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Questions sur la "méthode Bergoglio"

Un article sur Il Foglio sonde "l'establishment catholique" en Italie. Le Pape va déléguer aux laïcs les relations avec la politique, laissant les évêques annoncer l'Evangile. Mais n'est-ce pas sans risque? (25/2/2014)

Liberi, anche i cattolici

Les représentants de l'establishment catholique interrogés ici (je n'ai taduit que partiellement leur témoignage, qui pour nous n'est pas le plus intéressant) sont généralement optimistes, et pensent que si l'église abandonne certaines batailles de culture et de raison, alors les laïcs et les fidèles qui les mènent seront plus libres.
Texte complet ici: http://www.ilfoglio.it/soloqui/22052

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Dans le dernier numéro de la Civiltà Cattolica, l'organe de la Société de Jésus, un article du P. GianPaolo Salvini, SJ, dresse l'éloge de la Conférence des évêques de France et de ses prises de position contre la récente «loi Taubira» qui autorise depuis Avril dernier le mariage homosexuel avec possibilité d'adoption.
Cette position, largement décrite dans un document intitulé «Poursuivons le dialogue» (cf. http://www.eglise.catholique.fr), daté de juin 2013 et élaboré par le conseil Famille et Société de la Conférence épiscopale française, peut se résumer en une exhortation au calme, au dialogue et à l'abandon des oppositions âpres, coupables d'avoir causé des divisions inopportunes également dans la communauté ecclésiale.
Un appel rien moins qu'explicite à l'adaptation aux temps de «pluralisme éthique» qui imposent parfois, comme preuve de «maturité démocratique», l'acceptation par les catholiques «sans violence, que leur point de vue n'a pas prévalu». Le rapport recommande, entre autres choses, d'engager les mouvements et les paroisses sur des questions plus adaptées à la réconciliation et au consensus, comme les droits des Roms et la défense de exilés.

Impossible de ne pas lire dans la position de la CEF - et par conséquent dans l'article élogieux du père Salvini - sinon un virage dans la doctrine sur la pastorale de la famille de l'Église, au moins un «rompez les rangs et rentrez chez vous» adressé aux mouvements, associations, groupes qui, en ces années d'accélération législative postmoderne sont nés et se sont «spécialisé» dans la défense de la famille, et qui l'ont fait en inventant des formes de lutte non-violente, descendant dans la rue sans s'avouer vaincu.

Pour rester en France, le modèle en est La Manif pour tous, qui n'a pas réussi à empêcher la loi sur le mariage gay, mais qui obtient des reports et des marches arrière du gouvernement sur d'autres dossiers, tels que l'introduction du tristement célèbre «Abcd de l'Egalité» pro théorie du genre dans toutes les écoles françaises, ou le report d'au moins un an de la réforme de la famille qui aurait ouvert à la fécondation médicalement assistée pour les couples homosexuels.

En France, en somme, les drapeaux n'ont pas été abaissés, malgré la tièdeur des évêques dialogants.

A présent, le grand navire du Synode sur la famille s'avance: l'article de la Civiltà Cattolica indique-t-il déjà une route, dont le point d'arrivée sera la famille patchwork?
Les observateurs attentifs des phénomènes ecclésiaux et de la «révolution» bergoglienne soulignent des signaux contradictoires. Si le fait de charger le cardinal Kasper de la relation du récent consistoire sur la famille pourrait confirmer les versions «aperturistes», la nomination contextuelle à la présidence du futur Synode du (vieux!!) cardinal Vingt-Trois (ancien président des évêques français et, pour ce qui le concerne personnellement, vaillant combattant dans la lutte contre la loi Taubira) pourrait faire pressentir d'autres intentions.

Reste cependant, peu exprimé mais de plus en plus fort, le sentiment d'être «orphelines» ressenti par les associations qui ont fondé leur action et leur raison d'être sur les thèmes de la famille et les thèmes éthiquement sensibles.
Alors que la théorie du gender aspire à faire partie du programme scolaire aussi en Italie, et que se profile le décret liberticide <Scalfarotto> contre l'homophobie, les groupes et les associations peuvent-ils toujours compter sur le soutien de leurs évêques? Ou bien a-t-on inauguré l'ère du «débrouillez-vous» (fai da te)?

Le sociologue Massimo Introvigne, directeur de l'Alliance catholique et coordinateur des comités «Oui à la famille», souligne que «le Pape a dit très clairement dans l'exhortation apostolique "Evangelii Gaudium" (qui est en fait son programme), que certains thèmes ne seront pas traités par le Saint-Siège, mais par les évêques dans le cadre des Conférences épiscopales, et par les laïcs dans le cadre de leur responsabilité politique. Ces thèmes ne sont ni l'avortement - sur lequel le pape François intervient tout le temps - ni l'euthanasie, qu'il considére comme une terrible épidémie de peste (même s'il n'est pas intervenu directement après la loi belge sur l'euthanasie des enfants). Mais en lisant les notes d'"Evangelii Gaudium", nous voyons que la chose sur laquelle le Pape a dit qu'il ne voulait pas intervenir, c'est le mariage homosexuel: il laisse la tâche aux évêques, aux laïcs catholiques et aux non-catholiques de bonne foi» (ndt: c'est ce qui explique peut-être pourquoi il garde "bonne presse).

Ce «renvoyer la balle» sur un vide qui anticipe un changement de cap doctrinaire est-il suffisant?
«Prenons l'exemple des évêques américains - répond Introvigne - qui montre que ce n'est pas le cas. Au lieu de faire comme les nôtres qui disent "si le pape n'en parle pas, n'en parlons pas non plus", ils redoublent leurs efforts. Pour les associations, le modèle devrait être: cinq minutes pour râler, mais le reste du temps, passons-le à faire ce que les évêques et les laïcs engagés nous invitent à faire. Les "sentinelles debout", par exemple, mobilisent dans toute l'Italie (et en France!) des milliers de personnes, et parmi elles beaucoup de jeunes».

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[Suivent plusieurs témoignages de laïcs engagés à différents titres dans l'Eglise en Italie. Cette Eglise locale, pour des raisons historiques, dont la présence de la papauté sur son sol est la plus évidente, a davantage "imprégné" le paysage social que chez nous, qui vivons depuis plus d'un siècle sous le régime de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, et il est difficile d'établir un parallèle. Disons que les représentants de l'establishment catholique interrogés ici sont généralement optimistes, - à l'exception notable du militant de base de "Communion et Libération, un mouvement ecclésial très apprécié de Benoît XVI et qui a "formé" Mgr Negri; et ils pensent que si l'Eglise abandonne certaines batailles de culture et de raison, alors les laïcs et les fidèles qui mènent ces batailled seront plus "libres"]

>>> L'historienne et philosophe Paola Ricci Sindoni, présidente de «Science et Vie», l'association née de la bataille lors du référendum sur la loi 40, sous l'ère Ruini, (loi de 2004 sur la procréation médicalement assistée en Italie, le cardinal Ruini était alors président de la CEI, et passait pour très "interventioniste") ne parle pas de sentiment d'être orphelins, et pas non plus de désaveu, mais plutôt «d'une situation d'attente. Le pape veut imprimer un tournant non seulement dans la structure de l'église, mais aussi dans sa méthode. Plutôt que de défendre de façon abstraite des valeurs de principe, il veut les cueillir à l'intérieur de situations concrètes. Changer la méthode pastorale ne signifie toutefois pas nier ou réformer des piliers comme la défense de la vie, de l'embryon et de la famille. Cela signifie une plus grande attention miséricordieuse envers le pécheur, et sur ce point, je trouve que le pape François a été très clair».
Aucune crainte, alors, que dans l'attente croisse la confusion, «si on ne se laisse pas saisir par des préjugés et des conclusions hâtives...».

>>> La doctrine ne change pas, répétent beaucoup de représentants d'associations, mais ce qui va certainement changer, c'est la pratique.
C'est cela - ce sera cela - la révolution du Pape Bergoglio?
«Si c'est ça, c'est un gros problème - confie un vieux militant de Communion et Libération - parce que cette pratique mouvante aurait besoin d'évêques doublement déterminés. Et dans une ère de totale auto-organisation, il y aura des évêques qui donneront leur bénédiction de loin, et d'autres qui en profiteront pour se défiler complètement de certaines questions. À cet égard - ajoute notre interlocuteur - la lettre d'appel au pape François publiée par Il Foglio est un bon test: aucun responsable actuel de CL au plus haut niveau ne l'a signée, alors que de nombreux militants individuels ont répondu à l'appel de l'ADN de l'association, en faisant circuler la lettre sur les blogs et dans les paroisses. Signe qu'on sent un problème. ».

>>> Francesco Belletti, président du Forum des associations familiales et consultant auprès du Conseil pontifical pour la famille dit qu'il ne croit pas du tout que le Vatican s'apprête à céder au «pluralisme éthique»: «Je ne pense pas que le Synode sur la Famille marquera des changements importants par rapport au Magistère que nous connaissons. Le Pape François l'a déjà fait savoir dans son célèbre discours dans l'avion. Le changement concernera le style pastoral, l'attention aux personnes, la capacité de dialogue et d'accueil. Je m'attends à des nouveautés dans le langage, pas dans les valeurs théologiques. Il y aura sans doute une réflexion approfondie sur le thème des sacrements aux divorcés, mais qu'il soit important d'en discuter, Benoît XVI l'avait déjà dit aux évêques du Val d'Aoste.

>>> Simone Pillon, responsable pour le Forum de la famille pour l'Ombrie, très engagé dans la lutte contre la théorie du gender, et qui se trouve bien appuyé par son évêque, dit pour sa part:
Le Pape nous dit que nous ne pouvons pas annoncer une morale sans d'abord annoncer la foi (ndt: exactement ce que disait Benoît XVI!), et que l'homme contemporain ne peut pas reconnaître comme vrais certains préceptes s'il n'y a pas d'abord l'annonce de la foi. Je suis convaincu que c'est le cas. L'autre raisonnement révolutionnaire est que, finalement, les hiérarchies cèdent le pas en ce qui concerne la gestion des relations avec la politique. Le débat social, culturel et politique passe désormais essentiellement aux laïcs formés dans le sein de l'Église (le problème est: de tels laïcs existent-ils? Et le débat ne va-t-il pas être confisqué par les sempiternels "catholiques adultes"). Je ne fais pas l'autruche, et je me rends compte que certaines des modalités par lesquelles le Pape l'affirme peuvent sembler déroutantes. Mais le pape dit: "que les laïcs se manifestent et que les évêques proclament la foi".

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[Le mot de la fin revient à Massimo Introvigne, qui nous dit: il n'y a pas que l'Europe!! Les africains ont aussi leur mot à dire, ils ont d'autres problèmes, et une autre approche que les europées qui sont pratiquement les seuls à se faire entendre pour le moment]

Redonnons la parole à Massimo Introvigne, cette fois en tant que sociologue de la religion:
«Nous ne devons pas penser que sur le Synode sur la famille, les jeux sont faits. Faisons attention à une phrase du cardinal Kasper, lequel a dit textuellement qu'au cours du consistoire ont été présentés les points de vue de quatre ou cinq pays européens, mais que l'Église est bien plus que cela. Il faudra tenir compte des positions des pays africains, comme nous le savons très hostiles au mariage entre personnes du même sexe. En somme, il y a des épiscopats avec des bureaux de presse très efficaces, qu'on entend beaucoup, et d'autres qui n'en ont pas, mais qui comptent beaucoup. Et puis pour un article sur la Civiltà Cattolica, il y a un épiscopat américain qui pour la première fois, non pas dans un document d'opinion, mais par un procès, s'oppose aux juges qui veulent imposer le mariage de même sexe dans les États qui le refusent, et appellent à collaborer à cet acte juridique également d'autres religions.
Les préoccupations sont légitimes, en particulier pour des choses techniquement scandaleuses dites par certains évêques allemands, mais ne pleurons pas avant d'être battus. Au Synode, ce sont les Africains qui descendront en lice»