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L'interviewe perdue

Celle du théologien suisse Hans Urs von Balthasar par Vittorio Messori, en 1985. Motif: Hans Küng. Une exclusivité du site <Papale papale> (26/5/2014)

Un des tous premiers articles publiés sur Benoît XVI après sa renonciation nous informait qu'à Castel Gandolfo, il avait «apporté un certain nombre de livres, à commencer par "L'esthétique théologique" de Hans Urs von Balthasar, le grand théologien suisse avec qui il fonda la revue Communio en 72» (voir ici: benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/que-lit-notre-pape-emerite)

Très honnêtement, de Hans Urs von Balthasar, je ne sais guère plus....

     

Antonio Mastino a une relation d'amitié - ou de disciple à maître - avec Vittorio Messori.
Dans son dernier billet (www.papalepapale.com), il raconte avec humour, et un ton qui n'appartient qu'à lui, comment, au détour d'une conversation, tous deux en sont venus à parler d'une interviewe que Messori aurait obtenue en 1985 du grand théologien suisse Hans Urs von Balthasar, mort en 1988 quelques jours avant d'être créé cardinal par JP II.
Elle avait été publiée sous la forme d'un bref livre, et a presque tout de suite été retirée de la vente parce que Hans Küng y était, disons, malmené.

L'interviewe a été réalisée peu de temps après celle du même Messori avec celui qui était alors le préftet de la CDF, le cardinal Ratzinger, parue en Italie sous le titre "Rapporto sulla fede" (et en France: "Entretiens sur la foi") et cela nous vaut quelques anecdotes sur les circonstances ayant entouré sa publication, la haine des "cathoprogressistes" ayant été jusqu'à leur faire proférer des menaces de mort envers l'auteur, qui avait été placé quelque temps sous protection policière.
Messori explique qu'en fait, son intention était que ce soit le préfet lui-même qui "siffle la fin de la récréation". Mission accomplie au-delà de ses voeux.

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La première partie de l'article raconte donc comment Mastino s'est vu ces jours-ci concéder par Vittorio Messori l'exclusivité de la publication d'une interviewe datant de 1985; puis la genèse de ladite interviewe; la rage de Hans Küng "la bave aux lèvres", dit-il, de se voir démasqué; l'intervention d'un lobby pro-Küng, allant jusqu'au quotidien l'Avvenire pour ôter le livre de la vente et l'envoyer au pilon; les dénégations de von Balthasar, effrayé par les proportions de la polémique; mais la confirmation de ses propos par l'enregistrement audio...

J'ai traduit la partie de la longue interviewe (c'était quand même un livre!) qui traite de Hans Küng.

     

Hans Kûng en habit de prêtre

Mastino dit que c'est une des très rares photos où on le voiit en habit clérical...

UN ENTRETIEN DE MESSORI AVEC BALTHASAR
Vittorio Messori
www.papalepapale.com/develop/lintervista-proibita-e-perduta-di-messori-a-von-balthasar-in-esclusiva-dopo-30-anni/

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Dans la Arnold Böcklin-Strasse, dans cette Bâle qui depuis des siècles est un creuset de théologie, de philosophie, d'aventures de l'esprit, la petite maison de von Balthasar a la grâce modeste et timide de la Suisse alémanique. Une porte qui s'ouvre sur un petit jardin - guère plus qu'un parterre - un escalier: le vieux professeur nous accueille, nous conduisant vers un bureau envahi de livres. En entrant, on regarde les murs à la dérobée, afin de saisir les «signes» de celui qui vit ici. Voici par exemples, dès l'entrée, deux portraits emblématiques: Sainte Thérèse de Lisieux et le masque mortuaire d'Ignace de Loyola (von Balthasar était un jésuite jusqu'en 1948, avant de rejoindre, selon sa conception spécifique de l'apostolat, le clergé diocésain).
(..)

Sur la table de travail , sous une petite photo de Jean-Paul II, il y a le "Basel Zeitung", l'un des nombreux quotidiens à travers le monde qui ont publié le dernier furieux assaut d'Hans Kung contre le Pape et ses collaborateurs .
Commençant l'interviewe, il est naturel de lui demander s'il a déjà lu le texte de son collègue né, comme lui, dans le canton de Lucerne. Il secoue la tête, comme attristé, il parle d'une voix basse, me regardant droit dans les yeux :

KUNG N'EST PLUS UN CHRÉTIEN DEPUIS LONGTEMPS


« Cela fait au moins dix ans que cet homme ne cesse de répéter les mêmes choses. Le seul fait nouveau est le crescendo du ton polémique. En fait, depuis l'époque de son livre "Etre chrétien", Hans Kung n'est plus chrétien».

- Vous voulez dire qu'il n'est plus catholique.
« Non, il n'est plus chrétien. Il suffit de lire ses derniers livres, même le dernier, sur les autres religions: Kung n'est plus chrétien. Pour lui, Jésus n'est autre qu'un prophète; le problème, donc, se réduit à une discussion pour savoir s'il était ou non un prophète plus grand de Bouddha, Confucius, Mahomet. Ce n'est pas par hasard qu'il a été invité par Khomeiny en Iran pour des conférences, où il a répété qu'il n'y a qu'un seul Dieu et beaucoup de prophètes . Désormais, pour lui - il le dit clairement dans son livre qui n'est pas encore traduit en italien - le christianisme est une voie de salut parmi beaucoup.

- Si tel est le cas , il est inutile d'insister sur ce «dialogue», auquel il prétend pourtant à grands cris, avec la hiérarchie catholique .
« Kung est désormais, par choix, hors de l'Eglise, et donc il n'a plus rien à dire aux évêques. En réalité, il n'a plus rien à dire aux autres non plus, à commencer par les protestants. En fait, depuis que son Institut de théologie œcuménique n'est plus reconnu en tant que catholique, Kung ne représente que lui-même. Peut-être, à cause de cette situation dans laquelle il se trouvait, a-t-il réorienté son discours de l'œcuménisme parmi les chrétiens vers celui avec les religions non-chrétiennes » .

- Pourtant, on a l'impression qu'il continue à exercer une influence considérable: tous les grands quotidiens bourgeois du monde opulent ont consacré des pages et des pages à son acte d'accusation contre le pape et Ratzinger .
«Le secteur qu'il représente est celui d'une certaine intelligentsia, mais avec de moins en moins de poids: en Allemagne, il a perdu de son influence et est rarement invité à des conférences , en particulier dans les universités . Ainsi, il voyage à l'étranger, est connu comme un bon orateur, et surtout, comme un ennemi de Rome. Cela lui attire beaucoup de sympathie dans certains milieux " .

- La virulence de l'attaque à l'actuel Préfet de la Congrégation pour la Foi a surpris même ceux qui connaissaient ses relations tendues avec le professeur Ratzinger, quand ils ont tous deux enseigné à Tübingen .
« Je pense qu'il est aussi exapéré par la perte progressive d'audience. Entre autres choses, l'accusation contre Ratzinger d'avoir changé depuis qu'il a "fait une carrière", comme il dit, est un mensonge. Je connais Ratzinger depuis toujours, il a toujours été comme cela, il a toujourspensé ainsi. En tout cas, ce n'est pas Ratzinger mais Kung qui attaque Vatican II, le jugeant encore "clérical", étroit, insuffisant, et demandant un Vatican III . Ratzinger est fidèle au Concile et son "Rapport sur la foi" le prouve».

RATZINGER AVAIT RAISON SUR TOUT

- L'édition allemande est sortie il y a quelques semaines. L'avez-vous déjà lu?
« Je l'ai lu, bien sûr. Ce que j'en pense? Il y a peu à dire, Ratzinger a raison. Certains appellent pessimisme ce qui n'est que réalisme: quiconque a le courage de la vérité doit le reconnaître. Personne ne parle de cette énorme , effrayante défection de prêtres et de religieuses: ils sont partis, et continuent à s'en aller par milliers».

- Donc, vous vous reconnaissez dans la lecture proposée par Ratzinger de ces vingt dernières années ?
«On peut se demander si la responsabilité de ce qui s'est passé revient au Concile (et Ratzinger l'exclut) ou s'il y avait déjà avant les conditions qui ont provoqué le déclenchement de la crise . Il est certain que Jean XXIII (le vrai, pas celui d'un mythe créé après sa mort) ne s'attendait pas à ce que les choses aillent de cette façon».

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