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Le patriarche Cyrille et la crise ukrainienne

Le patriarche de Moscou était absent lors du grand discours de Vladimir Poutine du 18 mars. Arrière-plan, sur le site AsiaNews. Traduction de Carlota (23/3/2014)

>>> Voir aussi: Désinformation sur l'Ukraine

>>> Le discours de Poutine devant la Douma: www.legrandsoir.info (et la video: http://youtu.be/XpKZzpzmktY)

     

Je ne m’avancerai surtout pas à juger la crise Ukraino-criméenne, je suis française.
Par contre je peux dire que je suis totalement opposée aux valeurs que m’impose un Occident inféodé au Nouvel Ordre Mondial. Je souhaite donc aux Ukrainiens qui espèrent mieux vivre dans leur pays, de ne pas en devenir eux aussi les victimes, en servant comme « idiots utiles », et aux gréco-catholiques de ne pas être de nouveau sacrifiés, alors qu’ils ont déjà tant souffert de se trouver à la ligne de partage de l’Europe Latine et de l’Europe byzantine.

Voici l’analyse, sur AsiaNews, d’un certain Vladimir Rozanskij (en espagnol ici) - un journaliste qui ne semble pas précisément pro-Poutine, mais qui apporte un éclairage intéressant.

Comme catholique je dirais que l’on arrive peut-être au bout d’une logique du monde orthodoxe : on ne peut pas être indépendant religieusement parlant (sachant que les situations parfaites n’existent pas sur terre) sans une réelle distinction entre ce qui revient à César et ce qui est à Dieu, et le Christ nous l’a bien dit avec la pièce de monnaie.
(Carlota)

     

L'annexion de la Crimée effraie Cyrille

Vladimir Rozanskij
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Cyrille, le patriarche de Moscou, absent au grand discours de Poutine à la Douma. Alors que la Russie marche sur les traces de l'empire d'Ivan le Terrible, les Eglises orthodoxes d'Ukraine sont poussées vers l'autonomie par Moscou. Le Patriarcat de Moscou risque d'être une minorité au prochain Concile pan-orthodoxe.

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Quand le 18 mars dernier, le président russe Vladimir Poutine a adressé au Parlement Fédéral son discours passionné sur la défense de la Grande Russie, pour justifier l’annexion de la Crimée, les regards des personnes présentes dans les premières rangées ont trahi une insolite préoccupation.

Le silence de Cyrille est assourdissant
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Aux pieds du président (Poutine), entre les turbans de l’imam et le cylindre du rabbin, on notait l’absence de la tiare blanche du patriarche [de Moscou] Cyrille.
Ce n’est que deux rangs plus loin qu’on pouvait voir la sombre mitre voilée de son vicaire, le vieux métropolite Youvenali, envoyé pour représenter l’Église Patriarcale dont la bénédiction était indispensable pour confirmer la nécessaire réappropriation de la « terre sainte » de Crimée.
L’absence de Cyrille a été justifiée par son porte-paroles avec d’incertaines références à son état de santé (mais il s’avère que le jour précédent il avait présidé une longue célébration) et au pieux silence de carême (qui devrait aussi valoir pour Youvenali). En réalité l’absence de bénédiction de Cyrille démontre l'embarras extrême du Patriarcat de Moscou face à la crise ukrainienne, qui risque de secouer jusqu'aux armatures des institutions ecclésiastiques, et mettre en l’air les perspectives de développement qu’avec ténacité Cyrille a construites ces dernières années. Il semble que Poutine, cette fois, a été trop loin, même pour ses pères spirituels.

La Grande Russie ? Oui, mais pas comme cela
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Ce n’est pas que Cyrille manque de patriotisme. Il en est même l’un des principaux gardiens et propagandistes.
Déjà, à l’époque de Gorbatchev et d’Eltsine, celui qui était encore le métropolite Cyrille Gundyaev s’était montré comme l’inspirateur d’une nouvelle idéologie d’état postsoviétique, basée sur la restauration idéale de la Sainte Russie, vue comme État-Église, capable de défendre à l’intérieur de la patrie et à l’étranger les valeurs chrétiennes dans un monde sécularisé.
Cyrille exprime la réincarnation du modèle dit « joséphilien », du nom du moine Joseph de Volokolamk (saint orthodoxe ) qui en 1500 créa l’idée de l’Église «constitutive de l’État», une des expressions favorites de l’actuel patriarche, un idéal réalisé ensuite par le tsar Ivan le Terrible … qui est la véritable figure de référence de son actuel successeur Poutine (je laisse cette affirmation à l’auteur de cet article. Mais je pense que cela manque de nuance).
Mais aujourd’hui, alors que 95% des Russes de Crimée approuvent avec enthousiasme le retour à la mère Russie et que la majorité des Russes sont fiers de la démonstration de force que le pays oppose aux vues de l’Occident, le Patriarche se retire et s’enferme dans un ascétique silence.

30 visites en Ukraine… Pour quoi faire?
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Le fait est que Cyrille avait énormément misé sur l’Ukraine, et certes pas sur la petite Crimée ou quelque province orientale!
Dans les 5 années qui ont suivi son élection, le Patriarche a visité l’Ukraine au moins 30 fois, en allant dans tous les coins, jusqu’aux diocèses les plus occidentaux et anti-russes, dans lesquels son prédécesseur Alexis avait peur de s’aventurer.
Le chef de la section ukrainienne du patriarcat, le métropolite de Kiev, Vladimir Sabodon, a été introduit par lui au Synode des évêques de Moscou, véritable organe de direction de l’Église orthodoxe russe, avec des titres honorifiques presque égaux aux siens et avec lui il avait coopté d’autres membres de la juridiction ukrainienne, vue comme une Église presque autonome, mais bien intégrée dans la structure de Patriarcat moscovite.

Des questions qui font mal à Cyrille
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Et maintenant que va-t-il se passer ? En Ukraine, une Église [orthodoxe] indépendante de Moscou va-t-elle être créée ?
Et que faire avec le diocèse de Crimée lui-même, alors que la Crimée est devenue russe au niveau civil? Va-t-il passer directement sous le Patriarcat de Moscou? Et si [le Patriarcat de] n’était pas d’accord ?
Cette perspective fait trembler Cyrille plus que tout ce qu’on peut imaginer.
L’Ukraine au niveau ecclésiastique représente presque la moitié des paroisses de tout le Patriarcat de Moscou (13 000 paroisses ukrainiennes face aux 15 000 russes).
Près de 60% du clergé du Patriarcat de Moscou vient d’Ukraine, y compris de nombreux évêques qui travaillent en Russie même.

Un autre schisme du fait du nationalisme?
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En Ukraine ont surgi ces dernières années différentes tentatives autonomistes, qui voudraient la complète autocéphalie et l’indépendance [d’avec] le Patriarcat de Moscou.
D’ailleurs le siège de Kiev est historiquement le plus ancien, dont Moscou ne s’est séparé qu'en 1589.
Actuellement le métropolite de Kiev, Vladimir Sabodan, âgé de presque 82 ans, est gravement malade, et certainement Cyrille demande dans ses prières que le Seigneur le conserve [en vie] le plus longtemps possible: en ce moment l’élection d’un nouveau métropolite serait sûrement accompagnée de fortes demandes d’autonomie.
Le vicaire de Vladimir, le métropolite Onofre Berezovskiy, s’est éloigné pour toujours de ses positions russophiles d’origine, vers la défense de l’intégrité de l’état ukrainien et de son Église indépendante. Les autres évêques sont encore plus explicites dans ce sens.
L’Église d’obédience moscovite risque d’apparaître aux yeux des Ukrainiens comme « l’Église d'occupation », ce qui renforcerait l’autorité de l’autre église orthodoxe d'Ukraine, l’Église Ukrainienne Indépendante du Patriarche Filaret Denisenko, aujourd’hui très affaiblie, mais avec encore de nombreux fidèles.
Sans compter la poussée autonomiste extrême de l’Église Gréco-catholique de l’archevêque majeur Svyatoslav Sevchuk, qui a son bastion dans cette Ukraine Occidentale ayant appuyé les protestations de la Place Maidan et la révolution (ndt Les gréco-catholiques sont rattachés à Rome, même s’ils sont de rite byzantin. Leur passé particulièrement douloureux les rend évidemment très peu russophiles. Il ne faudrait pas néanmoins qu’ils se laissent tromper par une Europe qui ne respecte plus beaucoup les valeurs chrétiennes).

Cyrille a à perdre au niveau mondial
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Cyrille craint aussi de perdre sa position dominante dans l’ensemble de la communion orthodoxe, qui en 2016 se réunira au Phanar [siège du Patriarcat de Constantinople] pour le grand Concile Panorthodoxe, le premier de toute l’histoire millénaire de l’Orthodoxie.
Actuellement Moscou représente 70% de l’ensemble des orthodoxes du monde; si sa juridiction était coupée en deux, elle risquerait de finir par être une autre minorité parmi les autres, et de voir se retourner contre elle le grand succès qu’avait signifié la convocation du Concile Panorthodoxe de Constantinople.
Cela, de fait, pourrait être la tombe de toutes les ambitions de l’Orthodoxie russe de guider le monde chrétien en opposition (ou tout au moins en parallèle) avec le Pape de Rome.

La grande Russie, en annexant la petite Crimée, au lieu de s’agrandir pourrait finir par devenir de plus en plus petite (*).

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(*) Dans une vision « ancienne » de la Grande Russie, où religion et état étaient trop liés, mais est-ce vraiment l’avenir? « Mon royaume n’est pas de ce monde » a dit le Christ.