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N'instrumentalisons pas l'Evangile

A propos du Christ "pauvre" et "réfugié" évoqué lors de l’Angélus de dimanche dernier, en la fête de la Sainte-Famille. Réflexion de Francesco Colafemmina (2/1/2014)

>>> Ci-contre: Giotto, La Fuite en Egypte. 1304-1306. Fresque. Chapelle des Scrovegni, Padoue

     

Le Christ "pauvre" et "réfugié"

www.fidesetforma.com/2013/12/30/il-cristo-povero-e-profugo/
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Pour quelle raison le programme politique du Vatican sur le thème de l'immigration clandestine devrait raviver la foi des catholiques en Europe, voilà qui n'est pas vraiment clair pour moi. Il m'est encore plus difficile de comprendre comment il est possible que ces ingérences flagrantes du Vatican dans la politique sociale italienne et européenne en général rencontrent une approbation large et rhétorique des politiciens, ces mêmes politiciens qui sur le sujet de l'euthanasie et les droits civils ne toléraient aucune «ingérence» du Vatican jusqu'à il y a un an.

Cela étant dit, venons-en au fait.
Le travail - comme, je l’espère, tout le monde le sait, y compris au Vatican - est une ressource rare. Le nombre d'emplois est en effet limité par rapport à la main-d'œuvre disponible. Cela est évident en particulier en temps de crise économique. Maintenant, si nous acceptons l'engagement humanitaire de l'accueil d'immigrés clandestins, autrement dit d'hommes et de femmes qui ont vendu la plus grande partie de ce qu'ils possèdent pour quitter, souvent illégalement, leur pays et entrer aussi illégalement dans le nôtre à la recherche d'un emploi, il faut aussi accepter l'idée que ces nouveaux chômeurs iront ainsi s'ajouter (aux nôtres) et entrer en compétition pour l'accaparement de la rare ressource du "travail".

Suivant la théorie marxienne, ils finiront par grossir la partie la plus pauvre de la société, en lutte constante pour sa survie. En outre, ils finiront par peser comme «coût» social sur la société toute entière, parce que l'accueil a des coûts que nous assumons tous, tout comme le glissement potentiel du chômage vers les activités criminelles aux fins de la simple survie.
Tout cela est clairement le résultat d'un manque total d'intelligence politique de la part de ceux qui administrent notre pays et le pays d'origine des immigrants eux-mêmes. Mais aussi de l'absence de planification, de prévision de ceux qui se lancent dans des proclamations idéologiques en faveur de «l'accueil» sans condition.

D'autre part, dans un monde globalisé, je crois que nous devrions être favorables - surtout dans les périodes de croissance économique - à l'accueil de main-d'œuvre plus ou moins spécialisée en provenance de certains pays avec lesquels l'Union ou l'Italie (ou la France!) ont peut-être signé des accords de partenariat. Mais, à l'heure actuelle, favoriser l'immigration illégale est seulement une action irréfléchie, un exercice de rhétorique commode, si ce n'est pire. Cela signifie en effet en premier lieu promouvoir la traite des femmes et des hommes aux mains de trafiquants sans scrupules d'Afrique du Nord. Cela signifie ensuite donner l'illusion à d'innombrables hommes et femmes à la recherche du «bien-être» - et pas toujours fuyant la guerre ou la famine - que l'Europe est l’Eldorado, le lieu où réaliser leurs ambitions individualistes. Cela signifie enfin élargir le "parterre" des pauvres - autochtones et autres - qui remplissent déjà une partie non négligeable du théâtre social européen.

Encore plus discutable est ensuite la distorsion de l'Evangile et de l'histoire sainte pour la transformer en fable sociale contemporaine.
Le premier pas dans cette direction a été accompli la veille de Noël, quand les bergers ont été qualifiés de «marginaux» et de «pauvres» à l'époque du Christ (1) (2). Une définition totalement inappropriée - pour rhétoriquement efficace qu'elle soit. Les bergers, dans la Palestine de l'époque, avaient en effet une ample reconnaissance sociale. Ils fournissaient la matière première pour le sacrifice de la Pâque (et avaient donc un lien évident avec le culte, devant fournir chaque année, quelque 30 000 agneaux pour le sacrifice). Même si leur activité n'était pas au sommet de l'échelle sociale, dans le symbolisme juif, le berger a toujours constitué un exemple positif, un symbole efficace pour indiquer le rôle de guide charismatique pour le peuple d'Israël. Enfin, il convient de noter que non seulement l'annonce de la naissance du Christ est également reçue par les Mages - qui ne sont certainement ni pauvres ou marginalisés - mais que cette herméneutique sociale de Noël "décolore" (édulcore) la dimension transcendante de l'Evangile. Les bergers veillent la nuit, ils sont à l'extérieur, ils ne se verrouillent pas dans leurs maisons de ville, autrement dit, ils ne ferment pas leur cœur à l'annonce du Seigneur, ils sont libres comme leurs troupeaux, ils n'appartiennent à personne, ils ne sont pas esclaves de choses ou de personnes, ils sont simples.

A cette herméneutique des bergers s'est ajoutée hier celle du Christ «réfugié» (3), on devrait dire «immigré» en Egypte. Ici aussi, l'Évangile est plié aux exigences du consensus rhétorique momentané. Parce qu'avant tout, la fuite en Egypte est une fuite temporaire, est un exil. Elle prend alors la forme d'une puissante charge symbolique et prophétique: elle accomplit la prophétie d'Osée et configure le retour du Christ en Palestine comme un nouvel Exode qui sera accompli sur le Golgotha.

Réduire le christianisme à une simple fable d'intégration sociale, culturelle et religieuse, signifie évidemment répondre aux attentes mondialistes d'une certaine politique qui utilise l'immigration comme "pied de biche" pour démolir la base culturelle et de valeurs des pays européens, afin de transformer l'État en simple garant de la «laïcité», dans les pays avec des valeurs, des religions et des cultures de plus en plus diverses. Une méthode très efficace pour éliminer les résidus des valeurs chrétiennes encore présentes dans la société (le modèle est celui français).
Cela signifie
également diluer le mystère, transformer le sacré en morale sociale, transférer la foi dans le seul domaine de l'activisme social. En somme, une fois de plus, voir dans le ciel un simple reflet de la terre, sans issue, sans aucun moyen de sortir; et substituer à un peu de sain réalisme l'idéologie buoniste qui récolte un consensus sans discernement.

S'il est vrai que l'on ne peut pas être chrétien sans pratiquer la charité, l'amour de son prochain, il est vrai aussi que l'on peut être philanthrope sans le Christ. C'est la tentation de nombreux chrétiens d'aujourd'hui, dont la foi dans le Christ vacille, pas autant que l'activisme philanthropique. Avec la différence que si ce dernier prend le dessus sur la foi, cela finit par justifier toutes les déviances par rapport au divin, à la théologie morale, au magistère, au nom de la philanthropie. Et le Christ devient simplement un label, dans une sorte de marque de notre monde contemporain chaotique.

     

Notes

(1) Pape François, Homélie de Noël, 24/12/2013: www.vatican.va/holy_father/francesco..
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Les bergers ont été les premiers à voir cette “tente”, à recevoir l’annonce de la naissance de Jésus. Ils ont été les premiers parce qu’ils étaient parmi les derniers, les marginalisés.

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(2) Les bergers, premiers témoins de la naissance de Jésus.
L'Enfance de Jésus, Benoît XVI, Flammarion, pages103-105:
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« Il y avait dans la même région des bergers qui vivaient aux champs et gardaient leurs troupeaux durant les veilles de la nuit. L'ange du Seigneur se tint près d'eux et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa clarté » (Lc 2, 8-9). Les premiers témoins du grand événement sont des bergers qui veillaient.

On a beaucoup réfléchi sur la signification que peut avoir le fait que justement des bergers ont reçu le message les premiers. Il ne me semble pas nécessaire d'engager beaucoup de sagacité sur cette question. Jésus est né hors de la ville dans un environnement de pâturages où les bergers conduisaient leurs troupeaux. Il était donc normal que ce fussent eux, parce qu'ils étaient les plus proches de l'événement, qui fussent appelés les premiers à la mangeoire.

Naturellement, on peut tout de suite développer l'idée : peut-être que non seulement extérieurement, mais aussi intérieurement, ils vivaient plus près de l'événement que les citadins qui dormaient tranquillement. Intérieurement aussi ils n'étaient pas loin du Dieu qui se fait petit enfant. Cela correspond au fait qu'ils faisaient partie des pauvres, des âmes simples, que Jésus aurait bénies, surtout parce que l'accès au mystère de Dieu leur est réservé (cf. Lc 10, 21 sq.). Ils représentent les pauvres d'Israël, les pauvres en général : les destinataires privilégiés de l'amour de Dieu.

Un accent supplémentaire fut ensuite apporté, surtout par la tradition monastique : les moines étaient des personnes qui veillaient. Ils voulaient être éveillés en ce monde - déjà par leur prière nocturne, mais ensuite veiller surtout intérieurement, être ouverts à l'appel de Dieu à travers les signes de sa présence.

Enfin, on peut encore penser au récit du choix de David comme roi. Saul, en tant que roi, avait été rejeté par Dieu. Samuel est envoyé à Bethléem chez Jessé, pour oindre comme roi un de ses fils que le Seigneur lui aurait indiqué. Aucun des fils qui se présentent devant lui n'est celui qui est choisi. Il manque encore le plus jeune, mais celui-ci fait paître le troupeau, explique Jessé au pro­phète. Samuel le fait rappeler du pâturage et, selon l'indication de Dieu, il oint le jeune David « au milieu de ses frères » (cf. 1 S 16, 1-13). David vient d'auprès des brebis qu'il fait paître, et il est constitué pasteur d'Israël (cf. 2 S 5, 2). Le prophète Michée regarde vers l'avenir lointain et annonce que de Bethléem sortirait celui qui, un jour, ferait paître le peuple d'Israël (cf. Mi 5, 1-3 ; Mt 2, 6). - Jésus naît parmi les bergers. Il est le grand Berger des hommes (cf. 1 P 2, 25 ; Hé 13, 20).

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(3) Pape François, Angélus du 29 décembre 2013, Fête de la Sainte-Famille de Nazareth: www.vatican.va/holy_father/francesco
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En ce premier dimanche après Noël, la liturgie nous invite à célébrer la fête de la Sainte Famille de Nazareth. En fait, chaque crèche nous montre Jésus avec la Sainte Vierge et Saint Joseph dans l'étable de Bethléem. Dieu a choisi de naître dans une famille humaine, il a voulu avoir une mère et un père, comme nous (ndt: un thème incontournable, et que l’on retrouvait systématiquement dans les homélies d’Angélus que prononçait Benoît XVI en cette même solennité).

Et l'Évangile d'aujourd'hui nous présente la Sainte Famille sur le chemin douloureux de l'exil, cherchant refuge en Egypte. Joseph, Marie et Jésus font l'expérience de la condition dramatique des réfugiés, marqué par la peur, l'incertitude, les difficultés. Malheureusement, de nos jours, des millions de familles peuvent se reconnaître dans cette triste réalité. Presque chaque jour la télévision et les journaux donnent des nouvelles de réfugiés fuyant la faim, la guerre et d'autres graves dangers à la recherche de la sécurité et d'une vie décente pour eux et leurs familles.

Dans des pays lointains, même quand ils trouvent du travail, les réfugiés et les immigrants ne rencontrent pas toujours un vrai accueil, le respect, l'appréciation pour les valeurs qu'ils portent. Leurs attentes légitimes se heurtent à des situations complexes et des difficultés qui semblent parfois insurmontables. C'est pourquoi, tandis que nous gardons le regard fixé sur la Sainte Famille de Nazareth au moment où elle est contrainte de se faire réfugiée, nous pensons au drame de ces migrants et ces réfugiés qui sont victimes de rejet et d'exploitation, qui sont victimes de la traite d'êtres humains et de l'esclavage. Mais nous pensons aussi aux autres «exilés»; je les appellerais les «exilés cachés», ces exilés qui peuvent l'être dans les familles elles-mêmes: les personnes âgées, par exemple, qui sont parfois traités comme des présences encombrantes. ...