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Que pense le pape des principes non négociables?

Nous en avons un aperçu avec cet extrait, cité par Andrea Tornielli, d'un livre-entretien du "théologien du Pape", l'archevêque argentin Víctor Manuel Fernández avec Paolo Rodari, de la Repubblica. (4/3/2014)

Le problème est que les fanatiques finissent par convertir quelques principes en une bataille permanente et délibérément, ne discutent que de ces questions.
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Les choses sont très claires - même si évidemment, le théologien du Pape (1), ce n'est pas le Pape.
J'ai inséré quelques remarques ponctuelles en italique.
J'imagine que cet article ne restera pas sans suite, car Andrea Tornielli s'en prend presque explicitement à "l'Appel au Pape François" lancé par Il Foglio et signé par de nombreuses personnalités parfaitement modérées, qui n'apprécieront peut-être pas de se voir traitées de "fanatiques" par un monsignore, même bien en cour.

     

Le théologien du pape et l'instrumentalisation des principes non négociables
http://vaticaninsider.lastampa.it
Andrea Tornielli
(traduction benoit-et-moi)
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L'archevêque Víctor Manuel Fernández (1), recteur de l'Université catholique argentine parle du «projet de François» dans un livre-entretien avec Paul Rodari

«Le problème est que les fanatiques finissent par convertir quelques principes en une bataille permanente et délibérément, ne discutent que de ces questions». C'est ce qu'affirme, se référant aux valeurs dites «non-négociables» Mgr Víctor Manuel Fernandez, recteur de l'Université pontificale catholique de l'Argentine, à Buenos Aires, nommé archevêque par le pape François. Fernández a dialogué avec le vaticaniste Paolo Rodari (du quotidien italien «La Repubblica») et de là est né un livre-entretien intitulé «Le projet de François. Où il veut mener l'Église » (2).

Plusieurs questions du journaliste concernaient l'approche par François des questions éthiques. Un argument particulièrement «chaud» en ce moment: en témoignent certains appels au pape, qui rencontrent un consensus (L'appel de Il Foglio), et surtout les signatures provenant de mouvements ecclésiaux (?), des gens qui semblent ne pas réussir à se sentir pleinement chrétiens sans un ennemi, sans se concevoir éternellement sur des barricades.
«Les questions morales dont nous parlons - dit Fernández - doivent être contextualisées afin qu'elles puissent être pleinement comprises. Cela nécessite d'avoir un contexte plus proche et un autre plus ample».

Ce contexte plus ample, poursuit le théologien, cité par François dans Evangelii gaudium, «est le kérygme, est l'invitation à la rencontre avec un Dieu qui aime et sauve, et qui pour cela nous propose une vie meilleure. Ceci, dit le pape, est le sens de "faire brûler les coeurs" et c'est la chose la plus importante. Quand l'Eglise parle trop de questions philosophiques ou de la loi naturelle, elle le fait probablement pour pouvoir dialoguer sur les thèmes moraux avec le monde des non-croyants. Toutefois, ce faisant, d'une part nous ne convainquons personne avec des arguments philosophiques d'autres temps (n'est-ce pas une condamnation implicite de la façon dont Benoît XVI concevait son magistère?), et de l'autre, nous perdons l'opportunité d'annoncer la beauté de Jésus-Christ, de "faire brûler les coeurs". Alors, ces arguments philosophiques ne changent la vie de personne. Au contraire, si on réussit à faire brûler les cœurs, ou au moins à montrer ce qu'il y a d'attrayant dans l'Évangile (mais l'évangile doit-il être attrayant?), alors les gens seront plus disposés à parler et à réfléchir même à une réponse inhérente à la morale».

Pour le théologien argentin, «il doit y avoir aussi un contexte proche qui est toujours quelque chose de positif par rapport à ce que l'on propose ou théorise. Par exemple, il ne sert à rien de se prononcer contre le mariage homosexuel, parce que les gens ont tendance à nous voir comme si nous étions des coléreux, des cruels, des personnes peu compréhensives, voire même exagérées. Une autre chose est quand nous parlons de la beauté du mariage et de l'harmonie qui se crée dans la différence résultant de l'alliance entre un homme et une femme, et dans ce contexte positif émerge, presque sans avoir à le souligner (le théologien est-il naïf?), combien il est inapproprié d'utiliser le même terme et d'appeler "mariage" l'union de deux personnes homosexuelles» (donc, il suffit de changer de mot, et le tour est joué)

Selon Fernández, il y en a qui ont absolutilisé les principes «non négociables». «Défigurant l'enseignement de Benoît XVI - dit le théologien - certains étaient arrivés au point de dire que de ces principes non négociables dépendait et jaillissait tout l'enseignement de l'Eglise. Maintenant, c'est une hérésie! Affirmer que Jésus-Christ, sa résurrection, l'amour fraternel, et tout ce que nous enseigne l'Evangile dépendent de certains principes éthiques est une distorsion qui fausse le visage du christianisme».

«Par exemple - poursuit Fernández - le pape est ferme dans son opposition à l'avortement, parce que si on ne défend pas l'innocence de la vie humaine, il ne reste pas beaucoup d'arguments en défense des droits humains. Il est clair que cela n'est pas négociable, mais on ne peut pas dire que certains principes moraux sont la lumière à partir de laquelle découlent toutes les autres vérités de la foi du christianisme. Le cœur de notre foi, qui éclaire tout, ce n'est pas cela, mais le kérygme. Ce n'est que de cette façon que l'on comprend le rôle très fort joué par la "hiérarchie des vérités" que ce Pape a voulu RÉCUPÉRER (!!). Le problème est que les fanatiques finissent par convertir quelques principes en une bataille permanente et délibérément, ne discutent que de ces questions».

François, dit encore le théologien argentin dans le livre-entretien avec Rodari, «nous demande un style, une proportion, quelques accents déterminés.
Il y a deux raisons pour lesquelles le Pape nous demande de ne pas parler "toujours" et "seulement" de certains principes moraux: pour ne pas fatiguer l'autre, le saturant, et obtenant un effet de rejet, et, surtout, pour ne pas détruire l'harmonie de notre message. Les secteurs les plus extrémistes de l'Église ridiculisent le Pape en disant: "Maintenant, le Pape nous interdit de parler de ces questions". C'est un mensonge, et calomnier le pape aussi, c'est immoral. Ils sont moraux quand ils parlent de thèmes qui les intéressent, mais pas pour les autres thèmes»

«Jusqu'à il y a deux ans - explique Fernández - certaines personnes n'auraient jamais accepté le moindre type de discussion concernant les paroles du Pape, mais maintenant ils s'amusent à écrire et à diffuser toutes les critiques possibles contre le pape François (le théologien inverse les rôles: il oublie que Benoît XVI a été critiqué et même crucifié par le côté opposé de l'Eglise pendant huit ans, et que ces critiques étaient relayées avec bienveillance pas les médias, alors qu'aujourd'hui, tous ceux qui osent critiquer le Pape sont unanimement traités comme des parias). Ceci n'est pas une vision de foi, mais une bataille idéologique: je défends le pape s'il défend ce que moi je pense.».

Le théologien conclut en rappelant que, «si nous devons considérer au cas par cas, il y a d'autres thèmes qui ne sont pas négociables: aimer son prochain, rendre justice aux opprimés, être honnête dans les affaires ...».

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Notes

(1) Sandro Magister le définit comme le principal "ghostwriter" du Pape dans la rédaction de la Charte programmatique du Pontificat, Evangelli Gaudium (magister.blogautore.espresso.repubblica.it/2014/02/28/i-vescovi-che-piacciono-a-francesco/)
A lire aussi: chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350683?fr=y

(2) http://www.paolorodari.com/2014/02/19/il-progetto-di-francesco-dove-vuole-portare-la-chiesa/