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Les vrais maîtres du monde

Mais qui est ce Matteo Renzi, nouveau "Premier" italien ? Un article de Marcello Foa, à lire absolument, même si la politique italienne vous laisse de marbre (21/2/2014)

Le blog de Marcello Foa, un journaliste italien très bien informé, longtemps éditorialiste à Il Giornale et qui dirige aujourd'hui un groupe éditorial suisse, est une mine d'information, et d'analyse politique intelligente.
J'ai souvent traduit ses articles - il y a déjà quelques années.

Les médias français nous tympanisent avec l'arrivée au pouvoir en Italie d'un "jeune loup" aux dents très longues, Matteo Renzi, le maire de Florence, de "centre gauche" (!!), qu'ils décrivent comme un Tony Blair à l'italienne (entre parenthèses, après le départ de Berlusconi, férocement combattu par le système, l'Italie renoue avec son instabilité politique endémique).
Renzi, un catholique (!!) favorable au mariage gay... Cherchez l'arnaque.
Mais qui est cet homme plébiscité par les médias?
Même ceux qui ne s'intéressent pas à la politique italienne, ou qui n'y connaissent rien, doivent lire cet article qui aide à comprendre où est le vrai pouvoir... pour ceux qui auraient encore des doutes.

     

Pourquoi nous ne pouvons pas faire confiance à Renzi
http://blog.ilgiornale.it/foa
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Non, je n'arrive pas à faire confiance à Renzi. Et pas seulement parce que la personne ne me convainc pas, comme je l'ai expliqué récemment (cf. Renzi? il va vous décevoir).
Dans l'évaluation d'un leader politique, j'essaie toujours de comprendre d'où il vient, quels sont ses référents et quelles sont ses intentions. En bref, il faut creuser dans son passé, non pas pour savoir qu'il a été scout et a participé à la "Roue de la Fortune" - ça, c'est l'anecdote, pour le grand public à la télé - mais pour évaluer ses liens politiques et d'intérêt, surtout à l'extérieur de l'Italie, ainsi que son caractère et l'authenticité de ses intentions.

J'écris "à l'extérieur de l'Italie", parce que désormais, les vrais pouvoirs - et même les "pouvoirs forts" (poteri forti) - ne sont plus dans le pays, mais dans les instances supranationales, qui poursuivent leurs propres intérêts en appliquant des techniques très sophistiquées.

L'une d'elles concerne le recrutement des élites nationales: il s'agit des politiciens et des hauts fonctionnaires qui appliquent des agendas apparemment «patriotiques» mais en fait utilisés pour d'autres objectifs, jamais déclarés, et souvent antithétiques par rapport aux intérêts nationaux.
A leurs yeux, la distinction gauche-droite, qui continue à enflammer les âmes, n'est pas pertinente, car le recrutement est transversal; il inclut à la fois les conservateurs et les progressistes, toutefois avec une préférence marquée pour les leader de «gauche» et «techniques» comme Mario Draghi, Romano Prodi, Mario Monti... et à un niveau inférieur Enrico Letta, Giorgio Napolitano, Gianfranco Fini, Giuliano Amato.

Les dirigeants exclus de ces instances, bien sûr, sont diabolisés par les médias (comme le savent bien Berlusconi, Grillo, Bossi ...).

La question à se poser est: Matteo Renzi, de quel côté est-il? Comment se paramètre-t-il vis-vis des lobbies supranationaux?
La réponse n'est pas rassurante.
Matteo Renzi vient de loin, de très loin. La comparaison la plus appropriée est avec Barack Obama. Et ce n'est pas irrévérencieux
.

Vous vous souvenez? En 2008, Obama semblait le «rottamatore» (*) de la politique américaine, l'homme qui donnait de l'espoir, qui promettait de combattre durement le lobby de la grande finance américaine et du Pentagone. À l'époque, je suivais la campagne électorale en Amérique, et décidais de ne pas me laisser brouiller par la rhétorique collective, mais d'analyser le caractère du personnage, et, surtout, ses relations avec le pouvoir réel qui compte. Ayant trouvé les preuves, j'ai écrit, dans une parfaite solitude, que Barack Obama ne ferait rien de ce qu'il avait promis et que les lobbies mis en accusation pour le crash de 2008 maintiendraient leur influence; une vérité qui est aujourd'hui une banalité. Il y a six ans, c'était une hérésie.

J'ai appliqué la même approche pour Renzi.

Je l'ai découvert en février 2009, quand il était juste le président de la province de Florence, entièrement inconnu au niveau national.
Je l'ai découvert parce que le magazine «Time» lui avait consacré un article le présentant comme «l'Obama italien». J'en ai immédiatement parlé sur ce blog (voir ici).
Le monde de la presse est mon monde, comme ceui du «spin», et je connais très bien la logique de la presse américaine. Il est absolument invraisemblable qu'un envoyé spécial parachuté à Rome depuis Washington puisse connaître, grâce à son flair, la potentialité d'un très jeune président de Province. Lorsque ces miracles se produisent il y a une raison, c'est-à-dire que quelqu'un a fait en sorte que le bon tuyau arrive de manière appropriée à la rédaction de l'hebdomadaire. Et un article dans «Time» est une consécration; le viatique pour grimper encore plus haut, ou au moins essayer.

Et c'est ce qui s'est passé. Depuis lors, j'ai trouvé d'autres preuves de son réseau de relations.
Depuis une dizaine d'années, il est un grand ami de l'américain Michael Ledeen, ex-haut fonctionnaire du département d'Etat, aujourd'hui encore penseur très influent, qui l'a accueilli à Washington en 2007.
Son gourou économique est un israélien, Yoram Gutgeld, ex-homme de McKinsey (ndt: une des sociétés de conseil embauchées par le Vatican, le monde est petit!!) tandis que Marco Carrai, un jeune décrit comme très brillant et bien introduit au niveau international, est son homme de confiance, qui l'a accompagné dans un premier temps chez Tony Blair puis chez Barack Obama à la convention démocrate de 2012.

Le puzzle de ses relations est certainement incomplet mais suffisant pour tracer un dessin, et surtout un climat.

Observez les réactions de la presse internationale et des chancelleries internationales aux incroyables faits qui viennent de se dérouler, c'est-à-dire à l'éviction du chef du gouvernement italien sans un vote au Parlement et sans explications plausibles, simple résultat d'une sordide manœuvre de Palais.

Personne, en dehors de l'Italie, ne s'indigne, personne ne s'inquiète, personne ne fait de déclarations désobligeantes sur la crédibilité des institutions. Tout va bien, pour tout le monde; car un homme d'absolue confiance, mais peut-être trop prudent, comme Enrico Letta, est remplacé par un autre homme d'absolue confiance, mais plus décidé, plus audacieux, comme Matteo Renzi.

Je crains que Renzi ne soit pas un rottamotore (*), mais un continuateur de la politique de Mario Monti et Enrico Letta. Les interprètes changent, pas les logiques; mêmes intérêts et mêmes conséquences.
A vous de juger si elles sont positives ou négatives pour l'Italie.
Moi, je n'ai aucun doute.

* * *

(*) Rottamatore: il semble que c'est ainsi que se qualifie lui-même le nouvel homme fort.
C'est un néologisme, contruit sur le verbe "rottamare" qui signifie "mettre à la ferraille" selon mon gros dictionnaire italien Zanichelli.