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L'argent est un outil, pas la racine du mal

Ettore Gotti Tedeschi répond à l'homélie enflammée prononcée lors de la liturgie de la Passion par le Père Cantalamessa (22/4/2014)

Un Échevin et sa femme

Marinus van Reymerswaele (1490-1546), Musée des Beaux-Arts, ville de Nantes)

     

Vendredi 18 avril, François présidait dans la Basilique Saint Pierre la liturgie de la Passion, et selon la coutume, c'est le prédicateur de la Maison Pontificale, le Père Cantalamessa, qui a tenu l'homélie.
A propos de la figure de Judas, il s'en est pris avec virulence à l'argent, selon lui racine de tous les maux, le vrai concurrent de Dieu, et à cette référence près, l'homélie (certes en partie défendable...), par certains aspects, ne serait pas désavouée par le NPA d'Olivier Besancenot.

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Derrière chaque mal de notre société il y a l’argent, ou du moins il y a aussi l’argent. .. Qu’y a-t-il derrière le commerce de la drogue qui détruit tant de vies humaines, l’exploitation de la prostitution, le phénomène des différentes mafias, la corruption politique, la fabrication et le commerce des armes, voire même – chose horrible à se dire – derrière la vente d’organes humains enlevés à des enfants ? Et la crise financière que le monde a traversé et que ce pays traverse encore, n’est-elle pas due en bonne partie à cette « exécrable avidité d’argent », l’auri sacra fames, de la part de quelques uns ? Judas commença par soutirer un peu d’argent de la caisse commune. Cela ne dit-il rien à certains administrateurs de l’argent public ?

Mais sans penser à ces moyens criminels pour accumuler de l’argent, n’est-il déjà pas un scandale que certains perçoivent des salaires et des retraites cinquante ou cent fois supérieurs aux salaires et retraites de ceux qui travaillent à leurs dépendances et qu’ils élèvent la voix dès que se profile l’éventualité de devoir renoncer à quelque chose, en vue d’une plus grand justice sociale ?
(http://fr.radiovaticana.va).

Cette philipique a sans doute agacé Ettore Gotteschi, qui répond sur La Bussola.

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L'argent est un outil, pas la racine du mal

Ettore Gotti Tedeschi
22/04/2014
http://www.lanuovabq.it/
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Plusieurs quotidiens du samedi 19 Avril (La Repubblica et Il Corriere) rapportent de manière fragmentée, certains passages de l'homélie que le Père Cantalamessa (prédicateur du pape) a tenu lors de la célébration du Vendredi Saint à Saint-Pierre.
On y lit: «Le véritable ennemi de Dieu n'est pas Satan, mais l'argent», «L'argent, le vrai ennemi, le rival de Dieu dans ce monde», l'attachement à cet «anti-Dieu» est «la racine de tous les maux».
On signale aussi des références à Judas, aux salaires exorbitants des super manager, au lien entre avidité d'argent et traffic de la drogue, de la prostitution, des armes et même des organes humains. La crise financière elle-même serait dûe à la «cupidité de quelques-uns».
Connaissant personnellement le P. Cantalamessa et ayant pour lui une estime illimitée, à cause de cette estime, je me permets de proposer des «intégrations» à ce que j'ai lu.

1. La théologie et la tradition de l'Église, enseignent que l'histoire est faite de trois événements-clés: la Création, le Péché originel et la Rédemption. De ces trois événements, nous tirons la synthèse que depuis le début des temps l'homme est déchiré entre Dieu et Satan. Ce conflit fait l'histoire, l'«argent vil» est juste un instrument, parmi d'autres, avec lequel le conflit a lieu. Pour vaincre dans ce conflit surhumain, l'homme doit savoir (comme la théologie l'enseigne) comment inspirer le sens de sa propre vie et de ses actions (y compris la production et l'utilisation de l'argent, qui n'est qu'un instrument dans ses mains, en soi ni bon ni mauvais). Mais l'homme doit aussi apprendre à lutter, inspiré par la Passion du Christ. Quand l'homme perd les valeurs et les références fortes, et s'affaiblit, ce sont les comportements imposés par le monde qui inspirent ses idées, le sens de sa vie.

Le comportement matérialiste, hédoniste, l'attachement aux biens et leur utilisation mauvaise, est une conséquence de la perte du sens de la vie, perte du bien et victoire du mal. Toujours la théologie, et le Magistère de la sainte Église, expliquent que l'homme en vient à idolâtrer l'argent et les biens lorsqu'il «s'alimente» de façon déséquilibrée. Je veux dire par là que l'homme a besoin de trois aliments: celui corporel et matériel, celui intellectuel et celui spirituel. Si l'un des trois vient à manquer, l'homme est déséquilibré. Si la nourriture spirituelle et intellectuelle manque, l'homme se satisfait seulement matériellement, il s'animalise. Mais qui ne lui a pas fourni les deux autres aliments?

Ces derniers mois, je crois que ce n'est pas le «mal» qui est devenu plus fort, je crois que c'est l'homme qui est devenu plus faible en s'alimentant de moins et moins intellectuellement et spirituellement. Je crois qu'il ne suffit pas de montrer à l'homme les conséquences négatives produites par l'angoisse des satisfactions matérielles, et donc d'argent, de même que je ne crois pas qu'il suffit de souligner les souffrances et les injustices et de crier au scandale. Il faut d'abord comprendre et expliquer pourquoi il y a le mal, et, comme conséquence, pourquoi il y a de l'injustice et les souffrances, la mauvaise utilisation des ressources, y compris l'argent. La nature n'a pas été corrompue par l'avidité d'argent, mais, il me semble, par l'orgueil.

2. L'argent est un instrument, comme beaucoup d'autres (tels que les sciences, la technologie, la médecine, la biologie, la politique, l'économie ...), dans la main de l'homme, il peut être bien produit, bien géré et bien utilisé , produisant ainsi de bonnes choses pour de bonnes fins. C'est depuis le troisième siècle après JC que l'on discute sur l'argent, que l'on pense à Clément d'Alexandrie (vers 150-230, grec, Père de l'Eglise), qui l'avait bien compris et expliqué.
L'argent est utile pour soutenir les oeuvres d'évangélisation, et aussi pour le distribuer aux pauvres. Mais d'abord, il doit être produit par quelqu'un. C'est l'homme qui le crée et l'utilise, qui lui donne un sens, bon ou mauvais. C'est donc l'homme qui en fait un bon ou un mauvais outil. Et c'est donc l'homme qui le façonne.

C'est le péché qui transforme un outil neutre en quelque chose de pervers qui va contre l'homme lui-même.
Déjà Jean-Paul II dans Sollecitudo rei socialis avait prophétisé que l'homme immature dans la connaissance perdrait le contrôle des outils à sa disposition.
Et Benoît XVI dans Caritas in Veritate explique pourquoi et comment les outils (économiques et financiers) prennent une autonomie morale et nuisent à l'homme. Il explique également que lorsque les outils ne fonctionnent pas, ce ne sont pas les outils qu'il faut changer, mais l'homme qui les utilise.
Caritas in Veritate fait ensuite bien réfléchir sur le fait que la crise financière actuellement en cours n'est pas due à l'avidité d'argent de quelques-uns, mais à la négation des lois naturelles qui gouvernent la Création et à la négation de la dignité de l'homme comme enfant de Dieu.
La crise actuelle est morale, fruit du nihilisme qui semble désormais avoir corrompu la pensée et la capacité d'action des hommes. L'homme a besoin d'un guide moral, dit le Pape François dans Lumen Fidei, il a besoin de sacrements, de magistère et de prière.