, qui, ne visant qu'au véritable bien de l'homme et de la famille, apporte au problème sa seule solution vraie et profonde.
Il y aura des incompréhensions. Mais l'Église sait qu'à la ressemblance de son divin Fondateur elle est un signe de contradiction. Elle sait qu'en défendant la morale conjugale dans son intégralité, elle contribue à l'instauration d'une civilisation vraiment humaine.
Le silence prolongé, les discussions qui s'en sont suivies, les imprudences de tels théologiens ou moralistes ont pu donner l'impression à des foyers chrétiens que l'Église laissait le problème de la régulation des naissances à l'appréciation exclusive de leur conscience. Cela est certes un problème de conscience. Mais Vatican Il avait déjà rappelé que, dans ce domaine, « la moralité du comportement ne dépend pas de la seule sincérité de l'intention et de la seule appréciation des motifs, mais doit être déterminée selon des critères objectifs tirés de la nature même de la personne et de ses actes... » Et le Concile ajoutait : « En ce qui concerne la régulation des naissances, il n'est pas permis aux enfants de l'Eglise, fidèles à ces principes, d'emprunter des voies que le Magistère, dans l'explication de la loi divine, désapprouve. »
Dieu n'a pas posé de lois impossibles. L'observation de cette loi requiert maitrise de soi et dans la société un climat favorable à l'éducation de la chasteté. Paul VI se permet de rappeler aux gouvernants combien une législation conforme à l'ordre moral est bienfaisante pour la société et pour les personnes. Il adresse un appel aux hommes de science à poursuivre leurs recherches qui permettraient enfin de tirer au clair les diverses conditions favorisant une saine régulation de la procréation humaine. Il s'adresse aux époux, aux Associations de foyers, aux médecins, aux prêtres, aux évêques. À ceux-ci il demande de considérer leur vigilance pastorale en vue de sauvegarder la sainteté du mariage comme l'une des responsabilités les plus urgentes du moment. Cette tâche comporte une action pastorale concertée dans tous les domaines de l'activité humaine, économique, culturelle et sociale. Aux prêtres, conseillers et guides spirituels des personnes et des foyers, le Pape demande un assentiment loyal au Magistère de l'Église et qu'ils parlent, dans le domaine de la morale comme dans celui du dogme, un même langage. Ils ne seront pas pour autant le juge qui condamne mais l'ami qui, par les sacrements et par cet enseignement, apportera aux foyers l'aide efficace pour un progrès constant et un épanouissement plénier. « Parlez avec confiance, dit le Pape aux prêtres, bien convaincus que l'Esprit de Dieu, en même temps qu'il assiste le Magistère dans l'expression de la doctrine, éclaire intérieurement les cœurs des fidèles en les invitant à donner leur assentiment. »
C'est à cet appel que nous répondons en publiant le texte intégral de l'encyclique. Un texte fruit de longues recherches, objet de tant de prières et de souffrances, mérite une lecture attentive, sous le regard de Dieu et le jugement de la conscience. La grâce aidant, l'esprit et le cœur seront sollicités et conduits à l'assentiment, car si la doctrine de l'encyclique sur le mariage et sur l'amour est exigeante, c'est parce qu'elle repose sur une idée de l'homme et de la vie humaine qui est la plus haute et de ce fait la plus vraie.

LE DEVOIR ET LE DROIT DU PAPE
9 août 1968
Gustave Mertelet

Humanae Vitae a provoqué un immense débat au sein du monde catholique. Le Pape pouvait-il prendre position sur le sujet de la contraception? Et un catholique a-t-il le devoir d'obéir? Le théologien répond, dans ce bref article, aux questions que tant de chrétiens se sont posées

Pourquoi le Pape avait-il le droit de parler et un catholique a-t-il le devoir d'obéir? Cette double question, qui m'a été posée publiquement l'autre jour à la radio, est bien une question capitale. Je voudrais essayer d'y répondre ici autrement que dans l'improvisation toujours un peu hâtive d'une table ronde. La réponse tient à vrai dire en quelques mots, si simples qu'ils ne viennent pas aussitôt à l'esprit : Dieu est Amour; l'homme doit le devenir à son tour; l'Église est faite pour l'y aider. Le Dieu que l'Église prétend servir visiblement sur terre est en lui-même Amour, comme nous le dit saint Jean. Il l'est vraiment comme échange éternel de vie dans sa Trinité même. Il l'est aussi dans la création qu'il suscite, nous donnant d'exister pour nous communiquer ainsi le bonheur de faire ce qu'il fait vivre en aimant et faire rayonner par amour cette vie.
Créé donc à l'image de Dieu, l'homme n'a pas d'autre vocation que l'amour. Il est couple en vue de pouvoir découvrir qu'il est fait pour aimer et pour donner dans son amour la vie. Pouvoir de communion d'amour et de communication de vie, la sexualité répond vraiment en l'homme aux profondeurs de Dieu. Le fait que l'homme est couple signifie qu'il ne saurait être lui-même une personne sans avoir comme Dieu le pouvoir conjugué de recevoir et de donner. Ainsi l'homme et la femme sont-ils, en leur amour de communion intime et de vie suscitée, ressemblance authentique de Dieu.
L'Église de Jésus-Christ est donc la servante du Dieu qui sauve son image en l'aidant à réaliser sa grandeur. Comme la vraie menace à laquelle nous sommes finalement exposés, est de ne pas savoir aimer et peut-être parfois de ne plus même désirer le faire, la leçon constamment rappelée par l'Église sera, en Jésus-Christ, la leçon d'un amour que ne doit lasser ni le poids du conjoint, ni celui de l'enfant, ni celui de nul autre. Par ailleurs, l'homme acquérant et devant acquérir des pouvoirs nouveaux, il doit apprendre aussi à les mettre au service de l'amour, à ne jamais les tourner contre lui. C'est pourquoi, en un moment aussi décisif de l'acquisition de la puissance humaine et donc de son rapport nécessaire à l'amour, l'Église rappelle à l'humanité conjugale une loi immanente à tout acte d'amour, qui est de ne jamais violenter son rapport intérieur à la vie.

Si le Pape vient de parler de la contraception, d'une façon apparemment inattendue, c'est qu'elle était en train de se voir justifiée dans l'Église comme une valeur de l'amour, alors qu'elle est de soi la contradiction de la vie qui lui est confiée. Sans doute le Pape a-t-il parlé sans entrer dans toutes les nuances qu'exigera la pédagogie des personnes, qu'il suppose toujours. Il a plutôt parlé en pédagogue de l'humanité tout entière. Il lui a dit de ne pas engager ses puissances d'amour dans un chemin où, désirant servir la vie, elle la détruirait à coup sûr. Comprise pour ce quelle est, cette parole apparait donc incontestable, et c'est le silence du Pape qui aurait fait problème dans une Église qui doit servir l'amour. Plus encore que le droit de parler, il avait donc aussi le devoir de le faire. Répondre autre chose que oui ! est dès lors impossible au chrétien. Il répond oui ! par respect pour l'autorité que possède, à ses yeux, le successeur légitime de Pierre, mais il le fait non moins aussi par fidélité à cet amour qu'il aurait pu, sans le vouloir, objectivement trahir. L'obligation qui saisit à cette heure un chrétien, n'est donc pas une obligation légaliste, c'est une obligation d'amour. Ou, si l'on veut qu'il y ait à tout prix légalisme - car l'amour, lui aussi, a ses lois -, ce légalisme c’est celui de l'amour. Il consiste en la volonté décidée de ne rien se permettre qui puisse finalement interdire à l'amour d'exister et de faire exister.
La morale rappelée par le Pape est donc une morale grandement exigeante, mais sa grandeur et ses exigences ne sont rien d'autre, au fond, que celles mêmes de l'amour. Qui ne l'a pas compris ne saurait encore y entrer. Mais quiconque, au contraire, le pressent, le découvre ou déjà le sait, se soumet, non par crainte, inconscience, platitude ou défi. Il le fait et désire le faire toujours plus par respect de l'amour auquel, homme ou femme, il s'est livré dans le mariage pour toujours. Aussi bien, qui veut vraiment aimer peut vouloir obéir et découvre librement qu'il le doit. Mais, ce faisant, il n'obéit finalement qu'à l'Amour lui-même et, se livrant à ses profonds vouloirs, il s'abandonne aussi à ses inépuisables pardons.