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Un inédit du cardinal Bergoglio...

publié sur La Repubblica, le 13 mars dernier (6/5/2014)

Le 13 mars 2014, soit exactement un an après l'élection, sortait en librairie en Italie un livre intitulé "La bellezza educherà il mondo" - La beauté éduquera le monde. Il s'agit, selon zenit en italien, d'un recueil de textes sur l'éducation, écrits par le cardinal Begoglio entre 2008 et 2011 (ce livre ne semble pas encore traduit en français).

Le même jour la désormais incontournable (s'agissant du Pape) Republicca publiait ce qui était présenté comme un "inédit du cardinal Bergoglio", soit un extrait du livre.

J'ai traduit le texte - sans commentaire -, trouvé (et assorti cette fois d'intéressants commentaires) grâce au blog chiesaepostconcilio.

Je me permets juste ces remarques:

¤ C'est une fois de plus la Repubblica qui est le support de la "communication" papale. Je suppose que c'est avec l'accord du Pape.
¤ L'extrait n'a pas été choisi au hasard - là encore, je suppose, avec l'accord du Pape (il colle idéalement à l'actualité). Le titre choisi par la Repubblica indique très clairement l'intention d'instrumentalisation... en vue du prochain Synode, plus, si besoin. Il s'agit de considérations "philosophiques" certes générales (et peu propres, selon moi, à confirmer les catholiques dans la foi et à convertir les autres, mais plutôt à les plonger tous dans l'incertitude du relativisme), mais on peut sans difficulté imaginer qui sont, pour le Pape, ces fondamentalistes.
¤ L'illustration choisie par la Repubblica est à l'évidence destinée à donner une image extrêmemnt positive du Pape, qui contraste étangement avec les pratiques de ce journal... avant le 13 mars 2013.

«Assez de fondamentalisme et de pensée unique, la vérité n'existe pas sans dialogue»

L'inédit de Bergoglio: les certitudes absolues sont le refuge de ceux qui ont peur

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Le fait que tout au long de l'histoire se soient multipliés - et continuent à se multiplier encore aujourd'hui - les fondamentalismes, saute aux yeux.
En substance, il s'agit de systèmes de pensée et de conduite absolument momifiés, qui servent de refuge. Le fondamentalisme s'organise à partir de la rigidité d'une pensée unique, à l'intérieur de laquelle la personne se protège des instances déstabilisantes (et des crises) en échange d'un certain quiétisme existentiel. Le fondamentalisme n'admet pas de nuances, ni de doutes, tout simplement parce qu'il a peur et - dans la pratique - peur de la vérité. Celui qui se réfugie dans le fondamentalisme est quelqu'un qui a peur de se mettre en chemin pour chercher la vérité. Déjà, il «possède» la vérité, il l'a déjà acquise et instrumentalisée comme moyen de défense; c'est pourquoi il vit toute discussion comme une agression personnelle.

Notre relation avec la vérité n'est pas statique, puisque la Vérité suprême est infinie et peut toujours être mieux connue; il est toujours possible de s'immerger davantage dans ses profondeurs. Aux chrétiens, l'apôtre Pierre demande d'être prêts à «rendre compte» de leur espérance; cela signifie que la vérité sur laquelle nous fondons l'existence doit s'ouvrir au dialogue, aux difficultés que d'autres nous montrent ou que des circonstances nous désignent. La vérité est toujours «raisonnable», même au cas où je ne le suis pas, et le défi est de rester ouvert au point de vue de l'autre, sans faire de nos convictions un tout immobile.
Dialogue ne signifie pas relativisme, mais «logos» que l'on partage, raison qui s'offre dans l'amour, pour construire ensemble une réalité toujours plus libératrice. Dans ce cercle vertueux, le dialogue révèle la vérité, et la vérité se nourrit du dialogue. L'écoute attentive, le silence respectueux, l'empathie sincère, se mettre authentiquement à la disposition des étrangers et de l'autre, sont des vertus essentielles à cultiver et à transmettre dans le monde d'aujourd'hui. Dieu lui-même nous invite au dialogue, il nous appelle et nous invite à travers sa Parole, cette Parole qui a abandonné tout nid, tout abri, pour se faire hoome.

Ainsi apparaissent les trois dimensions dialogiques, intimement liées: une entre la personne et Dieu - ce que les chrétiens appellent la prière -, une des êtres humains entre eux, et une troisième, de dialogue avec nous-mêmes. A travers ces trois dimensions, la vérité grandit, se consolide, se dilate dans le temps.
A ce stade, nous devons nous demander: qu'entendons-nous par vérité? Chercher la vérité est différent de trouver des formules pour la posséder et la manipuler à sa guise.

Le chemin de la recherche engage la totalité de la personne et de l'existence. C'est un chemin qui, fondamentalement, implique l'humilité. Avec la pleine conviction que personne ne se suffit à lui-même et qu'il est déshumanisant d'utiliser les autres comme moyen de se suffire à soi-même, la recherche de la vérité entreprend ce chemin ardu, souvent artisanalement, d'un cœur humble qui refuse d'étancher sa soif avec des eaux stagnantes.

La «possession» de la vérité de type fondamentaliste manque d'humilité: elle prétend s'imposer sur les autres avec un geste qui, en soi, s'avère autodifensif. La recherche de la vérité n'apaise pas la soif qu'elle suscite. La conscience de la «sage ignorance» nous fait recommencer constamment le chemin. Une «ignorance sage» qui, avec l'expérience de la vie, devient «docte». Nous pouvons dire sans crainte que la vérité, on ne l'a pas, on ne la possède pas: on la rencontre. Pour pouvoir être désirée, elle doit cesser d'être ce que l'on peut posséder. La vérité s'ouvre, se révèle à ceux qui - à leur tour - s'ouvrent à elle. Le mot vérité, précisément dans son acceptation grecque d''aletheia', indique ce qui se manifeste, ce qui se dévoile, ce qui se révèle à travers une apparition miraculeuse et gratuite. Le sens hébraïque, au contraire, par le terme 'emet', allie le sens de vrai à celui de certain, ferme, qui ne ment ni ne trompe. La vérité, donc, a une double connotation: elle est la manifestation de l'essence des choses et des personnes, qui en ouvrant leur intimité nous offre la certitude de leur authenticité, la preuve fiables qui nous invite à croire en elles.

Cette certitude est humble, parce que tout simplement elle «laisse être» l'autre dans sa manifestation, et ne le soumet pas à nos exigences ou impositions. C'est la première justice que nous devons aux autres et à nous-mêmes: accepter la vérité de ce que nous sommes, dire la vérité de ce que nous pensons. En outre, c'est un acte d'amour. On ne construit rien en taisant ou en niant la vérité. Notre douloureuse histoire politique a prétendu de nombreuses fois la bâillonner. Très souvent, l'utilisation d'euphémismes verbaux nous a anesthésiés ou endormis devant elle. Il est maintenant temps de réunir, de jumeler la vérité qui doit être prophétiquement proclamée, avec une justice authentiquement restaurée. La justice ne jaillit que quand on appelle par leur nom les circonstances dans lesquelles nous sommes trompés et trahis dans notre destin historique. Et ce faisant, nous accomplissons l'un des principaux services de responsabilité pour les générations futures.

La vérité ne se rencontre jamais seule. Avec elle, il y a la bonté et la beauté. Ou plutôt la Vérité est bonne et belle. «Une vérité qui n'est pas entièrement bonne cache toujours une bonté qui n'est pas vraie», a dit un penseur argentin. J'insiste: les trois choses vont ensemble et il n'est pas possible de chercher ni de trouver l'une sans l'autre. Une réalité très différente de la simple «possession de la vérité» revendiquée par les fondamentalismes: ceux-ci prennent toujours pour valides les formules en elles-mêmes et pour elles-mêmes, dépourvues de bonté et de beauté, et cherchent à s'imposer d'autres avec agressivité et violence, faisant le mal et conspirant contre la vie elle-même.