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Que signifie proclamer un saint?

Après l'évènement très médiatisé d'hier qui a vu un million de personnes Place Saint-Pierre, Antonio Socci pose quelques questions, qui telles des poupées gigogne, en contiennent d'autres, très graves: sur le cours actuel de la papauté et même sur le paradis, sur l'enfer, sur la vie éternelle (28/4/2014)

AUJOURD'HUI L'ÉGLISE EST EN FÊTE. SUR LA TERRE COMME AU CIEL. MAIS QU'EST-CE QUE CELA SIGNIFIE, PROCLAMER DES SAINTS? SI LE MONDE LE COMPRENAIT...
http://www.antoniosocci.com
27 avril 2014

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Le peuple chrétien célèbre à juste titre la canonisation du grand Jean-Paul II et du pape Jean XXIII. Et les journaux consacrent des fleuves d'encre à l'événement qui est effectivement extraordinaire (sans compter les heures d'émissions de télévision).

JOURS ÉTRANGES
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Au-delà de l'importance incontestable des deux papes canonisés, ce qu'on peut tirer de tout ce qui a été dit - selon moi - c'est ceci: plus le monde se laïcise, plus il devient clérical. Plus il se fait antichrétien, plus il se passionne pour les choses curiales. Plus il censure le fait chrétien, plus il s'électrise pour l'ordre ecclésiastique. Plus il déserte les églises, plus il est attiré par les sacristies.
Tant et si bien que des «laiconi» (le suffixe «one» est amplicateur, on pourrait dire «des hyper-laïcs») comme Scalfari et Pannella (1) s'agitent pour un appel du Pape Bergoglio et boivent du petit lait, tandis que l'«incroyant endurci» Odifreddi fait la roue et s'extasie pour une réponse à son livre, venant de Ratzinger, bien que le Pape émérite l'ait traité d'écolier.
Ils jouent les bouffeurs de curés mais se liquéfient l'émotion devant le Pape comme le tailleur de Manzoni en face du cardinal Borromeo (2).
Le phénomène était déjà évident à la télévision (en particulier dans les talk-shows) et dans les journaux où pendant des années il y a une invasion d'ecclésiastiques, juste au moment où il y a une censure totale du contenu de la foi chrétienne (3).
Au fond, c'est l'accomplissement d'une prédiction de Charles Péguy lequel - vrai converti - voyait s'approcher l'époque néfaste où nous nous trouverions coincés entre la curie crélicale, et la curie anticléricale. Deux curie solidaires (aussi parce qu'elles vont main dans la main avec la mentalité dominante).

LES CHRÉTIENS
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Leur attitude diverge peu, même face aux nouvelles de plus en plus horribles en provenance du monde entier sur le sort de beaucoup de chrétiens, réduits en esclavage, violés, discriminés et massacrées (comme en Corée du Nord, en Afrique ou au Pakistan): leurs blessures sont aujourd'hui, les blessures visibles du Christ crucifié. Et c'est dans leur présence humble et héroïque (je pense à la pauvre Asia Bibi), que la présence vivante du Christ est aujourd'hui particulièrement visible.
Le grand Joseph Ratzinger le savait et nous l'a enseigné, affirmant:
«Les voies de Dieu sont différentes: son succès est la croix ... ce n'est pas l'Eglise qui a eu des succès qui nous impresionne, l'Église des papes ou les seigneurs du monde, mais c'est l'église des souffrants qui nous porte à croire, elle est restée durable, elle nous donne l'espérance. Elle est encore un signe que Dieu existe et que l'homme n'est pas seulement un échec, mais qu'il peut être sauvé» (4).
C'est pour cela que Jean-Paul II a proclamé tellement de saints, justement pour indiquer tous ces gens simples qui dans notre vie quotidienne, parmi nous, ont été un signe de la présence vivante du Christ.
Restant pour la plupart inconnus des médias, du monde, ou peut-être même en subissant le mépris et la persécution, parfois même de la Curie (comme c'est arrivé à Padre Pio) (5).

Du reste, le monde laïc occidental - modèle Obama - qui se passionne pour la Curie et le monde clérical (6) (et qui célèbre le Pape sur les couvertures des magazines d'information comme «homme de l'année»), est celui qui se montre le plus éloigné des contenus de la foi.
Et parfois de plus en plus intolérant envers la présence ouverte et claire des chrétiens, jusqu'à essayer de les museler comme cela arrive - sous diverses formes - dans l'Europe laïque actuelle.
Le fait même qu'on ne voit pas cette persécution subtile, qu'elle ne fasse pas scandale, est un signe qu'elle est considéreé comme naturelle, même à droite. Par conséquent, il est malheureusement prévisible qu'elle devienne de plus en plus lourde.

Un prophète de notre temps, don Luigi Giussani (7), annonçait déjà il y a vingt ans:

«Une vraie persécution? Oui. La colère du monde, aujourd'hui ne se lève pas devant le mot Église, elle reste calme même à l'idée que l'on puisse se définir catholique, ou devant la figure du Pape dépeint comme une autorité morale. Et même, il est un respect formelle, qui peut être sincère. La haine se déchaîne - à peine contenue, mais qui va bientôt débordera - contre les catholiques qui se posent comme tels, les catholiques qui se meuvent dans la simplicité de la Tradition» (“Un evento. Ecco perché ci odiano”, dans “Un avvenimento di vita, cioè una storia”).
Déjà Giussani - comme on le voit - avait saisi cet étrange paradoxe d'un cléricalisme laïciste qui prospère à l'intérieur d'un anti-christianisme intolérant.

Et dans le monde clérical, ceux qui croient que l'on doit chercher les applaudissements du monde sur les choses que le monde aime (donc sur le «politiquement correct») et enfermer au grenier ce que le monde n'aime pas entendre occupent de plus en plus de place.
Si Jésus avait fait ainsi, il n'aurait jamais été crucifié.
Jean-Paul II lui non plus n'est jamais restés silencieux et n'a jamais fait des compromis sur la vérité, il est devenu ainsi l'exemple le plus éclatant de ce qu'est un saint aujourd'hui et surtout un saint pasteur. En effet, Ratzinger a récemment écrit de lui: «le courage de la vérité est un critère de premier ordre de la sainteté».
Comme l'une des raisons pour lesquelles l'Église proclame un saint est justement cela, l'indiquer comme exemple de vie, il est à espérer que les ecclésiastiques apprendront de lui et le suivront.

Mais il y a aussi un deuxième motif pour lequel l'Église proclame les saints: indiquer des frères dans la foi qui sont déjà au Paradis et peuvent intercéder pour nous (c'est pour cette raison qu'un miracle est requis, comme une confirmation par Dieu de la présence au Ciel de la personne canonisée).
Donc, en proclamant des saints, l'Eglise, dans le même temps, rappelle aux hommes l'existence du Paradis et de la vie éternelle (et, implicitement, de l'Enfer), annonce que cette fragile et brève vie terrestre n'est que la préparation à la vraie Vie, celle où tous nos désirs de félicité, de paix, d'amour seront accomplis d'une manière inépuisable.

PARADIS
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Le thème de l'au-delà - c'est-à-dire ce qu'il y a après la vie - est peut-être l'un des refoulements les plus embarrassants, un problème que la culture laïque fuit, que la presse fuit. Ils n'arrivent pas à l'affronter. Mais le monde ecclésiastique lui aussi a presque mis à l'écart dans la prédication les "Novissimi" (la mort, le jugement, le ciel et l'enfer).
Pourtant, c'est la question la plus importante. C'est aussi celle qui correspond le plus profondément aux désirs du cœur humain.
Jack Kerouac a écrit: «La vie n'est pas assez ... Ici, sur terre, il n'y a pas assez pour désirer».
En effet, l'homme est la seule créature qui ne trouve pas satisfaction sur terre. Lui seul est animé tout au long de l'existence d'un désir de bfélicité, d'amour et de sens qui reste insatisfait. Parce que sa vraie patrie est autre.
C'est le message profond des canonisations de l'Eglise, dont pouratnt il n'y a pas trace dans la rivière des articles ces jours.
Et pourtant, toute l'existence terrestre - comme l'observe le philosophe Bergson - change selon qu'il y a ou non une vie après la vie.
Dans l'Evangile, nous voyons que le centre de la prédication de Jésus est précisément cela: le Royaume de Dieu (ou, comme alternative, l'angoisse éternelle de l'enfer).
On nous a promis un «nouveau ciel et une nouvelle terre», où il n'y aura plus de mort, et toutes les larmes seront effacés. Les mystiques - qui ont vu le Paradis - parlent un bonheur inimaginable et indescriptible avec des mots humains.
Pour gagner la vraie Vie, la félicité du Paradis, beaucoup, dans les deux mille dernières années, étaient prêts même à donner leur vie. Les saints disent que cela en vaut la peine.
En effet, Jésus dans l'Évangile lance la question la plus vertigineuse, même pour notre temps: «que vaut pour un homme de gagner le monde entier si ensuite il se perd lui-même».

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NDT

(1) Homme politique de la gauche radicale italienne qui avait récemment commencé une grève de la soif pour protester contre la surpopulation carcérale, et qui vient de recevoir un coup de fil du Pape, s'informant de sa santé. La nouvelle a été notamment reprise par la Repubblica..

(2) Dans "I promessi sposi"

(3) C'est moins vrai chez nous qu'en Italie. Mais quoi qu'il en soit, ces ecclésiastiques sont soigneusement choisis des deux côtés des Alpes: en France, nous avons Mgr Podvin, porte-parole très consensuel de la CEF, l'Abbé de la Morandais et plus épisodiquement le Père Guy Gilbert, depuis que Gaillot a déserté les plateaux.

(4) Je n'arrive malheureusement pas à retrouver la référence... avis de recherche!

(5) C'est à creuser, mais padre Pio a été "persécuté" par la Curie de Jean XXIII, c'est Jean Paul II qui l'a "réhabilité": http://fr.wikipedia.org/wiki/Padre_Pio

(6) Phénomène plutôt visible depuis un certain 13 mars...

(7) Fondateur de Communion et Libération, le mouvement ecclésial cher à Benoît XVI, qui avait prononcé l'homélie aux obsèques de don Giussiani peu avant de devenir Pape, et dont est issu Mgr Negri (et le cardinal Scola): cf. http://benoit-et-moi.fr/2012-I/0455009fcb0e2340d/045500a0050efc416.html . Le président acctuel de la Fraternité, don Julian Carrón, avait déposé auprès du diocèse de Milan une demande d’ouverture de la cause en béatification de don Giussani en février 2012. Qui restera probablement sans suite pour l'instant..