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Papauté des médias et papauté réelle

L'analyse d'Andrea Gagliarducci... (29/4/2014)

Le vaticaniste bilingue Andrea Gagliarducci cite la désormais fameuse remarque que Benoît XVI a faite dans sa dernière rencontre avec le clergé, le 15 février 2013 (benoit-et-moi.fr/2013-I/la-voix-du-pape/lextraordinaire-lectio-devant-ses-pretres), sur le concile des médias - comme je l'ai fait moi-même plusieurs fois, car son caractère prophétique saute désormais même aux yeux d'un aveugle.
Il évoque aussi les risques de la communication non contrôlée du pape, rejoignant ainsi l'analyse du Père Longenecker.

     

Pape François: La papauté selon les médias éclipse-t-elle la papauté réelle?
Andrea Gagliarducci
28 avril 2014
http://www.mondayvatican.com
(ma traduction)

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Dans sa dernière rencontre avec le clergé romain , Benoît XVI a parlé d'un «Concile Vatican II des médias et du véritable Concile Vatican II», se plaignant que les médias voulaient fixer l'agenda des pères conciliaires. Aujourd'hui quelque chose de semblable se produit encore, à l'égard de la papauté de François. On pourrait parler d'une papauté selon les médias et d'une papauté réelle. D'un côté, il y a le pape François, qui poursuit la mission de l'Eglise, ayant même comme conseiller secret de confiance le pape émérite Benoît XVI. De l'autre côté, se tient le pontificat de François tel que les médias le dépeignent. Des médias qui exploitent chaque lacune d'information pour construire une image du pontificat qui va bien au-delà de tout ce que François a dit ou fait. L'agenda des médias pour l'Eglise est surtout axé sur deux thèmes: la question des divorcés remariés, et la réforme de la Curie (ndt: pour le moment, et en attendant plus!).

Divorcés remariés
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Que les médias définissent l'agenda du pape François est paradoxal, puiqu'il refuse que quiconque gére son emploi du temps personnel. Ses deux secrétaires doivent être, dans sa conception, invisibles, et, en effet, aucun d'entre eux n'est secrétaire à plein temps. Le Pape François gère personnellement la plupart de ses rendez-vous, en essayant de ne décevoir personne (certaines rencontres durent moins de cinq minutes) et il fait lui-même ses appels téléphoniques. Évidemment, toute l'activité privée du pape ne peut pas être considérée comme faisant partie de son magistère. Mais, puisque c'est le Pape qui le fait, chaque geste, chaque mot prononcé en privé, peut avoir de nombreuses conséquences.

Récemment, la nouvelle est venue d'Argentine que le pape François avait parlé avec une femme mariée à un homme divorcé et remarié. La femme avait écrit au pape pour se plaindre qu'elle ne pouvait pas recevoir la Sainte Communion. Le pape lui aurait téléphoné en retour quelques mois plus tard, disant qu'«il y a des prêtres plus papistes que le pape» et lui aurait conseillé d'aller dans une autre paroisse pour recevoir la communion.

En fait, les détails de l'histoire ont changé d'un média à l'autre au fur et à mesure qu'ils ont été rapportés. La nouvelle a éclaté en Argentine, où une station de radio et la télévision locale l'ont trouvée sur la page Facebook du mari de la femme. L'histoire a ensuite été récupérée par l'agence de presse argentine Telman, a ricoché sur les sites italiens puis sur un grand journal anglais, et a ensuite été diffusée partout dans le monde.

Le Saint-Siège a répondu aux rapports des médias avec un court communiqué de presse, soulignant qu'aucune des activités privées du pape «ne font partie du magistère du Pape». Les rapports des jours précédents avaient créé beaucoup de confusion.

Tout cela est vrai. Il semble évident qu'il existe un programme pour changer la praxis de l'Eglise sur des questions comme celle de la communion pour les divorcés remariés. Les résultats des deux prochains synodes d'évêques (le synode extraordinaire de 2014 et le synode ordinaire de 2015) qui traiteront des questions de la famille sont attendues avec beaucoup d'anticipation. Le Pape François ne prendra pas position avant ces deux rencontre. Tout le monde est impatient de savoir ce qu'il décidera.

De nombreuses attentes ont été placées sur le pontificat de François. Le Pape François avait été décrit comme l'homme qui rompt avec le passé afin de mener l'Eglise dans la modernité. Il était (et est toujours) défini en opposition à Benoît XVI. Comme si l'Eglise avait commencé à changer sous le pontificat de François. En fait, l'Eglise n'a pas changé. Les vérités de la foi sont restées les mêmes. Peut-être que la seule chose qui a changé, c'est l'approche. Et c'est surtout une question de style.

Le Pape François exerce une papauté informelle. Les appels téléphoniques qu'il fait constamment, les interviewes non programmées qu'il continue à accorder (la plus récente avec un évêque qui est allé chez le pape pour une visite ad limina, et qui a ensuite diffusé le contenu de sa conversation sur une chaîne de télévision chilienne) doivent être considérés comme les visites pastorales d'un pape qui ne peut quitter le Vatican aussi souvent qu'il le souhaite.

Cependant, rendre public le contenu des appels téléphoniques et des rencontres, sans contrôle adéquat du message par avance, ou un "tuyau" des services de communication du Vatican, comporte des périls.

Le plus grand risque est que les paroles du Pape François soient manipulées. François aime à parler en termes généraux, en laissant les discussions ouvertes: cela fait partie de son style.
On a dit que le cardinal Jorge Mario Bergoglio était fortement opposé à la loi sur le mariage gay en Argentine. Mais des sources d'Argentine maintiennent qu'il n'a vraiment pas pris de position ferme. Les membres de la Conférence des évêques d'Argentine ont dû le convaincre qu'en tant que président de la Conférence, il devait prendre une position ferme. Donc, il a signé une déclaration, mais il n'a jamais abordé la question dans sa prédication ou fait des remarques publiques. Sa position est avant tout celle d'un «fils de l'Église», comme il l'a dit à des journalistes lors de la conférence de presse dans l'avion en revenant des Journées mondiales de la Jeunesse à Rio de Janeiro.

Les paroles du Pape semblent indiquer qu'il ne changera pas la doctrine pour ce qui concerne les divorcés remariés. Plutôt, il veut signaler sa proximité à ceux, divorcés et remariés, qui sont mis au ban de l'Eglise.
Le Pape François a vu des paroissiens stupéfaits que des personnes divorcées remariées de leurs communautés participent à la messe, même si elles ne prenaient pas la communion. Il pense qu'il y a une opinion largement répandue, selon laquelle les divorcés remariés ne devraient même pas aller à l'église. Le Pape François tient à souligner que les divorcés remariés, même s'ils ne peuvent pas recevoir la communion, ne doivent pas être en marge de la vie de l'Église. Au contraire, ils doivent être inclus.

Cette approche pastorale est le modèle que le pape François veut donner à l'Eglise. Une approche inclusive, allant à la rencontre de tous. Y compris en "tirant" le rôle de laïcs et - pourquoi pas - de femmes dans les rangs de l'Eglise.

La réforme de la Curie
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Revoir le rôle des laïcs dans la vie de l'Eglise est une chose sur laquelle on spécule largement, dans le contexte des discussions sur une éventuelle réforme de la Curie. Comme ce fut le cas avec la question des divorcés remariés, la discussion sur la réforme Curie risque également de suivre un agenda fixé par les médias.

Le Conseil des huit cardinaux se réunit du 28 au 30 Avril. Sur la table il y a plusieurs projets de propositions visant à rationaliser les dicastères du Vatican et à améliorer l'organisation de la Curie. L'objectif est d'améliorer la productivité (!!). Il y a aussi l'idée d'établir une nouvelle Congrégation, appelée "Congregatio de Populo Dei" (Congrégation pour le Peuple de Dieu), qui engloberait les conseils pontificaux pour la famille, les laïcs, et pour la Pastorale de la Santé.

La nouvelle congrégation serait composée de quatre bureaux: les jeunes, les femmes, la famille et la pastorale de la santé. Les chefs de ces bureaux devraient être des laïcs éminents.

En fait, des laïcs éminents occupent déjà des postes de haut rang au Saint-Siège, travaillant côte à côte avec les membres du clergé. Ce n'est pas nouveau. Si des nouvelles et des propositions à ce sujet sur la table des cardinaux "fuitent", c'est une indication que certains cherchent à faire pression sur l'agenda de réforme de la Curie.

Tandis que le pape François persiste dans sa sollicitude pastorale, publique et en même temps indépendante, dehors, il y a tout un monde dont le but est de prescrire la façon de moderniser et de réformer l'Eglise. En fin de compte, le côté informel du pape François permet à beaucoup de se cacher derrière la «mens Papalis» (la volonté du pape) pour faire pression en vue de changements dans la doctrine de l'Eglise.

De ce point de vue, au sein de l'Église, la coordination de la communication fait défaut. Certes, l'informalité du pape rend difficile de suivre tout ce qu'il dit et fait. Cette difficulté est l'une des raisons pour lesquelles la communication du Vatican semble incapable de protéger l'agenda de l'Eglise des pressions sur elle. En fait, le pape lui-même ne semble pas disposé à endiguer ces pressions. Selon des sources, interrogé sur l'appel téléphonique qu'il aurait passé à la femme argentine, le pape aurait répondu qu'«il est inacceptable de discuter de ce que je dis au téléphone.»

Tandis que les médias poussent à la réforme, le pape François a montré qu'il n'est pas révolutionnaire : l'Institut pour les œuvres religieuses (la banque du Vatican) est toujours là , et presque tous les chefs de dicastères du Vatican ont été maintenus à leurs postes. Le Pape a simplement remanié la composition de quelques congrégations.

On a beaucoup dit que le pape François allait réduire les distinctions honorifiques ecclésiastiques. Mais le pape François n'a pas suivi cette voie, et a même fait évêque Mgr Fabio Fabene - le nouveau numéro deux du secrétariat général du synode. Le nombre de ministères est en augmentation (on pense que finalement, le pape François établira quatre secrétariats différents pour l'aider à diriger l'Eglise), mais peut-être que le gouvernement central de l'Eglise a souffert dans le processus.

Lorsque Jean-Paul II partait vers les périphéries, il y avait des gens comme Joseph Ratzinger, Paul Poupard et Roger Etchegaray qui faisaient tourner la machine de la Curie et surveillaient que chaque mot prononcé par le Pape était correctement rapporté et sa signification bien comprise. Aujourd'hui, qui constitue l'arrière-garde du pape François? Et seront-ils en mesure de s'échapper de la papauté selon les médias, pour projeter la papauté réelle?