Accueil

L'Eglise à la veille d'un schisme?

C'est la question que se posait le Prof. Roberto de Mattei, lors d'une conférence à Rome le 4 juin dernier (13/6/2014).

Certains penseront que je relaie ici (à tort) une critique à peine implicite au Pape Benoît.
Rien n'est plus éloigné de ma pensée. Je dirais presque que si on l'aime, on a le devoir d'essayer de comprendre les réserves que l'on peut formuler sur son geste du 11 février 2013. C'est le prix à payer pour rester crédible. Cela n'enlève rien à mes sentiments pour lui, mais ceux-ci ne m'empêchent de faire marcher ma raison - ce que j'essaie de faire depuis un peu plus d'un an (... enfin, avant aussi!!) - et il serait sans doute le dernier à s'en formaliser

La conférence du Prof. de Mattei (qui se qualifie lui-même de catholique intransigeant) est disponible en DVD (en italien) sur le site de la Fondation Lépante , où on peut l'acheter moyennant une participation qu'on est libre de fixer.
Le site en propose gratuitement huit minutes (les huit premières?) que j'ai transcrites et traduites.
Les références ont toutes été explorées en détail par moi dans ces pages (en particulier ici: "L'affaire" Antonio Socci), et c'est d'autant plus passionnant.

J'ajoute qu'il n'est nul besoin d'être un italianisant pointu pour suivre la conférence: en vrai professeur, soucieux d'être compris de son auditoire (comme un certain Joseph Ratzinger...) , Roberto de Mattei s'exprime dans une langue élégante mais simple, sans jargon d'initiés, sans néologismes intraduisibles ni fioritures, et son élocution est sublime..

     
     

Transcription

Le professeur de Mattei pose la question: l'Eglise est-elle à la veille d'un schisme?
Une question, dit-il, dont on ne parle désormais plus seulement à voix basse.
Il cite un prêtre espagnol connu, le Père Santiago Martino , qui a consacré récemment à cette interrogation une conférence, évoquant le cas Kasper (traduite ici en partie par Carlota:
Amour, vérité et miséricorde (la vraie)).

Ce sont d'après lui ceux qu'il appelle les "normalisateurs" qui repoussent l'idée de schisme, "ceux pour qui il n'arrive jamais rien d'exceptionnel". Pour eux, tout est toujours "affaires courantes".


* * *

Il y a des gens qui, s'ils s'étaient trouvés à Paris le 14 juillet 1789, auraient dit "affaires courantes".
Les hommes médiocres tendent à s'habituer à tout.
Les grands esprits, au contraire (grands dans le bien et dans le mal) comprennent le sens profond des évènements, comme Goethe, qui ne se trouvait pas à Paris le 14 juillet 1789, mais à Valmy, le 20 septembre 1792, quand l'armée révolutionnaire réussit à arrêter l'avancée des prussiens, et prononça ces mots célèbres: "en ce lieu et ce jour commence une ère nouvelle dans l'histoire du monde".

Pour les hommes médiocres, tout est normal.
Les grands esprits, au contraire, sont capable de percevoir l'exceptionnel dans l'histoire, d'en mesurer d'un coup d'oeil la portée et les conséquences. Et il y a des jours et des évènements qui changent l'histoire.

Et l'un de ces évènements a été le 11 février 2013 l'acte de renonciation au Pontificat de Benoît XVI.
Un acte non pas ordinaire, mais exceptionnel, l'acte qui a changé l'histoire de l'Eglise.
L'exceptionnalité ne réside pas seulement dans la renonciation, qui est un évènement en soi légitime, mais malgré tout exceptionnel car c'est la première fois qu'il intervient après six cents ans. Mais elle réside surtout en ce qu'il n'y a pas de commune mesure entre l'exceptionnalité de ce geste et la banalité des raisons adoptées pour le justifier (cf. la lettre de Benoît XVI à Tornielli).

Les explications données par le Pape Benoît XVI lui-même sont tellement ordinaires, tellement banales, que beaucoup de catholiques, ne pouvant réfuter le fait, on imaginé que derrière les motivations officielles, il y avait en réalité des raisons cachées, des raisons plus profondes. Certains ont parlé d'une très grave maladie du Pape, d'autres de chantage moral qu'il aurait subi, de pressions politiques, de complots internes ou externes à l'Eglise, ou d'un plan organisé utilisé par le Pape Benoît XVI lui-même pour diriger l'Eglise d'une manière nouvelle (ndlr: Socci et Messori, mais à cela, je ne crois vraiment pas).
Et à l'exceptionnalité de la renonciation s'est ajoutée l'exceptionnalité des évènements qui ont suivi.
Le Pape Benoît a conservé en effet le titre de "pape émérite" et l'habit blanc, donnant l'impression d'être encore d'un certaine façon pape. Et cela aussi a été un fait exceptionnel, qui a contribué à rendre l'horizon confus.
Les médias catholiques (et aussi non catholiques) eux-mêmes, ont été contraints de relever cette anomalie.
Un journaliste catholique connu, Antonio Socci, en février de cette année, a publié sur le quotidien Libero une enquête en quatre volets soulevant la question de la coprésence de deux papes dans l'enclos de Pierre. Et plus récemment le 28 mai, sur Il Corriere della Sera, est intervenu Vittorio Messori, allant jusqu'à dire que pour la première fois dans l'histoire, il y aurait dans l'Eglise deux Papes: le régnant, et l'émérite. S'appuyant sur une étude d'un professeur de droit canonique de Bologne, Messori soutient que le Pape Benoît n'aurait pas renoncé au munus pétrinien, c'est-à-dire à l'office du successeur de Pierre, mais qu'il aurait renoncé seulement au ministerium, c'est-à-dire au ministère actif de gouvernement, se réservant l'exercice passif du munus lui-même. Hypothèse inacceptable du point de vue de la doctrine catholique, mais qui confirme, par le fait même d'avoir été soulevée, l'état d'exception dans lequel nous nous trouvons.

Et le 27 mai, dans le voyage de retour de Terre Sainte, à un journaliste qui lui demandait s'il pourrait y avoir pour lui aussi une renonciation au Pontificat, le Pape François a répondu en ces termes: "Je pense qu'un évêque de Rome, s'il sent ques ses forces diminuent devrait se poser les mêmes questions que s'est posé le Pape benoît. Il y a 70 ans, les évêques émérites n'existaient pas. Que se passera-t-il avec les Papes émérites? Nous devons regarder Benoît XVI comme à une institution, il a ouvert une porte, celle des Papes émérites". Et il a ajouté: "La porte est ouverte, y en aura-t-il d'autres ou non, Dieu seul le sait".

Que la porte soit ouverte, non seulement des papes émérites, mais en paroles, gestes, initiatives inattendues qui bouleversent le cadre des évènement, le temps semble s'être accéléré après la renonciation de Benoît XVI et l'élection du Pape François, et les questions que se pose chaque catholique se multiplient.

La renonciation de Benoît XVI au Pontificat semble avoir assumé une signification historique, analogue à celle de la chute du Mur de Berlin en 1989, ou de l'écroulement des Twin Towers le 11 septembre 2001. Dans ce cas, l'écroulement, ou l'apparente désintégration, n'est pas celui d'un édifice, mais d'une institution, la Papauté, considérée évidemment dans sa dimension de pouvoir humain, et non de Corps mystique du Christ. Mais la renonciation de Benoît XVI apparaît comme un acte d'impuissance, dont la papauté comme institution sort affaiblie, plus fragile, plus vulnérable aux attaques internes et externes.

Dans cette situation d'affaiblissement objectif de la papauté, évoquer la possibilité d'un schisme n'est pas une provocation, ou un scandale. Ce sont les conclusions logiques auxquelles peut arriver un observateur attentif de l'histoire de l'Eglise, autrement dit un fidèle qui dans les temps de crise ne renonce pas à exercer la faculté la plus haute que Dieu nous a donnée, qui est celle de la raison.