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Désinformation sur l'Ukraine

A propos d'un article de Marcello Foa, sur les raisons de la crise ukrainienne (23/3/2014)

Recevant hier les représentants d'un réseau de radios et télévisions d’inspiration catholique, le Pape François a dit:

« Je considère que les péchés les plus graves que commettent les médias sont ceux qui concernent les contre-vérités et les mensonges, et ils sont trois : la désinformation, la calomnie et la diffamation.
La calomnie et la diffamation sont graves, mais le plus grave c’est la désinformation.
La calomnie c’est un péché mortel, mais l’on peut toujours arriver à clarifier les choses, et à faire valoir finalement que c’est une calomnie.
La diffamation c’est un péché mortel, mais on peut réussir à dire que c’est une injustice.
Mais la désinformation, c’est ne dire que la moitié des choses, celles qui me conviennent, et ne pas dire l’autre moitié : de sorte que celui qui regarde la télévision ou écoute la radio ne peut bien juger les choses parce qu’ils n’a pas tous les éléments, car ils ne lui ont pas été livrés.
Evitez ces trois péchés: la désinformation, la calomnie et la diffamation».

     

Ce article de Marcello Foa sur l'Ukraine date du 4 mars et l'on sait que depuis lors, les évènements se sont accélérés, avec le rattachement de la Crimée à la Russie.

Je cite wikipedia, pour faire simple, et me limiter aux faits:

Le 11 mars, le Parlement criméen proclame l'indépendance de la péninsule vis-à-vis de l'Ukraine. Le 18 mars 2014, le président russe Vladimir Poutine signe avec les dirigeants de Crimée un accord historique sur le rattachement de cette péninsule à la Russie. Cette signature intervient deux jours après le référendum en Crimée qui a plébiscité un rattachement à Moscou. Ce rattachement n'est reconnu par aucun autre pays.

Le même 18 mars, Vladimir Poutine prononçait un discours solennel devant la Douma. Il est sans doute intéressant de le lire en entier, plutôt que les bribes orientées que la grosse presse nous distille au compte-gouttes:

Le discours de Poutine, 18 mars 2014

Membres du Conseil de la Fédération, députés de la Douma, je vous souhaite le bonjour.
Les représentants de la République de Crimée et de la municipalité de Sébastopol sont ici parmi nous.
Citoyens de Russie, habitants de Crimée et de Sébastopol ! (Standing ovation), chers amis,

Nous sommes réunis ici aujourd’hui au sujet d’une question qui est d’une importance vitale, d’une portée historique pour nous tous. Un référendum a été organisé en Crimée le 16 mars, dans le plein respect des procédures et des normes démocratiques internationales en vigueur.
Plus de 82% de l’électorat a pris part au vote. Plus de 96% d’entre eux se sont prononcés en faveur de la réunification avec la Russie. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. (Applaudissements)
Pour comprendre la raison d’un tel choix, il suffit de connaître l’histoire de la Crimée et ce que la Russie et la Crimée ont toujours signifié l’une pour l’autre.

Tout en Crimée évoque notre histoire et notre fierté communes.
C’est l’emplacement de l’ancienne Chersonèse Taurique, où le Grand-prince Vladimir Ier a été baptisé. Son exploit spirituel, à savoir l’adoption du christianisme orthodoxe, a prédéterminé la base globale de la culture, de la civilisation et des valeurs humaines qui unissent les peuples de la Russie, de l’Ukraine et de la Biélorussie.
Les tombes des soldats russes dont la bravoure a permis l’intégration de la Crimée à l’Empire russe se trouvent également en Crimée. C’est aussi Sébastopol – une ville légendaire ayant une histoire exceptionnelle, une forteresse qui constitue le lieu de naissance de la Flotte russe de la mer Noire. (Applaudissements). La Crimée est Balaklava et Kertch, Malakhov Kurgan et le mont Sapoun. Chacun de ces lieux est cher à nos cœurs, symbolisant la gloire de l’armée russe et sa bravoure exceptionnelle.

La suite ici: http://www.legrandsoir.info/discours-du-president-vladimir-poutine-sur-l-integration-de-la-crimee-a-la-federation-de-russie-18-mars-2014.html

     

Voici donc un article d'un journaliste (que je trouve) généralement perspicace, honnête et bien informé, et qui aide à comprendre, dans les grandes lignes, ce qui s'est passé en Ukraine, dénonçant la désinformation (comme l'a fait hier, à juste titre, le pape François, en termes très vigoureux) qui bat son plein dans nos médias quasi-unanimement inféodés à l'ordre mondial voulu par l'Empire.

     

Ukraine, le secret que personne ne vous dit (et que vous devriez savoir ...)
http://blog.ilgiornale.it/foa/2014/03/04/ucraina-il-segreto-che-nessuno-spiega-e-che-dovreste-sapere/
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Qu'avez-vous compris à la crise en Ukraine? Probablement que le peuple ukrainien s'est rebellé contre un président arrogant et autoritaire, Viktor Ianoukovitch, lequel a tenté de réprimer les manifestations, tuant des dizaines de personnes, mais a finalement été destitué. La Russie s'est mise en colère et par dépit a envahi la Crimée. Confusément, toi, lecteur, tu auras compris que le peuple veut entrer dans l'Union européenne, tandis que Ianoukovitch et surtout, Moscou s'y opposent. Fin.

La réalité, cependant, est un peu différente et beaucoup plus intéressante. Pour comprendre ce qui se passe réellement, il faut partir d'un peu loin, il y a vingt ans, lorsque l'un des esprits les plus fins de l'administration américaine, Zbigniew Brzezinski - encore très influent - indiqua dans l'Ukraine un pays fondamental pour les nouveaux équilibres géostratégiques, à soustraire à la Russie et à porter dans l'orbite de l'OTAN et de l'Amérique. Alors commença un grand jeu d'échecs entre Washington et Moscou. Et même, une longue guerre, combattue avec des armes non conventionnelles.

Par exemple, en utilisant les «révolutions pacifistes». La méthode s'inspire aux théories de l'Americain Gene Sharp et fut appliquée pour la première fois en Serbie en 2000 à l'occasion de la chute du président d'alors, Slobodan Milosevic. Cela fonctionne ainsi: des manifestations apparemment spontanées sont en réalité soigneusement planifiées, et guidées par l'intermédiaire d'Organisations non gouvernementales, Associations humanitaires et partis politiques; dans un crescendo d'opérations publiques amplifiés par les médias internationaux et le soutienl interne des institutions, en particulier de l'armée, elles finissent par conduire à la chute du «tyran». L'expérience serbe plut beaucoup au Département d'Etat, qui décidé de la reprendre ailleurs: en 2003 en Géorgie (révolution des roses) et l'année suivante en Ukraine, quand, à Noël, le candidat progressiste Viktor Iouchtchenko (Vous vous souvenez? celui avec le visage grêlé) défit Ianoukovitch dans la rue, au cours de la Révolution orange.

Un chef-d'œuvre, qui, toutefois, éveilla Poutine, lequel prit conscience de ces méthodes et, hanté par la crainte qu'elles pourraient être utilisés dans les rues de Moscou contre lui, commença la «nouvelle guerre froide» avec les États-Unis. De cordiaux, les rapports devinrent glaciaux. Et ses services planifièrent la reconquête de l'Ukraine, en utilisant, à leur tour, des instruments non conventionnels tels que le chantage au gaz, le sabotage de l'économie, les mécontentements sociaux, les techniques de spin pour démotiver et affaiblir le partis de la coalition orange. Résultat: Ianoukovitch a été élu président en 2010 et l'Ukraine a quitté l'orbite américaine pour revenir à celle russe.

Cela nous amène à nos jours, avec l'émergence d'une variante supplémentaire, surprenante. De pacifique, la manifestation devient, au moins en partie, violente. A cause de qui? Certainement pas directement de soldats étrangers sur le terrain, mais d'extrémistes. Et quels extrémistes! Comme on le sait maintenant, à l'assaut des ministères de Kiev, il y avait non pas des retraités ukrainiens mais des milices paramilitaires néo-nazies, bien formées et bien armées. Les pacifistes ont servi comme paravent, en particulier médiatique, mais ceux qui ont renversé Ianoukovitch, c'étaient des guerriers fanatiques antisémites et ultraviolents. D'authentiques canailles, dont le "timing" a été parfait: la révolte a atteint son apogée pendant les Jeux à Sotchi c'est-à-dire le seul moment où la Russie ne pouvait pas se permettre de gâcher le retour d'image des Jeux Olympiques. Kiev brûlait mais le Kremlin était contraint de garder le silence.

Opération sophistiquée et magistrale, officiellement sans paternité, qui toutefois - une fois le drapeau olympique baissé - a déclenché la réponse du Kremlin, moins sophistiquée mais tout aussi peu scrupuleuse. Obama n'imaginait pas que Poutine pourrait occuper la Crimée, de même que le Kremlin ne s'attendait pas à la guérilla pro-américaine à Kiev. Ils se sont surpris mutuellement. Et cela ne s'arrête pas là. La guerre, sale et asymétrique durera longtemps sous les yeux de l'opinion publique mondiale qui assiste à tout, sans rien comprendre, une fois de plus.

* * *

     

Dans un article plus récent (15 mars) , où il étudie plus spécialement le mécanisme de la désinformation par mimétisme des médias "mainstrean", Marcello Foa revient (pour la confirmer) sur la présence de milices néo-nazies dans les rangs des opposants ukrainiens, "soutenues [financièrement] par de riches et non définis oligarques de l'ouest du Pays" (??).
En réalité, l'information est, dit-il, bien parue dans des journaux, même les plus asservis au système (en Italie, il cite La Repubblica, en France Le Monde!!) mais perdue au milieu d'autres titres auxquels était donné un grand relief, du genre "La brutalité de Poutine nous ramène au XIXe siècle", "Ukraine indivisible, nous réagirons", "Votes parlementaires et tank. La feinte légalité du Tsar Poutine, l'envahisseur que personne n'arrête", "A Maiden la foule retourne sur la place", "Que personne ne touche à notre terre: rage et résignation à Kiev", etc...

Marcello Foa conclut:

Ce qui importe est de créer le premier «cadre» pour décrire à un public qui n'est pas familier avec des thèmes et des pays lointains, une référence forte de jugement, indiquant là où est le Bien et là où est le Mal, éventuellement avec le soutien de films ou de photos émouvantes, et de personnages héroïques, exaltants; bref, créant un contexte qui permet d'humaniser le conflit en mettant l'accent sur la perception plutôt que l'analyse.

Cette étape franchie, il est nécessaire de renforcer le récit en soulignant l'évaluation morale, ne serait-ce que grâce à l'indignation internationale unanime. Quand le «cadre» est consolidé, les médias tendent instinctivement à ne pas incorporer ou au moins à relativiser les éléments dystoniques, comme cela s'est produit à l'égard des néo-nazis place Maidan ou, encore plus, de la présence - certaine, mais encore méconnue à la plupart - de mystérieux tireurs d'élite qui ont tiré à la fois sur les manifestants et sur les soldats (voir les derniers développements ici).

Il n'y a aucune contrainte, aucune complicité (Bof!!!). C'est un automatisme bien connu des spin doctor, les artisans véritables de ces opérations, qui savent comment utiliser à leur avantage la psychologie, les limites, les habitudes, la tendance innée au conformisme de la presse grand public (ndt: ou plus exactement des journalistes qui y travaillent), de droite, de centre et de gauche .

Hier, aujourd'hui et, soyez-en sûrs, demain.

     

A lire aussi...

sur ce thème, le bon article de Gérard Hardy, vice-président du Rassemblement pour la France, aujourd'hui sur Bd Voltaire: www.bvoltaire.fr/gerardhardy/ukraine-quand-veut-tuer-son-chien-dit-quil-la-rage